En Afrique, la Corée du Nord a mis au point une surprenante source de revenus : le régime paria est en effet à l’origine de la construction d’immenses statues et mémoriaux éparpillés à travers le continent, qui cachent sans doute la violation de sanctions prononcées par les Nations unies.
Au sein de l’ONU comme des États-Unis, des enquêteurs soupçonnent que ces monuments constituent un vecteur de financement clé du programme balistique et nucléaire clandestin de Kim Jong-un. Certaines de ces constructions sont immenses : le Monument de la Renaissance Africaine à Dakar mesure 40 mètres de haut.
Aux alentours de la charmante ville de Windhoek en Namibie, je me tiens à l’ombre d’un autre de ces mémoriaux, tout aussi impressionnant à sa manière. Des marches en granite mènent à une statue de bronze représentant un soldat anonyme triomphant. Dans une main, il brandit une Kalashnikov, dans l’autre, ce qui semble être un lance-grenade de l’ère soviétique. Connu sous le nom de “Carré des héros”, ce monument rappelle de façon flagrante l’architecture de Pyongyang.
L’influence de la Corée du Nord
En Namibie, l’influence de la Corée du Nord se retrouve partout. Devant l’entrée dorée du Musée National, la statue du fondateur Sam Nujoma brandit la constitution du pays, tandis que le nouveau palais présidentiel s’orne quant à lui d’un immense aigle de cuivre.
On doit l’édification de ces monuments à Mansudae, une entreprise de construction étatique nord-coréenne qui fait l’objet de sanctions de l’ONU depuis 2016. Le groupe a également collaboré avec la Korea Mining Development Trading Corporation (KOMID), qui serait selon les États-Unis le principal marchand d’armes de la Corée du Nord et figure sur la liste de sanctions depuis 2009.
Bien que le gouvernement namibien reconnaisse l’existence de contrats avec Mansudae, il soutient ne rien avoir à se reprocher. “Tous les contrats ont été signés avant les sanctions de l’ONU”, a déclaré la vice-premier ministre de la Namibie Netumbo Nandi-Ndaitwah à CNN. “Dès lors que les sanctions ont été imposées, nous avons dû nous y soumettre et nous avons mis fin à tous les contrats avec la Corée du Nord.”
Plus de dix millions de dollars de revenus
Hugh Griffiths est à la tête du groupe d’experts sur la Corée du Nord de l’ONU, une instance chargée de surveiller l’application des sanctions. Selon lui, les revenus de Mansudae en Afrique s’élèveraient à plus de dix millions de dollars. “Mansudae travaillait sur de gros chantiers de construction dans pas moins de 14 états membres (de l’ONU) en Afrique. Ils construisaient toutes sortes d’infrastructures, des usines de munitions aux palais présidentiels, en passant par des immeubles résidentiels.”
Netumbo Nandi-Ndaitwah assure que tous les représentants nord-coréens ont quitté le pays, mais elle refuse toutefois de donner plus de précisions concernant la date de ce départ. Elle insiste également sur la remise de rapports réguliers par la Namibie au groupe d’experts de l’ONU, un fait contesté par Hugh Griffiths, pour qui la Namibie a laissé sans réponse certaines demandes spécifiques requises depuis plus d’un an par le groupe d’experts.
À la périphérie de Windhoek s’étend un immense complexe d’entrepôts entouré de hautes clôtures et doté de caméras de surveillance. Des lions dorés ostentatoires encadrent les portes, tandis que les murs sont ornés d’animaux sauvages. Les titres de propriété indiquent que Mansudae a acheté le terrain en 2004 et que celui-ci lui appartient toujours. Le départ s’est fait précipitamment et il y a peu de temps – une violation claire des sanctions de l’ONU.
“Pas une visite de courtoisie”
Le responsable d’une entreprise de pneus aux alentours nous a informés avoir vu des camions entrer et sortir de l’enceinte récemment, en septembre dernier. De plus, une voisine de l’autre côté du complexe a ajouté qu’elle apercevait régulièrement des véhicules gouvernementaux, reconnaissables à leurs plaques d’immatriculation caractéristiques, pénétrer dans le complexe.
“Le groupe s’est déjà rendu en Namibie auparavant et il n’y aura pas de second avertissement”, a déclaré M. Griffiths. “Si nous y retournons, ce ne sera pas une visite de courtoisie. Nous avons besoin de preuves.”