Plus 127 corps de femmes et d’enfants repêchés, 200 personnes disparues et 155 personnes sauvées, sur les 500 migrants qui étaient dans le bateau qui a fait naufrage, jeudi dernier, à presque 550 m de Lampedusa, cette île italienne de 600 habitants, plus proche de l’Afrique, et dont les habitants vivent essentiellement de la pêche et du tourisme. C’est un bilan meurtrier devant lequel la maire, GiusiNicolini, n’a pu contenir ses larmes ; même le pape François a réitéré son soutien à ces migrants à qui, en juillet dernier, il avait confié :
« L’Église est avec vous dans votre quête d’une vie plus digne pour vous et vos familles ».
L’Italie a décrété un deuil national.
Mais il reste que l’île de Lampedusa est le tombeau des rêves d’une vie meilleure de ces migrants qui, la misère aux trousses, préfèrent tourner le dos à leur pays socialement, politiquement et économiquement en panne. Dans cette tragédie, on aura appris que les migrants sont Erythréens et Somaliens. Cela n’a rien d’étonnant pour qui sait que la Somalie est un pays menacé dans son existence, et dont on ne parle dans les médias, occidentaux surtout, que lorsque la famine y sévit comme un feu de brousse sous l’harmattan, ou quand les shebabs croisent le fer des forces de la Monusco.
L’Erythrée, ce pays de 6,2 millions d’habitants, devenu indépendant en 1993, figure en bonne place au nombre des pays peu respectueux des libertés et des droits de l’homme : le parti unique ; une justice tout sauf indépendante ; une opposition en exil en Ethiopie, en Europe et aux Etats-Unis. C’est l’un des pays les plus pauvres du monde avec une économie fragile, résultat des tensions avec ses voisins Ethiopiens et Djiboutiens.
Ce naufrage de Lampedusa est d’abord celui d’un continent- l’Afrique – dont les pays ne sont jamais parvenus à assurer à leurs populations des conditions de vie « sortables ». Ces populations qui sont excédées, auxquelles on fait miroiter les chances, fausses, d’une réussite dans une Europe qui les repousse comme on décline une offre. Une Europe qui veut se débarrasser d’eux, par tous les moyens, y compris en les laissant se noyer en mer. Dans une lettre adressée, il y a un an, aux Européens, alors que l’Europe venait de recevoir le prix Nobel de la paix, la maire de l’île de Lampedusa, GiusiNicolini a estimé que c’est « un sujet de honte et de déshonneur ».
«Je suis de plus en plus convaincue que la politique d’immigration européenne considère ce bilan comme un moyen de modérer le flux migratoire, quand ce n’est pas un moyen de dissuasion. Mais si le voyage en bateau est pour ces personnes la seule façon d’espérer, je crois que leur mort en mer doit être pour l’Europe un sujet de honte et de déshonneur… », écrivait-elle.
Bien sûr, ce qu’a dit le président de la République, Georgio Napolitano, est à redire : à savoir que l’Italie se sent « seule » face à ce problème dans une Europe étouffée par une grave crise économique. Et il est allé jusqu’à demander le renforcement de la surveillance des côtes d’où partent « ces voyages de désespoir et de la mort. » Surveiller seulement les côtes suffira-t-il ?
Je ne pense pas. Surtout lorsqu’on sait que ce n’est pas aujourd’hui, en 2013, que les jeunes Africains ont commencé à monter au casse-pipe pour rallier l’Europe. Hier, en 2003, l’Espagne était une destination prisée pour ces immigrés clandestins, Africains majoritairement, qui tentaient de passer (entre le Maroc et l’Espagne) au péril de leur vie. Et, encore plus important, parmi ces immigrés 10 % étaient des femmes, qui arrivaient en Espagne enceintes, ce qui facilitait d’ailleurs leur régularisation (la loi espagnole sur l’émigration clandestine prévoyait la régularisation des personnes les plus vulnérables, dont les femmes enceintes ou avec enfants). Ainsi, en mai 2004, dans un reportage intitulé « Gibraltar : détroit de détresse », une jeune femme de 21 ans, Cherish, ayant fui la guerre civile qui avait embrasé le Liberia, confiait au magazine « Elle » :
« La traversée a été terrible. Nous étions plus de cinquante sur un bateau de six mètres (…) Des gens vomissaient (…) J’ai vu trois personnes se noyer. Elles étaient tout près du bord et ne savaient pas nager. On n’a rien pu faire pour elles. C’est grâce à Dieu que je suis là (Espagne). »
Mais, on sait que depuis 2001, l’Espagne avait renforcé son système de surveillance du détroit sous la pression sécuritaire de l’Europe. Ce qui n’a dissuadé ni les passeurs ni les candidats à cette immigration clandestine.
Pour faire court, il faut dire que l’Europe et le monde entier n’assisteront plus à une tragédie de cette sorte le jour où la Mondialisation sera une réalité
Boubacar Sangaré
source: Le flambeau