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Campus universitaire de Badalabougou : Qui pour arrêter la violence ?

Affrontements à coups de machettes, tirs à balles réelles, menaces sur le corps professoral, business juteux, l’Association des élèves et étudiants du Mali a transformé la «Colline du savoir» en un véritable champ de bataille où le sang ne cesse de couler.

Nous sommes le 19 novembre 2004. Deux groupes d’étudiants s’affrontent au sujet de la tenue ou non des examens partiels au sein d’une faculté. Après une brève altercation, un leader estudiantin est maîtrisé par le camp adverse et a fini par trouver la mort dans des circonstances troubles. Une année plus tard, l’affaire a été jugée par la Cour d’assises de Bamako qui a condamné les meneurs de ces troubles à un an de prison avec sursis.

Depuis cette date, la violence s’est installée au campus universitaire de Badalabougou qui abrite plusieurs universités. L’endroit est devenu dangereux aussi bien pour les étudiants que pour le corps enseignant. En effet, chaque année, l’élection des bureaux de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) des différentes facultés donne lieu à des échauffourées dont l’issue est parfois dramatique. Échanges de tirs à balle réelle, attaques à la machette, les étudiants se livrent à des batailles rangées afin de prendre le contrôle du bureau de l’AEEM de leur faculté.

Le dernier épisode de cette violence remonte au 12 octobre courant. Elle s’est produite au sein de l’Institut universitaire de gestion (IUG) à l’occasion du renouvellement du bureau de l’AEEM. Cet indicent malheureux a causé la mort à l’étudiant Sadio Moussa Kanté en licence II commerce international. Il y a eu aussi plusieurs blessés dont cinq graves.
La direction de l’IUG a été obligée de suspendre les activités pédagogiques et administratives pendant 72 heures, en attendant que des dispositions soient prises pour assurer la sécurité des travailleurs et des étudiants.

UNE CASERNE MILITAIRE- Jeudi 22 octobre 2020, le calme était revenu sur le campus universitaire de Badalabougou communément appelée la «Colline du savoir». Les cours avaient repris presque normalement dans les différentes facultés. Mais ici, le sujet de la violence entre étudiants ou à l’égard du corps enseignant est tabou. Par peur de représailles, beaucoup préfèrent se taire.

Un étudiant de l’IUG, visiblement pas à l’aise pour évoquer le sujet, s’est contenté de dire que les perturbations de l’AEEM sont une triste réalité qui joue sur le programme universitaire. Au niveau de l’administration, c’est également le silence radio. Avec notre insistance, un responsable lâche : «même présentement, nous sommes en train de gérer une crise, car il y a encore des groupes d’étudiants qui veulent s’affronter».

À la Faculté des sciences et techniques se trouvent les dortoirs des étudiants. Mais aussi le QG du bureau de coordination de l’AEEM. Parler de l’AEEM ici est un gros risque qu’aucun étudiant ne veut prendre. Un groupe d’étudiants nous fait signe d’aller dans un coin tranquille pour dénoncer «l’immaturité, la barbarie et l’irresponsabilité des dirigeants de l’AEEM et de leurs complices». «On dirait souvent que nous sommes dans une caserne militaire. Des nouvelles recrues de l’AEEM chantent à l’honneur de leurs dirigeants», dénonce l’un de nos interlocuteurs. Une étudiante, très angoissée, se plaint du surnombre dans sa chambre au campus. «Au lieu de trois, l’AEEM a installé huit lits dans notre chambre», déplore-t-elle.

À la Faculté de droit privé, l’amertume et l’angoisse se lisent sur le visage des étudiants parce qu’ils sont en retard sur l’année universitaire par rapport aux autres facultés en raison du fait que les membres de l’AEEM ont empêché la tenue des examens. Notre passage a coïncidé avec les examens de l’année 2018-2019.

«Le décanat voulait organiser les examens au titre de l’année 2018-2019. L’administration a pris les dispositions sécuritaires afin que les étudiants puissent composer, mais l’AEEM a boycotté et seuls cinq ou six étudiants ont pu composer», regrette Fatoumata Diallo en licence III. Elle explique qu’après, les dirigeants de l’AEEM ont été arrêtés et jetés en prison. Aussitôt, le bureau de coordination de l’AEEM a décrété une grève illimitée pour l’ensemble des facultés jusqu’à ce que leurs camarades soient libérés.

Pour cet autre étudiant, tant que l’AEEM continue d’exister, il n’y pas de paix ni de quiétude dans le milieu estudiantin. Un avis partagé par la majorité de nos compatriotes. Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’entre eux ont souhaité la dissolution de l’AEEM après les événements du 12 octobre dernier.

«Je ne peux que m’en prendre aux différents gouvernements. Ce sont les politiques qui sont complices de la situation. Par exemple, la plupart des anciens dirigeants de l’AEEM sont directement nommés chargés de mission dans les départements ministériels», fulmine Amadou Sidibé, responsable dans une banque de la place.

Manifestation des étudiants réclamant l’amélioration de leurs conditions d’études

DES PROFESSEURS INQUIETS- Le corps professoral est également inquiet de la violence dans son lieu de travail. «Souvent, on arrive la peur au ventre. Nous recevons tout le temps des menaces. Il y a des étudiants qui ont l’habitude d’aller faire sortir les enseignants des salles de classe pour les séquestrer. C’est très grave. Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités face à la situation», s’indigne une enseignante.

Le secrétaire principal de la FDPU, Dr Mamadou Fomba, qui sert depuis 22 ans dans cette faculté, en a vu de toutes les couleurs avec l’AEEM. Selon lui, la violence n’est pas que physique, elle est aussi psychologique. «L’AEEM m’a séquestré dans son bureau en 2012, avec l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur qui était mon doyen à l’époque, pour nous sermonner. C’était par rapport au problème de l’admission des étudiants», se souvient-il. «Ils ont crevé les pneus de mon véhicule comme ceux des autres administrateurs. Quand les violences commencent, tout le monde a peur. Nous sommes tous exposés ici», fulmine notre interlocuteur.

À l’en croire, il faut la résistance de l’administration des facultés sinon l’AEEM veut la cogestion des examens. Dr Mamadou Fomba nous conduit dans un bureau pour nous montrer des machettes et des pistolets saisis sur des étudiants.
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de 2012 à 2018, on comptabilise environ une dizaine de morts et plus de 500 blessés.

Les étudiants s’affrontent avec des machettes, des gourdins, des pistolets de fabrication artisanale et même des pistolets automatiques. «Lors des fouilles durant cette période, on a saisi plus de 200 pistolets, 500 machettes, 1.000 gourdins et bâtons, des tenues militaires, des munitions pour armes de guerre, des faux billets, des addictifs (drogues et autres). Tous cet arsenal a été retrouvé dans les dortoirs et les chambres d’étudiants», détaille le colonel Nouhoun N’Diaye.

Quid des causes de la violence ? Pour le secrétaire principal de la FDPU, le premier facteur c’est l’argent parce que formellement, une convention de partenariat lie l’AEEM et le gouvernement. De façon informelle, dit-il, les militants de l’AEEM qui sont proches des leaders passent tout leur temps à racketter leurs camarades pendant la période de perception des trousseaux et des bourses. «Raison pour laquelle on assiste à des querelles de leadership entre les étudiants», souligne Dr Mamadou Fomba.

Les armes saisies lors d’une perquisition de la police au campus universitaire

200 PISTOLETS- Le second facteur, poursuit-il, concerne la gouvernance même des institutions de l’enseignement supérieur et scolaire. «Lorsque vous êtes leader, vous avez beaucoup de chance d’être admis même si vous ne travaillez pas. Donc, tout le monde veut entrer dans le cercle des leaders. C’est une situation alléchante», déplore-t-il. Dès qu’on est leader étudiant, on se fait de l’argent et on est sûr qu’on est admis en classe supérieure. Voici en gros, les deux gros facteurs qui font qu’on assiste souvent à des scènes de violence dans l’espace universitaire. Le commissaire principal Idrissa Sangaré en charge du commissariat de police du 4è arrondissement et ses hommes effectuent permanemment des descentes sur le campus universitaire de Badalabougou suite à des agressions.

«Lors de la dernière opération, nous avons saisi des pistolets automatiques et des machettes», précise-t-il. Parlant de la violence du 12 octobre dernier à l’IUG qui a fait un mort et plusieurs blessés graves, il dira qu’une enquête a permis de mettre la main sur certains présumés auteurs. «Cinq étudiants ont été interpellés et placés en garde à vue au 4è arrondissement. Ils devaient être déférés le 26 octobre à la prison centrale. Ils portaient tous des armes», révèle le commissaire.

Quant au secrétaire général du bureau de coordination de l’AEEM, Moussa Niangaly, il reconnait que les armes circulent dans l’espace universitaire depuis longtemps. Il accuse le gouvernement en indiquant que la «Colline du savoir» n’est ni sécurisée ni clôturée. «Nous demandons chaque fois au gouvernement d’organiser des fouilles inopinées, même si on n’informe pas l’AEEM. Si nous avons des camarades qui ont des armes sur la colline, il faut les arrêter parce que la colline est réservée à la formation», dit-il, ajoutant que sans clôture, tout le monde a accès au campus universitaire.

STOPPER LA VIOLENCE- Si tout le monde est unanime qu’il est impératif de trouver une solution à ce fléau, aucune décision n’est encore officielle au niveau du département en charge de l’enseignement supérieur. Plusieurs options sont en phase d’étude. «Pour le moment, le département n’a rien décidé pour pouvoir endiguer ces violences dans les milieux scolaires et universitaires. Tout est à l’étude», indique le colonel Nouhoun N’Diaye, haut fonctionnaire de défense auprès du ministère en charge de l’enseignement supérieur.

L’officier supérieur propose de dissoudre d’abord l’AEEM et ensuite de la recréer avec de nouveaux textes. Ou encore de la suspendre pendant la Transition pour voir ce qu’il y a lieu de faire après cette période. L’autre possibilité, explique-t-il, c’est d’abroger toutes les conventions signées avec l’AEEM et lui retirer la gestion des parkings sur le campus. Quoi qu’il en soit, le colonel Nouhoun N’Diaye prévient qu’il est grand temps qu’on prenne le problème à bras le corps sinon l’école malienne est à terre. «On n’étudie plus», s’insurge-t-il.

Les études constituent le cadet des soucis des dirigeants de l’AEEM qui ne seraient d’ailleurs plus des étudiants. «Ce sont soit des exclus, soit des étudiants qui ont terminé leur cycle et ayant déjà leur diplôme», confirme le colonel Nouhoun N’Diaye. C’est dire que ces dirigeants ne militent pas pour la cause des étudiants encore moins pour la qualité de l’éducation.

De leur côté, les responsables des institutions d’enseignement supérieur et de recherche suggèrent la suspension de l’AEEM dans tous les établissements scolaires et universitaires, au moins pendant la période de la Transition.  Il y a moins d’un mois, ils ont adressé une déclaration au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, pour «attirer son attention sur les violences qui sont devenues endémiques dans nos différentes structures». Après le rappel de quelques faits qui font froid dans le dos, ils ont proposé une suspension de l’AEEM durant la période de la Transition.

«Pendant la période de suspension, on peut restructurer de telle sorte qu’on peut avoir des associations des élèves et étudiants sans qu’il y ait une structure qui fédère l’ensemble des associations», propose Dr Mamadou Fomba.

Oumar DIAKITÉ

Source: L’Essor- Mali

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