Remake de la guerre froide, une guerre commerciale sans merci oppose américains et chinois, deux mastodontes qui dictent leurs lois sur les marchés mondiaux. Au cœur de leur différend, le déploiement de la technologie 5G pour lequel les chinois ont une belle longueur d’avance – 12 à 18 mois – sur le reste du monde industrialisé y compris la grande Amérique. Or, comme on peut l’imaginer aisément, l’Amérique du très unilatéraliste et protectionniste président Donald Trump n’apprécie guère être distancée par la concurrence sur des questions aussi sensibles comme la technologie, la conquête spatiale… Si en plus les puissances qui ont l’outrecuidance de lui faire ce pied-de-nez s’appellent Russie ou Chine, l’affront n’en est que plus insupportable. Depuis qu’il est arrivé aux affaires, Trump est coutumier de colères homériques à la limite de l’hystérie et de l’enfantillage sur les questions commerciales. C’est ce qui arrive avec la 5G, cette technologie de « … cinquième génération des standards en matière de téléphonie mobile ».
Dans un article sous forme de questions-réponses publié le 02 mai 2019 par Julien Lausson sur le site numerama.com et intitulé 5G : tout comprendre au réseau mobile du futur en 10 questions (https://bit.ly/2Boc3jx), on appréhende mieux les enjeux de cette technologie de rupture. À l’horizon 2020, la 5G supplantera l’antique 4G et la guerre pour capter des parts de marché fait rage, au point qu’elle réduira toutes les guerres du XXème siècle au rang de « détail de l’histoire ».
D’entrée, il faut savoir que « … cette nouvelle norme apportera des débits plus importants encore, mais aussi un temps de latence bien plus faible qu’aujourd’hui». Pour tout dire, écrit notre confrère, «… la 5G ne doit pas être vue comme une simple évolution de la 4G. C’est en réalité une technologie de rupture ». Ce que confirme l’Agence nationale des fréquences (France) qui soutient que la 5G « se distingue des générations précédentes en ce qu’elle vise, dès sa conception, à intégrer un nombre de cas d’usages inédit » et, in fine, « son employabilité promet d’être très étendue et pourra donc servir dans des secteurs variés, notamment industriels ».
Déjà en 2014, l’ex-Premier ministre britannique David Cameron déclarait : « Avec la 4G, un film de 800 Mo prend environ 40 secondes à télécharger ; avec la 5G ça serait réduit à une seule seconde ». De toute évidence, le tout premier atout de la 5G sera donc la capacité de téléchargement. Il faut savoir aussi que «… les débits en 5G seront jusqu’à 10 fois plus élevés que ceux de la 4G. Si l’on ose un parallèle, la 5G sera une sorte de fibre optique sans fil ; elle pourrait même atteindre dans certaines situations jusqu’à 20 Gbit/s. En pratique, il faut plutôt s’attendre à une expérience de navigation entre 100 Mbit/s et quelques Gbit/s ».
Sans exagération, la 5G sera à la technologie mobile ce que la Rolls Royce est à l’automobile : le très haut de gamme. Dès lors, on comprend mieux tout le ramdam et toute la guerre commerciale qu’elle suscite, impliquant à la fois les chefs d’entreprises et les chefs d’Etat.
A ce petit jeu, les chinois se sont « réveillés » plus tôt et le reste du monde découvre, estomaqué, que le panda et le dragon ont marqué un territoire aussi géant que le globe terrestre, ne leur concédant que des miettes. Ce qui, pour l’Amérique de Trump, est un casus belli. Depuis le bureau ovale de la Maison Blanche, il s’est saisi de son mythique stylo et a signé un décret de déclaration de guerre à la Chine. En un ou en mille mots, Trump interdit aux entreprises américaines et du reste du monde de vendre des équipements de pointe au groupe Huawei qu’il soupçonne d’espionnage au profit de Pékin. Les technologies étant compatibles, fabricants chinois, américains et européens faisaient jusque-là de juteux business en se vendant et s’achetant mutuellement des composants électroniques. Pour tous ces fabricants, les chinois Huawei et ZTE en tête, on ne peut pas nier que la saute d’humeur de Donald Trump tombe très mal et constitue un gros caillou dans leurs chaussures.
Par contre, même si les sommes engagées par le chinois Huawei pour le déploiement de la 5G sont faramineuses et que ce déploiement peut être objectivement sujet à un certain ralentissement, il reste entendu que le leader mondial des équipements télécoms a des ressorts insoupçonnés que l’oukase de Trump ne risque nullement d’affecter. En effet, il est de notoriété publique que Huawei réalise l’essentiel de ses ventes en Asie et en Europe, le continent américain ne représentant que 6,6 % de son résultat annuel, lequel flirtait insolemment avec 93,5 milliards d’euros en 2018.
Pour l’heure, seul l’américain Google qui équipe la majorité des smartphones avec son système Android, et le britannique EE vont se conformer aux directives de Trump. Quant au reste des européens, ils attendent, observent et se concertent pour adopter une position commune. D’autant que, selon les meilleurs spécialistes, l’interdiction de l’utilisation des équipements de réseaux produits par Huawei pourrait leur coûter jusqu’à 55 milliards d’euros. En outre, selon l’Association mondiale des opérateurs (GSMA), les opérateurs européens perdraient par ailleurs jusqu’à 18 mois dans le déploiement de la 5G, s’ils ne pouvaient utiliser des équipements de gHuawei et ZTE.
GSMA estime que le suédois Ericsson, le finlandais Nokia et le sud-coréen Samsung sont incapables, à eux trois, de combler le vide laissé par les équipementiers chinois. Toutefois, l’épée de Damoclès brandie par Trump semble faire son petit effet, et le finlandais Nokia ramasse à la pelle des contrats européens pour le déploiement de la 5G. SelonFedericoGuillen, président de l’activité clients de Nokia, son entreprise a réussi à obtenir 42 commandes pour des infrastructures liées à la prochaine génération de réseau mobile. Huawei en serait à 40, contre 19 pour Ericsson. Mais on ne pourrait se baser sur cette tendance conjoncturelle pour tirer des conclusions hâtives.
Serge de MERIDIO
Source: Infosep