Certains acteurs de la chaîne de solidarité sont de mauvais payeurs. Cet état de fait représente une menace réelle pour la pérennité du mécanisme qui permet pourtant de sauver des vies
La réduction des décès maternels et néonatals demeure une préoccupation réelle dans les pays du continent. De têtes couronnées de la médecine, notamment le Pr Mamadou Traoré, gynécologue obstétricien et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Dr Alexandre Dumont, directeur de recherche au même institut et Jean Richard Dortonne, spécialiste de santé communautaire, exerçant au Canada, ont même coécrit un livre intitulé «Audit des décès maternels dans les établissements de santé» dans lequel ils expriment leur colère contre un fléau qui interpelle à la fois les autorités et la conscience collective dans nos pays. Ceux-ci ont pourtant bien compris l’urgence et la nécessité d’agir pour circonscrire le phénomène.
Cela passe par la célérité dans la prise correcte des problèmes de la femme et de l’enfant, notamment les urgences obstétricales à travers la référence-évacuation du premier niveau de la pyramide sanitaire : les centres de santé communautaire (Cscom) vers le deuxième niveau constitué par les centres de santé de référence (Csref). à cet effet, il a été initié la Caisse de solidarité pour financer cette référence-évacuation dans les cas d’urgences obstétricales et de celles des enfants de moins d’un an. Le mécanisme repose sur les cotisations des principaux acteurs de la collectivité à savoir la mairie, les Cscom et les Csref. L’état met à la disposition du Csref une ambulance. Dans la pratique, les choses vont à deux vitesses ou ne fonctionnent pas à souhait partout et la situation renvoie à un questionnement légitime sur pourquoi il y a un grain de sable dans l’engrenage ?
Le premier hic reste le non paiement des contributions par les différents acteurs de cette chaîne de solidarité. Certains Cscom sont pointés du doigt pour manquement à leur engagement. On leur reproche de fonctionner sur le dos des autres contributeurs qui s’acquittent régulièrement de leurs quotes-parts. Ces contributeurs espèrent voir ces structures revoir la copie à ce niveau pour continuer d’alimenter la Caisse de solidarité et assurer la pérennité du mécanisme. En Commune III du District de Bamako, les Associations de santé communautaire (Asaco) en charge de la gestion des Cscom doivent payer chacune 6.000 Fcfa par mois en guise de cotisation en faveur du système de référence-évacuation. Mamoutou Sow, chef comptable au niveau du Csref de la Commune explique que toutes les Asaco ne sont pas à jour dans le paiement de leurs contributions. Certaines n’ont pas déboursé le moindre kopeck l’année dernière.
Il cite volontiers parmi les mauvais élèves, l’Assaco de Tomikorobougou (Asacotom) et le Cscom de Ouolofobougou-Bolibana (Asacoob) qui, auraient même bénéficié en 2019 de traitement de faveur en effaçant leurs arriérés afin qu’ils repartent sur des bases plus saines. Le financier du Csref regrette de constater le même statu quo. Il ne se réjouit pas non plus de la situation de la mairie de la Commune III qui devrait normalement payer 3,4 millions de Fcfa par mois à la Caisse de solidarité. Mais l’hôtel de ville a trouvé le moyen de s’en tenir au paiement d’un million de Fcfa, depuis des années maintenant. Il révèle aussi que le Csref dont la quote-part est estimée à 2 millions de Fcfa est ainsi contraint de prendre entièrement en charge la gratuité du transport des enfants et des femmes enceintes.
Le non paiement des contributions pour la Caisse de solidarité fait grincer des dents. Mais, le chef comptable préconise une large sensibilisation sur les vrais enjeux du système.
Il explique sans prendre des gants les risques encourus pour les malades. «Si cette solidarité s’arrête, le patient en pâtira parce que quand celui-ci na pas d’argent ce serait la mort ou le transfert se ferait dans les pires conditions». En 2020, le Csref de la Commune V a accueilli 1.042 patients à travers le système. Ce Centre compte 12 Cscom qui doivent apporter 10% de l’ensemble des frais de la Caisse de solidarité, soit 44.000 Fcfa par structure. Mohamed Coulibaly, comptable au Csref de la Commune V, indique qu’en 2018 seulement 2 Cscom avaient réglé leurs cotisations. Mais la tendance est en train d’être inversée à ce niveau puisque l’année dernière, la totalité ou presque des Cscom étaient à jour dans le paiement de leurs quotes-parts.
Mais il déplore le fait qu’il faut attendre de mettre la pression sur eux pour qu’ils honorent cet engagement. Son collègue Dr Adama Dembélé, attaché de recherches au même établissement de soins, incrimine la mauvaise gouvernance dans les Cscom de son district sanitaire comme source de toutes les difficultés rencontrées dans le fonctionnement de la Caisse de solidarité.
Il déplore que le comité de gestion de cette Caisse n’arrive pas à ouvrir un compte bancaire pour loger les fonds destinés au système de référence-évacuation. Il évoque le cas précis de son centre qui a été contraint de garder ce fonds dans le compte personnel du comptable.
Pour lui, les cotisations servent à prendre en charge l’entretien et le carburant de l’ambulance ainsi que les primes du chauffeur et de l’agent de santé qui accompagnent le sujet malade. L’attaché de recherche rend hommage à la mairie de la Commune V pour sa régularité dans le payement de sa quote-part depuis 5 ans. Cette municipalité paye les 65% de l’ensemble des frais annuels de la Caisse.
La responsable du service du développement communautaire à la mairie de la Commune III, Nassira Kéita, indique que son conseil municipal fait des efforts importants pour mobiliser sa contribution à la Caisse. Elle suggère que le Csref envoie chaque année à la mairie la situation des évacuations et autres besoins pris en charge par la Caisse de solidarité.
Djibril Togo, président intérimaire du comité de gestion de l’Asacoob reconnaît que son centre ne paye pas régulièrement sa cotisation. Mais il promet de s’impliquer personnellement pour que son centre figure en 2021 parmi les contributeurs réguliers. «Quel que soit l’état de nos finances, on paiera».
Selon lui, la faible affluence des patients vers l’Asacoob justifie l’insuffisance des recettes à faire face à des charges, notamment le paiement de la contribution à la Caisse de solidarité. Il invite les autorités sanitaires à accompagner le Centre et les responsables des Asaco à œuvrer à la satisfaction des besoins de la communauté.
Dr Moussa Koné, sous directeur de la lutte contre la maladie à la direction générale de la santé et de l’hygiène publique fait remarquer qu’il faut des bons leaders au niveau des Asaco pour hisser les Cscom à hauteur de mission et espérer d’eux plus. à le croire, ceux-ci ont même des problèmes à payer les salaires du personnel. Notre interlocuteur de la direction générale de la santé et de l’hygiène publique estime que l’initiative de la Caisse de solidarité est salutaire dans son essence parce qu’elle permet de sauver des vies humaines. Pour lui, il faut aplanir les difficultés pour palier le retard dans la référence-évacuation de la femme enceinte par exemple. Il en appelle de ses vœux l’instauration d’une gouvernance vertueuse au niveau des Asaco afin de pouvoir alimenter la Caisse de solidarité. Et de demander aussi aux élus communaux de faire de la lutte contre la mortalité infantile et maternelle une priorité absolue.
Mohamed D. DIAWARA
Source: L’Essor