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Christophe Dabiré : « Elargir la lutte contre le terrorisme aux pays africains non attaqués est une mauvaise idée »

Ceci est une tribune de Christophe Dabiré, philosophe et analyste politique.
En matière de lutte contre le terrorisme, on dira que toute idée de coalition et de solidarité pour le vaincre, puisqu’il s’agit aussi de guerre, est la bienvenue. Et qu’il vaut mieux avoir n’importe quelle idée que de pas en avoir du tout. Encore faut-il également avoir l’idée et le courage de dire que telle ou telle solution proposée n’est pas bonne.
En l’occurrence, nous ne voyons pas en quoi la proposition faite par Macron (et Merkel) au dernier sommet du G7 d’élargir le périmètre de la lutte contre le terrorisme aux pays du Golfe de Guinée, ou aux « partenaires » non sahéliens de la CEDEAO, méritait l’intérêt et l’attention que lui ont accordés les dirigeants africains dans leur lutte contre le terrorisme dans l’Ouest du continent.
D’une part, rien ne justifie la délimitation arbitraire de ce périmètre de sécurité aux seuls pays du Golfe de Guinée qui s’étendent du Sénégal à l’Angola, ni aux seuls pays de la CEDEAO, à l’exclusion des pays du Maghreb voisins pourtant du sahel, et de ceux de l’Est et du Sud du continent africain. Il n’est pas cohérent de dire que tous les pays sont concernés par le terrorisme, et d’en isoler seulement quelques-uns comme « périmètre de sécurité », en sachant que ce périmètre touche forcément d’autres Etats : en droit, et en bonne logique, ce périmètre n’a pas de limites définissables si ce ne sont les limites du monde dont on dit qu’il est tout entier exposé au terrorisme
D’autre part, si l’on s’en tient naïvement à l’adage selon lequel « l’union fait la force », le G5 Sahel aura démontré qu’une union de faibles n’en fera jamais une force ni une puissance face au terrorisme. Rassemblez autant d’Etats pauvres et faibles que vous voulez, vous n’en ferez pas une puissance ni militaire ni économique
C’est pourquoi, il nous semble, la proposition de Macron cache davantage une ruse pour financer la lutte anti-terroriste au sahel, puisque les partenaires européens et occidentaux ne peuvent/veulent pas tout financer, que pour renforcer les Etats africains confrontés au terrorisme . Autrement dit, le « périmètre sécuritaire » est surtout un cordon de sécurité financière, car il impliquera les poids lourds de l’économie ouest-africaine que sont le Sénégal, la Côte-d’Ivoire et le Ghana (et les pays pétroliers que sont le Gabon, le Congo-Brazza, et l’Angola s’il s’agit des pays du Golfe de Guinée). Le G5 Sahel compte au contraire quatre pays qui sont parmi les plus pauvres d’Afrique et du monde (Burkina, Mali, Niger et Tchad)…
Mis à part donc ce présupposé financier de la proposition de Macron (à supposer même que des pays africains « plus riches » acceptent de financer la lutte contre un terrorisme qui ne les frappe pas, ou pas encore, le rapport entre l’Afrique et l’Occident étant le même que celui entre les Etats africains pauvres et ceux des plus riches), on trouvera même que cette idée d’élargir le périmètre de la lutte contre le terrorisme n’est pas seulement mauvaise mais dangereuse :
S’il y a bien une chose que chacun, expert ou non, sait des terroristes, c’est leur logique qui est une psychologie consistant à attaquer et harceler, tôt ou tard, mais systématiquement tout Etat qui se proclame en guerre contre eux, ou qui supporte activement les puissances occidentales qui les combattent : élargir la lutte anti-terroriste à des pays jusque-là épargnés ne fera que propager le terrorisme au-delà et en dehors du sahel…
Alors que tous les experts militaires nous disent que le sahel est une zone trop vaste pour surveiller et maîtriser les groupes terroristes, on ne voit pas comment on pourra maîtriser un terrorisme qui se sera propagé dans toute l’Afrique de l’Ouest, voire dans tous les pays du Golfe de Guinée ; ni avec quels autres moyens que ceux que l’on n’a déjà pas pour le seul sahel…
Si l’on voulait vraiment contenir le terrorisme, on penserait plutôt à abandonner la logique des seuls moyens de financement qui poussera inévitablement à la contagion et à l’expansion terroristes, en faveur d’une méthode et d’une logique plus médicales : pour traiter une épidémie, les médecins recourent au confinement (rétrécissement) des espaces et à la mise en quarantaine des malades ou suspects, plutôt qu’à l’ouverture des frontières et des espaces de déplacement. Resserrer le périmètre d’action, pas l’élargir.
En outre, cette idée d’élargir le périmètre de la lutte contre le terrorisme est mauvaise en ce qu’elle refuse de commencer par constater que le nombre de pays ouest-africains qui ne sont pas frappés par le terrorisme dit islamiste est plus grand que celui des pays régulièrement attaqués (Mali, Burkina) : chercher à savoir plutôt ce qui fait que tous les pays de la CEDEAO et des pays du Golfe de Guinée ne sont pas attaqués par les terroristes pour en tirer de bonnes leçons et de bons exemples pour le sahel aurait été une meilleure idée
Car, de deux choses, l’une : ou bien les terroristes cherchent à frapper tous ces Etats ouest-africains mais n’y arrivent pas sauf au Mali et au Burkina (moins au Niger, et pas du tout en Mauritanie), ce qui prouverait que ces Etats n’ont pas attendu Macron et Merkel pour assurer et assumer leur sécurité ; ou bien il n’est pas vrai de clamer partout que lesdits terroristes en veulent à tous les Etats et peuples de la terre.
C’est à la fois un mystère et une faute de ne pas chercher à savoir pourquoi il y a des attaques au Mali, au Burkina, et dans une moindre mesure au Niger, plutôt qu’au Togo, au Libéria, en Sierra Leone, au Bénin, au Ghana, au Congo-Brazza, au Gabon… Et pourquoi la Côte-d’Ivoire, après avoir été surprise à Grand Bassam par le terrorisme, n’a plus subi d’attaque sur son sol.
Il y a sans aucun doute de bons exemples vertueux à imiter en Afrique et entre Africains en matière de contention du terrorisme qui ne passent pas toujours par les moyens : le Libéria, la Sierra Leone, le Togo, le Bénin et même le Ghana, le Sénégal, la Côte-d’Ivoire et d’autres Etats africains qui ne sont pas régulièrement attaqués ne sont pas des super-puissances militaires comparées au Mali et au Burkina.
Au lieu de partir des Etats non attaqués comme de bons exemples, on veut en réalité élargir les mauvais exemples du Mali et du Burkina à d’autres Etats qui sont épargnés par le terrorisme. Au lieu que le Burkina et le Mali apprennent des « secrets » et méthodes (plutôt que des seuls moyens) utilisés par le Sénégal, la Guinée, la Côte-d’Ivoire, le Ghana… pour ne pas être régulièrement attaqués, alors que tous, nous dit-on, sont exposés au même terrorisme, nos dirigeants africains préfèrent s’en remettre à une idée qui sera d’abord examinée et débattue entre Macron et Merkel pour ensuite être expérimentée en Afrique…
Il est vrai que quand on n’a pas d’idée du tout, on ne peut donc pas avoir même l’idée de reconnaître qu’une idée est inutile, mauvaise, voire dangereuse. On en remercierait à la limite Macron et Merkel, qui ne sont pas des dirigeants africains, d’avoir des idées même mauvaises dans la lutte contre le terrorisme en Afrique, alors que des dirigeants africains n’ont pas d’idées tout court.
Mais centrer la lutte contre le terrorisme uniquement sur les moyens ne nous convainc pas : on a du mal à croire que des groupuscules éparpillés dans le désert, clandestins coupés et interdits du circuit financier international, aient plus de moyens que des Etats entiers. Ainsi le Nigeria et le Cameroun sont censés avoir plus de moyens que le Mali et le Burkina, parce que plus « riches », mais ils ont tout autant de difficultés pour contenir le terrorisme que ces pays sahéliens plus pauvres.
Le réflexe des Etats africains de toujours demander et attendre de l’aide de qui l’on sait les affaiblit paradoxalement face à des terroristes sans aide internationale (que ceux qui sont aidés se retrouvent plus faibles que ceux qui ne le sont pas , voilà le scandale impensé)…
On ne parle, en revanche, jamais des méthodes et stratégies propres utilisées dans tel ou tel pays africain pour prévenir et contrer le terrorisme, et qui paraissent efficaces. Pour cause : qui dit méthodes dit intelligence, rigueur et autonomie. Or c’est incontestablement dans ce domaine que les terroristes sont supérieurs aux Etats qu’ils attaquent avec facilité : parce que, ne comptant que sur eux-mêmes, ils savent inventer et bricoler des stratégies variées et non conventionnelles (la guerre dite asymétrique oblige, de toute évidence, à l’inventivité et aux idées nouvelles), malheureusement pour tuer…
Le terrorisme devrait être, à cet égard, l’occasion malheureuse d’une heureuse libération radicale du génie créateur des Africains, de leur capacité d’inventer et créer en général. On est triste de constater, au contraire, que c’est de leur incapacité à inventer des stratégies et méthodes pour s’adapter à la guerre dite « asymétrique », et non de l’insuffisance de leurs moyens (ou bien c’est encore cette incapacité d’invention qui explique cette insuffisance des moyens !) que les Africains sont faibles face aux terroristes : « Combattez comme nous, et nous vous vaincrons » ! Il ne faut pas rêver. Sauf si l’on veut (faire) rire, ou mourir…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

Source lefaso.net

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