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Ce Cameroun que Paul Biya veut continuer à présider

Alors que les turbulences secouent la présidentielle, où en est vraiment le Cameroun, économiquement et politiquement ? Éléments de réponse.

Alors que le Cameroun avait lancé en même temps plusieurs projets d’infrastructures pendant le dernier mandat de Paul Biya, force est de constater que la situation est loin d’être reluisante. Locomotive des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), le Cameroun peine à subvenir à ses besoins. Ce, malgré la diversité de son économie, contrairement à ses voisins qui n’ont pour principales sources de revenus que le pétrole. La croissance économique au Cameroun atteindra seulement 4 % en 2018, selon le FMI. Pourtant, le pays est engagé sur plusieurs fronts infrastructurels. À côté de la construction des «  grands projets » (barrages, autoroutes, centrale à gaz, etc.) lancée au début des années 2010, année de la fin du cinquième et du début du sixième mandat de Paul Biya à la tête du pays, se sont ajoutées la construction et la réhabilitation des stades de football. De quoi favoriser la désignation du pays comme hôte de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2019. Cela dit, le pays vit sous perfusion du Fonds monétaire international (FMI) via la facilité élargie de crédits, accordée en juin 2017.

Parallèlement, il doit gérer plusieurs foyers de guerre qui se sont allumés. La menace Boko Haram depuis 2013 dans l’Extrême-Nord, les incursions des milices armées le long de la frontière avec la République centrafricaine à l’est, mais surtout la crise sociopolitique dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays, muée en «  guerre  » entre des séparatistes anglophones et l’armée. Ce tableau représente les grands défis économiques pour le candidat qui sera déclaré élu d’ici le 22 octobre prochain, à l’issue des résultats de l’élection présidentielle du 7 octobre dernier.

Des chantiers importants piétinent

Ces dernières années, le président Paul Biya a rarement participé au sommet de chefs d’État. Mais, les 3 et 4 septembre derniers, le président camerounais a fait le déplacement de Pékin, en Chine, pour participer au 3e sommet du Forum de la coopération Chine-Afrique (FOCAC). Entre autres objectifs : demander de l’aide à la Chine. Dans son message, Paul Biya a sollicité les appuis de la Chine pour financer, «  à brève échéance  », trois projets autoroutiers en cours d’exécution au Cameroun depuis plus de cinq ans : Yaoundé-Douala, Yaoundé-Nsimalen, Edéa-Kribi. Par ailleurs, le président Biya a, au nom de la «  forte amitié sino-camerounaise  », sollicité l’annulation de la dette du Cameroun vis-à-vis de la Chine. Demande à laquelle la Chine a accédé en partie.

Il faut dire que l’économie du Cameroun est plombée par la construction au même moment de plusieurs infrastructures dans les domaines de l’eau et de l’énergie, avec les barrages hydro-électriques de Memve’ele (211 Mw), de Mekin (15 Mw), celui de Lom-Pangar, de la Sanaga, de Nachtigal et de Bini à Warak (75 Mw). Toutes en chantier dont certaines en cours de finition. Ainsi de la centrale à gaz de Logbaba à Douala.

Les financements pour parachever certains de ces chantiers ont été bouclés au forceps. C’est notamment le cas du barrage de Lom-Pangar dans la région de l’Est. Le chantier de l’infrastructure de 30 MW dans la région de l’Est piétine depuis la pose de la première pierre effectuée par le président du groupe de la Banque africaine de développement (BAD), Dr Adesina Akinwumi, le 16 juillet 2017. Un an plus tard, il a fallu une deuxième cérémonie protocolaire de « lancement des travaux » par le ministre camerounais en charge de l’Énergie pour voir véritablement les travaux débuter. « Le président de la République a autorisé à titre exceptionnel un déblocage de 4 milliards de FCFA… Au même moment, la BAD a également procédé à des déblocages à son niveau. Toutes les ressources sont mobilisées pour que ce chantier soit conduit et livré dans un délai de 32 mois », a précisé le ministre Gaston Eloundou Essomba.

Malgré quelques améliorations…

Selon les chiffres du ministère de l’Eau et de l’Énergie, dans le secteur de la distribution d’eau potable, une augmentation de 31 % a été enregistrée, soit 731 080 m3/jour en 2017 contre 498 936 m3/jour en 2011. Tandis que, s’agissant de la production de l’énergie, on note – toujours selon notre source – une amélioration de l’ordre de 60 %. Soit une offre énergétique de 1 442 Mw en 2018 (pour 1,2 million d’abonnés) contre 900 Mw en 2011 (pour 800 000 abonnés). Même si pour Emmanuel Wafo, industriel et président de l’Association camerounaise des professionnels de la plasturgie, il y a beaucoup de gâchis dans ces projets. «  On estime qu’il y a à peu près 30 % de l’énergie produite qui est perdue pendant le transport. Il est souhaitable que l’État donne rapidement les moyens à la Société nationale de transport de l’électricité (Sonatrel) afin d’optimiser toute cette production. »

Idem pour d’autres projets routiers en cours. Outre les autoroutes suscitées, un second pont sur le Wouri à Douala, capitale économique du Cameroun, a été construit. Pour André Siaka, président-directeur général de Routd’Af, une entreprise spécialisée dans la construction des routes, «  sur beaucoup de chantiers sur lesquels nous sommes, les études ne sont déjà pas bien faites. Puis, l’État peine à respecter son cahier des charges, et à payer dans les temps. Autant de choses qui occasionnent les retards dans la réalisation des projets d’infrastructures  ». Des projets qui sont ainsi lancés par dizaines et pour lesquels les Camerounais subissent les affres de la crise économique actuelle, née de la chute depuis deux ans du prix du baril du pétrole.

… la corruption perdure et favorise le maintien de l’informel

Il faut dire qu’au-delà de la disponibilité des fonds, le système d’attribution des marchés publics au Cameroun est à refaire, tant la corruption y a fait son lit. « Les marchés sont généralement vendus aux entreprises qui n’ont ni expertise ni équipements et encore moins un fonds de roulement », regrette un promoteur de PME local. Occasion aussi de regretter le difficile accès au financement des vraies PME au niveau des banques commerciales. « L’économie camerounaise est pourtant soutenue par ces PME qui représentent 90 % de l’entrepreneuriat du pays, mais elles restent très peu organisées et tout aussi peu financées  », assure Célestin Tawamba, président du Groupement interpatronal du Cameroun (GICAM). Sur ce tableau sombre, il faut rajouter la pression fiscale, de plus en plus forte.

Voilà qui justifie d’ailleurs la montée en puissance du secteur informel. « Aussitôt qu’une entreprise se met en place, le fisc se pointe. Les promoteurs n’ont même pas le temps de parachever leur mise en place. Et généralement, ce sont des taxes qui vont dans les poches de particuliers. Face à cette situation, l’on préfère de plus en plus rester dans l’informel et de garder son argent dans des tontines. Toute chose qui contribue à éloigner les Camerounais des banques au moment où le taux de bancarisation est plafonné justement à 12 % depuis bientôt une décennie », rapporte le Pr Essomba, économiste.

Faire avec le FMI, pour qui le Cameroun est un risque élevé…

Dans une correspondance datée du 9 août 2018, le ministre des Finances (Minfi) révèle que son collègue en charge de l’Économie, à travers des appels de fonds à hauteur de 695,1 milliards de FCFA, a déjà dépassé le plafond de 596 milliards de FCFA édicté par la loi de Finances 2018 de l’État du Cameroun. Ce, en violation des engagements du pays avec le FMI. Du coup, les appels de financements extérieurs sont de 102 milliards de FCFA pour le compte de l’exercice 2018. Explication : sur le plafond de 596 milliards de FCFA inscrit dans le cadrage et la loi de Finances 2018, environ 404 milliards de FCFA ont été effectivement décaissés à ce jour. Le Minfi fait connaître que «  tous les appels de fonds, à l’exception de ceux liés aux projets de la CAN 2019, ont été gelés avec effet immédiat  ». Ce gel des emprunts extérieurs est fondé sur le protocole d’accord technique signé entre le Cameroun et le FMI le 20 juin 2017.

Par ailleurs, dans un rapport publié, le 30 août dernier, le FMI affirme que « le Cameroun présente toujours un risque de surendettement élevé » alors que le stock de la dette publique du pays a augmenté de 5 % du PIB, depuis 2016. Le 9 juillet dernier, Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du FMI, a annoncé par voie de communiqué à l’issue d’un conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI), réuni le 6 juillet 2018 à Washington, que l’institution a approuvé un décaissement de 55,2 millions de dollars US de droits de tirage spéciaux, soit environ 77,8 millions de dollars en faveur du Cameroun. Le nouvel appui budgétaire du Fonds vient ainsi taire toutes les spéculations et supputations qui ont prospéré lors de la clôture de la mission de la 2e revue du Programme économique et financier du gouvernement appuyé par la facilité élargie de crédit (FEC), conclu entre le FMI et le Cameroun le 26 juin 2017, pour un montant total de 483 millions de DTS (environ 680,7 millions de dollars, soit 175 % du quota du Cameroun). En outre, l’institution de Bretton Woods estime que la croissance du pays devrait avoir ralenti à 3,2 % en 2017, principalement en raison d’une forte baisse de la production de pétrole malgré le rebond progressif des prix internationaux. Cette année, la croissance du PIB est projetée à 4,2 contre 3,2 l’année dernière et 3,7 en 2016.

Voilà donc qui plante un décor morose pour un Cameroun où le panier de la ménagère souffre. Entre chantiers en cours de réalisation, plaintes des agents de l’État, menaces sécuritaires à l’Ouest et à l’Extrême-Nord qui induisent de nouvelles dépenses, mobilisation pour gérer les personnes déplacées…, le Cameroun est assailli de nombreuses priorités économiques et politiques. De quoi promettre à Paul Biya ou à son quasi improbable successeur un mandat loin d’être de tout repos.

Source: lepoint

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