De mémoire de Bambara, on n’a jamais vu ça : quelqu’un qui vient se remplir copieusement l’estomac chez vous et qui, au moment de laver la vaisselle, se retire sur la pointe des pieds ! Il n’y a que dans le Mali démocratique que cela arrive. De quoi regretter d’avoir tiré certains affamés des griffes de Dame Trépas… Voyez-vous, en 2013, Ladji Bourama, fraîchement élu, s’était promis, du haut de ses 77% de voix, de ne partager aucun gâteau à Koulouba. Mais il a dû revenir sur cette ferme résolution à la demande des familles fondatrices de Bamako, des imams et autres âmes charitables. Ils lui ont fait savoir que dans un pays pauvre comme le nôtre, ne pas partager de gâteau revenait à condamner du beau monde a crever de faim. Et quand on dit « beau monde », ça veut dire « beau monde ».
Dans la foule des gens menacés de famine, il y avait, en effet, des politiciens rejetés par le peuple, des commerçants ruinés sous le régime du « Vieux commando », des journalistes qui avaient égaré leur plume dans les greniers vides, des troupeaux de nomades attirés par le parfum des plats de Sebenicoro et, bien sûr, des chefs religieux auxquels le chapelet ne réussissait plus du tout. Il y avait même dans le lot des repris de justice qui n’attendaient que la corde destinée à les pendre. En bon musulman ayant fait les sept tours de la Kaaba (alhamdoulilah!), Ladji Bourama a assuré à cette foule d’affamés les trois repas quotidiens. Et quels repas ! Du pain au raisin agrémenté de lait « Nido » le matin; du riz à la sauce d’arachide à midi; et la nuit venue, chacun et tous prenaient du me – choui, du jus de mangue et, pour les moins sobres, un petit quelque chose dans un petit verre. Il fallait entendre le bruit des casseroles, des louches et des cuillères autour des tables dressés par des cuisiniers tout de blanc vêtus ! Bon, eh bien ! Les bonnes choses ont ainsi continué pendant cinq longues années.
À présent que les plats sont finis et que Ladji a commandé un nouvel approvisionnement qui sera là, inchallah, le 29 juillet, nos compères mangeurs perdent patience et quittent la table. Là n’est pas le problème : tout mangeur peut avoir besoin de se retirer pour bien digérer ce qu’il a englouti. Le problème, c’est que nos amis-là se sont enfuis sans dire merci au maître des lieux ni, surtout, laver la vaisselle ! « Oh, un convive ne lave pas de vaisselle ! », me direz-vous. Erreur ! Ces gens-là n’étaient pas des invités mais plutôt des mendiants en quête de pitance. Ils ont donc des devoirs que n’a pas un invité du Roi en visite d’État d’Espagne ou un président. Le devoir les obligeait à laver les marmites, les nappes et les tapis. Surtout que beaucoup, sachant à peine tenir une fourchette, ont laissé tomber des morceaux de viande, provoquant de sacrés bruits de casserole…
Tiekorobani
Procès Verbal