Présent au Forum économique de la Francophonie, qui se termine mardi 2 décembre à Dakar, l’économiste Nicolas Baverez invite la France à saisir “l’opportunité historique” que représente la croissance africaine. Entretien.
La Francophonie va-t-elle selon vous générer de la croissance économique?
Oui mais il est important de souligner que pour la première fois la Francophonie est envisagée non pas comme un espace culturel mais économique. Elle est un levier de développement important. La population africaine va être multipliée par deux d’ici 2050, il faut donc réfléchir à la dimension économique de la Francophonie. Et des propositions intéressantes ont été émises au Forum de Dakar comme la création de réseaux d’entrepreneurs ou un soutien accru aux PME qui doivent adosser leurs efforts aux grands groupes. Il faut aussi développer l’enseignement supérieur et permettre aux Universités européennes de créer des campus en Afrique. Il convient également d’accélérer la financiarisation de l’Afrique qui reste un continent sous-équipé dans ce domaine et cela bloque les échanges.
Croyez-vous à la création d’un espace de libre-échange des États francophones ?
L’intégration régionale serait une bonne chose. Il est important de diminuer les obstacles tarifaires. On pourrait aussi s’insérer dans ce grand réseau des accords bilatéraux que l’on voit fleurir un peu partout dans le monde. On peut enfin s’inspirer de ce que fait l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) en matière de garantie de l’indépendance des affaires, de structure de règlements des contentieux et de baisse des obstacles aux échanges.
Concrètement, que pourrait rapporter la “Francophonieéconomique” à la France?
La France est en croissance zéro. L’Afrique, elle, est en croissance de 5,5% par an depuis 2000. Si elle réussit à augmenter les investissements dans les infrastructures, elle peut avoir une croissance autour de 7% et un niveau qui correspond à celui de l’Asie. Donc il ne fait pas de doute que pour une Europe qui est vieillissante, en quasi déflation, en croissance zéro, l’Afrique est une opportunité. D’autant plus que pour plein de raisons culturelles, la France est proche de l’Afrique. Mais il faut bien comprendre que ce continent ne va pas attendre la France. Aujourd’hui, il y a une formidable demande dans ce continent qui est à la veille de ses Trente Glorieuses mais si on ne fait pas l’effort d’aller vers lui, d’investir, d’autres iront à notre place. Le premier partenaire de l’Afrique c’est la Chine, le Brésil est également extrêmement présent. C’est aux Français de prendre leurs responsabilités, d’admettre qu’ils sont en concurrence. Il faut aussi arrêter de penser que l’Afrique est perdu pour la démocratie et le développement. Depuis 2000, l’Afrique connait des conflits mais le nombre de guerres diminue de manière spectaculaire. Les démocraties augmentent, la croissance est là : les gains de productivité sont de 3,7% et la croissance de la population de 2,5%. La mécanique du développement est en route. Nous devons donc retourner complètement nos visions sur l’Afrique et la considérer non pas comme une espèce de sous-continent quémandant de l’aide au développement mais comme une grande source de croissance au XXIe siècle qui peut aider l’Europe à retrouver du souffle et de la vigueur.
Derrière la Chine, c’est la Turquie qui investit le plus en Afrique. Pourquoi la France n’est pas plus présente ?
Regardez le mouvement des banques françaises. Elles se sont totalement désengagées de tout le continent. Il y a une régression intellectuelle dans notre pays, économique, politique. Le mouvement de repli sur l’Hexagone avec cette espèce de pseudo patriotisme économique, qui n’est rien d’autre que le fait de se regarder le nombril, est terrible. Depuis 2000, on a perdu la moitié de nos parts de marché en Afrique. D’accord la Chine a émergé mais le repli français est totalement à rebours du mouvement historique. Notre pays, à force de refuser la mondialisation, la grande Europe, refuse les opportunités. Et l’Afrique est une opportunité. Une opportunité historique.