Continent du XXIème siècle par excellence, l’Afrique va avoir à gérer d’ici 20 ans une course de vitesse impossible entre la croissance économique et l’explosion démographique. Avec toutes les retombées que l’on peut imaginer. Pays enclavé, mais au carrefour stratégique de l’Afrique de l’Ouest, le Mali en est à cet égard un exemple parlant.
Même si le pays est encore bien loin d’avoir retrouvé une paix totale et durable, comme le prouve la mort ce mercredi 21 février de deux soldats français au Mali, l’élection présidentielle du 29 juillet fera de la sécurité un enjeu déterminant pour l’avenir du pays. “Le Mali est une digue. Si elle rompt, l’Europe sera submergée”, affirme le président Ibrahim Boubacar Keita (qui sera à coup sûr candidat à sa propre succession) en nous mettant en garde contre la menace islamiste toujours présente. Face à une situation incertaine et qui inquiète, des hommes d’affaires – auxquels rien ne fait peur – continuent de miser sur leur pays et de se battre pour son développement. Tirant parti d’un emplacement géographique stratégique au coeur de la sous région (7 frontières et un marché potentiel de 350 millions de consommateurs à l’échelle de la Communauté économique des Etats d’Afrique de L’Ouest (CEDEAO)), les investisseurs dépassent souvent les frontières et développent une présence sous-régionale, à l’instar de Mossadekh Bally, fondateur du groupe hôtelier Azalaï ou encore de Mamadou Sinsy Coulibaly, Président du Groupe Klédu et du Patronat malien.
Le premier volet de ce Dossier Spécial Mali (une deuxième partie explorera la réforme du cadre des affaires et des investissements et présentera d’autres figures de l’économie malienne) propose un focus sur les Maliens qui font gagner le Mali et lui permettent de revenir sur la scène internationale. Bien au-delà de la réussite éclatante de leurs sociétés et de leurs propres affaires, ils ouvrent également des pistes originales de développement et trouvent de nouvelles solutions technologiques pour transformer le quotidien des Africains.
Qu’ils s’appellent Samba Bathily, PDG d’ADS et de Solektra International, Aliou Diallo, PDG de Wassoul’Or et de Petroma, ou Diadié Sankaré, fondateur et directeur général de SAER (Société Africaine d’Etudes et de Réalisations), ces “capitaines d’industrie” qui, en qualité de chefs d’entreprise, ont su prendre des risques, attirent aussi le regard des investisseurs étrangers tentés de s’engager en Afrique, où d’extraordinaires opportunités de croissance et de développement sont à portée de main si tant est que l’on s’en donne la volonté, le temps et les moyens.
“Faire le pari du Mali” :
de grandes rencontres pour séduire les investisseurs
Perçu comme le couronnement d’un fort engagement gouvernemental visant à faciliter les investissements, l’entrepreneuriat et la création d’emplois, ce forum a consacré la mise en place d’une série de réformes du cadre des affaires dans le but de promouvoir et de continuer à libérer le potentiel économique du pays.
Un nouveau code des investissements
Le ministre des finances, Boubou Cissé, dont sont louées la rigueur et l’efficacité, s’y est réjoui de la résilience de l’économie malienne “Notre taux de croissance oscille depuis 2 à 3 ans autour de 5,5 % à 6 %, ce qui est fort appréciable pour un pays qui sort de crise. Et les perspectives sont tout aussi bonnes pour 2018 et 2019 ; le FMI prévoit lui aussi 6 % en moyenne. Le taux d’inflation a pu être maîtrisé à 1 %. Toutes les statistiques confirment que notre économie se porte relativement bien, grâce à la politique budgétaire et monétaire que nous avons pu mettre en place et qui a donné des résultats. Elle a permis d’assurer une stabilité macro-économique qu’il faut saluer car c’est elle qui, in fine, attire les investisseurs”
Le ministre a également mis en avant une relecture et une actualisation en cours du Code des Investissements “pour tenir compte des meilleures pratiques internationales”.
Grâce à des synergies économiques fortes et fécondes, Invest in Mali a marqué le début d’une nouvelle dynamique pour le Mali. Des événements intermédiaires tels que Invest in Bamako, Invest in Gao ou Kayes suivront.
“Le Mali est prêt et disponible pour les investisseurs”, a réaffirmé Moussa Touré, directeur de l‘Agence de Promotion des Investissements (APIMALI).
Le Forum de Bamako, consacré au Sahel
Deux mois après le succès du Forum Invest in Mali, le 18ème Forum de Bamako organisé du 21 au 25 février par Abdoullah Coulibaly, Président-fondateur de l’Institut des Hautes études en Management (IHEM), attire à son tour bien des décideurs et personnalités du monde économique et politique dans la capitale malienne. Cette fois autour d’un sujet sensible qui en conditionne bien d’autres : “Aménagement du territoire de l’espace sahélo-saharien : Facteur de sécurité, de développement et de paix”
Ce “think tank”, qui a gagné le surnom de “Davos africain” et dont les travaux seront ouverts par le président malien Ibrahim Boubacar Keita, n’a pas son égal en Afrique pour mettre en relation des personnalités d’origines et de cultures souvent bien différentes, offrir une prospective rigoureuse et imaginer des solutions aux questions concrètes, qu’elles soient économiques, technologiques ou même sécuritaires, auxquelles le continent sera confronté demain. “Bien gouverner, c’est prévoir et anticiper”, rappelle Abdallah Coulibaly, l’homme qui préfère œuvrer en dehors du pouvoir (il a refusé maintes fois un poste au gouvernement) car il s’y sent plus efficace.
Diadié Sankaré,
patron de SAER-EMPLOI, société de services présente dans 8 pays avec 8 000 employés
Fondateur et Directeur général de SAER-EMPLOI (Société Africaine d’Etudes et de Réalisations), Diadié Sankaré est un homme d’affaires multicartes dont la société est confortablement installée dans le quartier d’ACI 2000 de Bamako. Mais il serait plus simple et rapide d’énumérer les secteurs de l’économie dans lesquels cet entrepreneur malien n’est pas déjà engagé ou n’a pas un projet original et innovant sous le coude. Le business est pour lui une seconde nature et, bien sûr, sa raison de vivre. “Le business, c’est comme le vélo : si on arrête de pédaler, on tombe !”, explique-t-il avec le sens de la formule qu’on lui connaît. “Chaque jour, il nous faut donc innover”, poursuit-il.
La SAER, que vous avez créé en 1993, est spécialisée dans les ressources humaines (emploi, formation, recrutement), mais vous avez su très rapidement diversifier vos activités : assurances, sécurité, consulting et maintenant agro-alimentaire…Qu’est-ce qui a fait votre succès ?
La SAER-EMPLOI, c’est la volonté affichée de nous dire qu’il faut aller toujours plus loin et que tout est possible. Cette société dont le siège social est à Bamako, est aujourd’hui une marque Panafricaine qui dispose des filiales dans 7 pays de la sous région (Sénégal, Burkina, Niger, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Togo et Benin) avec quelque 8.000 employés dont 4 000 au Mali, où notre activité est bien entendu victime du contexte. Mais cela marche très bien en Côte d’Ivoire et au Sénégal par exemple.
Plus de valeur ajoutée
Aujourd’hui toute notre stratégie est tournée vers le développement d’activités à forte valeur ajoutée, comme les plateformes digitales de gestion de personnel qui peuvent fonctionner à distance. Nous aidons l’INPS à développer le régime d’Assurance volontaire car, sur 6 à 7 millions de personnes actives au Mali, moins de 500.000 bénéficient à ce jour d’une protection sociale. C’est infime. En quatre mois, à travers nos agences commerciales, nous avons amené plus de 5 000 personnes à souscrire à une “assurance volontaire” en marge du régime général qui ne concerne que le monde salarié. Or, l’assurance volontaire offre une protection sociale (assurance vieillesse, assurance maladie, les allocations familiales, etc.) à tous les autres travailleurs du secteur informel, des professions libérales, etc… Le régime existe en réalité depuis 13 ans, mais n’avait pas pu susciter l’engouement auprès de la population concernée.
Notre implication a pour but d’assister les adhérents dans la constitution de leur dossier, d’alléger la lourdeur administrative, de diversifier les moyens de paiements, et d’apporter une flexibilité dans les modalités de paiements.
Une trentaine de sociétés
En 2007, nous avons créé Mali Créances, une société spécialisée dans le recouvrement de créances pour le compte de tiers et qui évolue aujourd’hui dans l’intermédiation bancaire via un agrément octroyé par la BECEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest).
Quelques années plus tard, fut crée IMS, société spécialisée dans les travaux d’excavation, d’extraction, de transport de minerais et de construction d’infrastructures dédiées. Depuis 2009, tous les grands miniers sont nos clients et sous-traitent avec nous. Le secteur est vraiment ouvert et la concurrence n’est pas une mauvaise chose. Puis nous avons créé en 2010 DS consulting, société spécialisée dans l’étude et le développement de marchés comme l’agro pôle de Ségou réalisé en partenariat avec la Sofreco, une entreprise française. Nous sommes également dans l’agro-business et nous avons par exemple un partenariat avec une société italienne pour produire des concentrés de fruits destinés à l’export. Une capacité de production d’environ 12.000 tonnes de produits semi-finis par an.
En 2013, nous avons également créé DSBI (Diadié Sankaré Business International) qui évolue dans la grande distribution, les passations de marchés, le transit et l’Import/Export. On importe par exemple du thé et on se focalise désormais sur les médicaments avec un agrément obtenu récemment pour les diabétiques au travers de Bio-Mali.
Enfin, nous sommes dans la sécurité avec Securi-Nord, première société malienne avec une unité cynophile d’une vingtaine de chiens – ce sont en général des bergers allemands – tous formés et dressés ici, au Mali. Et qui seront déployés bientôt sur l’aéroport international de Bamako pour détecter la drogue et les explosifs.
Vous étiez partenaire du Forum Invest in Mali qui s’est tenu à Bamako les 7 et 8 décembre derniers, quel est votre message aux investisseurs ?
Le Forum “Invest in Mali” a permis d’affirmer que le Mali est de retour sur la scène internationale. Tout le monde sait que nous sommes depuis plusieurs années dans une crise sécuritaire profonde, aussi on avait besoin d’une rencontre comme cela pour donner une nouvelle image du Mali et mieux faire comprendre aux investisseurs potentiels que le climat d’insécurité à Bamako n’est pas plus grave que dans d’autres capitales du monde.
Enfin, je dirais venez au Mali, vous trouverez des hommes d’affaires prêts à mettre la main à la poche. Nous sommes peut-être encore un pays pauvre, mais la pauvreté n’est pas une fatalité et chaque Malien est riche. Venez au Mali, car on vous aime !
Par Florence Paque et Bruno Fanucchi, envoyés spéciaux à Bamako
Source: Le Nouvel Economiste