Chaque jour ou presque, des grappes de migrants venus du sud du Sahara se massent au croisement de la rue Jaraba et de Ben Achour, dans le centre de Tripoli. Il est 8 heures du matin et ils attendent sans broncher l’arrêt d’un de ces camions qui distille du travail, de temps à autre. Un peu partout dans la capitale libyenne en proie aux attaques subites de milices ou de groupes terroristes, ils font partie du décor et suscitent l’indifférence.
Depuis le 17 janvier, les discussions de ces migrants ressemblent à celles de commentateurs sportifs : « match nul à répétition », « buts de dernières minutes », « corner »…Tout tourne autour de la CAN. Mais cette compétition panafricaine qui passionne tant sur le continent, ils ne peuvent la suivre comme ils l’aimeraient, ensemble autour d’un écran de télévision.
« C’est très difficile de voir les matchs, affirme Sidi-Mohamed, un Nigérien de 24 ans, qui se fait le porte-parole du groupe de migrants devenus supporters. L’abonnement à BeIN Sport [le diffuseur] est trop cher, c’est au moins 80 dinars [environ 53 euros]. On ne peut pas se regrouper chez ceux qui l’ont car les matchs démarrent à partir de 18 heures Et pas question de sortir la nuit ». Depuis la chute de Kadhafi, les Africains subsahariens sont régulièrement la cible d’attaques et de rackets.
Quid des cafés, abondant, surtout à Ben Achour, et qui diffusent du foot toute la journée, surtout les championnats européens ? « Nous n’y sommes pas les bienvenus. Si on y entrait, on se ferait virer ! » se lamente Pierre, un Ivoirien, à la soigneuse coupe Afro, avant de s’engouffrer dans un camion, en route pour un travail de quelques heures, ou quelques jours, vers une destination inconnue. Ce jour-là, les Éléphants n’auront pu faire mieux qu’un match nul contre le Mali. Pierre, lui, aura sauvé sa journée.
Face à ces obstacles, les fans du ballon rond africain n’abdiquent pas. L’astuce la plus répandue est de modifier l’orientation des paraboles – tous les immeubles en sont équipés – pour capter les chaînes tchadiennes. « Ça coupe souvent, on ne connaît pas l’heure des retransmissions, mais c’est la meilleure solution », assure Sidi-Mohamed. Pour les plus malchanceux, les résumés se font par téléphone ou sur les trottoirs de Tripoli…
Comme Sidi-Mohamed, Abdullah est Nigérien et comme lui, il supporte le Ghana dans cette compétition. Les ressemblances s’arrêtent là. Abdullah peut voir les matchs chez lui, tranquillement ou presque. Employé depuis dix ans dans une station d’essence, il a obtenu de son patron Nigérien l’autorisation de se payer BeIN Sports. Alors, les quatre travailleurs partagent une même pièce exiguë à l’arrière de la station d’essence. « On travaille jusqu’à 22 heures, donc on ne peut voir que la fin des deuxièmes matchs qui débutent à 21 heures en Libye. Mais on ne va pas se plaindre », lâche-t-il avec un brin de fatalisme panaché à l’espoir de voir son équipe gagner et de quitter cette Libye hostile aux subsahariens et indifférente au football africain.
Source: lemonde.fr