Selon le chercheur Boukary Sangaré, le gouvernement malien devrait avoir des approches adaptées à chaque zone dans le Centre.
Dans un rapport rendu public en octobre dernier, intitulé Impact des groupes armés sur les populations au nord et au centre du Mali, le Stockholm International Peace Reseach Institute (SIPRI) s’est penché sur la perception des populations des groupes armés au nord et centre du Mali. Le rapport, qui insiste sur l’émergence des groupes armés extrémistes ou à base communautaire, dégage également des pistes de solution et des adaptations souhaitables pour la stabilité durable du pays. Boukary Sangaré, consultant sur les questions sécuritaires au Sahel à l’Institut d’études de Sécurité (ISS) et co-auteur, revient pour Benbere sur les principales conclusions du rapport.
Benbere : Comment la présence des groupes armés est vécue quotidiennement par les populations du nord et du centre du Mali?
Boukary Sangaré : Dans le rapport, les groupes armés sont catégorisés. Il y a les groupes signataires de l’accord, notamment la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), la Plateforme. Il y a aussi les groupes extrémistes violents, comme la Katiba Macina, la brigade de Serma et Ansardine, membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, coalition djihadiste créée en mars 2017. Par ailleurs, le rapport s’intéresse aussi aux groupes d’autodéfense ou milices qui se réclament de certaines communautés aujourd’hui dans le Centre. La présence de groupes armés est vécue différemment. Si vous vous entretenez, par exemple avec des gens à Ke-Macina, sur ce qu’ils pensent des chasseurs, certains vous diront : « Si ce n’était pas eux, nous ne serons plus là. Aujourd’hui nous apprécions les chasseurs plus que l’armée, plus que l’État malien, puisque ce sont eux qui assurent notre sécurité ». Et certains Dogons ont la même perception de Dan Nan Ambassagou, mais sont contre la Katiba Macina. Alors que dans les zones qu’il contrôle, des populations ont également une perception positive de ce groupe.
Quelles sont les interactions entre les groupes armés et les populations ?
Ces groupes sont de fins stratèges. Ils essayent tant bien que mal de gagner la confiance des populations. C’est pourquoi, même ceux qui sont censés appliquer la charia essayent de ménager les populations le temps qu’elles les acceptent. Bien que, parfois, ils s’attaquent à des chefs locaux. Évidemment, cela fait partie de la stratégie d’implantation : ils s’attaquent à un leader, l’éliminent pour créer la peur et ainsi gagner la soumission des autres. En gros, ils manient la carotte et le bâton.
Qu’est-ce que la présence de ces groupes armés multiformes a changé au Nord et au Centre ?
Ce sont des cas différents. Dans le Nord, nous avons beaucoup parlé de groupes signataires de l’accord. Dans le cas du Centre, il y a une interaction entre les groupes et les populations. La sécurité était plus ou moins stable dans certaines zones au moment de notre enquête en mars 2019. Il faut le dire, les gens y ont une perception négative de l’armée accusée d’exactions. Certaines populations sont protégées par les djihadistes. Avec les groupes d’autodéfense aussi, même les milices, les gens ont le sentiment d’être protégés. Ces groupes ont été créés dans un contexte de vide sécuritaire. Aujourd’hui, pour pouvoir stabiliser ces régions, il faut que l’État reprenne la main. La sécurité et la défense du territoire doivent revenir aux forces de défense et de sécurité. Le danger avec les groupes d’autodéfense, c’est que chacun se réclame d’une communauté, entraînant le Centre dans la spirale des conflits à coloration communautaire.
Comment en sommes-nous arrivés à la militarisation des revendications communautaires au Centre ?
L’appétit venant en mangeant, nous sommes passés de l’autodéfense à une guerre économique qui ne dit pas son nom au travers des enlèvements de bétail, des assassinats, des braquages. Finalement, des gens qui n’avaient aucune position sociale, sans prévalence économique, ont pris les armes et sont devenus incontournables. Je pense que le fait qu’il y ait eu l’accord au Nord et une promesse de DDR au Centre a donné envie à un certain nombre de gens, par effet d’opportunisme pour avoir de l’emploi, de s’armer. Pour certains, la solution est d’avoir une arme pour être ensuite intégrés dans l’armée. Donc, il y a l’esprit économique et de protection qui demeure toujours d’actualité.
Dans le rapport, vous avez mis un accent particulier sur le GSIM. Qu’est-ce qui le distingue des autres groupes au Centre ?
Le seul groupe actif véritablement au centre du Mali, c’est le GSIM. Ce qu’il est important de relever, c’est la stratégie de l’endogenéïsation adoptée par ce groupe, consistant notamment à mettre un peul, Hamadoun Kouffa, à la tête du groupe. En 2013 déjà, ils ont essayé de mettre en avant le fait que l’État malien n’est pas en mesure d’intégrer les pasteurs supposément défavorisés systémiquement dans les litiges et politiques publiques. Dans cette région, les gens étaient mécontents de l’administration en raison du comportement de certains de ses agents, des forces de sécurité qui y rackettent les populations. Ces failles ont été exploitées par le GSIM pour adapter son discours et bien s’installer dans la zone.
Le recours des populations aux groupes armés constitue-t-il un obstacle aux réponses politiques et sécuritaires ?
Bien sûr, c’est un obstacle et il faut que l’État sorte des approches et solutions globalisantes comme le PSIRC. L’État, à travers ses agents imprégnés des dynamiques conflictuelles, doit envisager des approches adaptées à chaque zone. C’est bien que le PSIRC lie sécurité, développement et d’autres actions comme la cohésion sociale. Mais il faudra aussi trouver les moyens d’approcher les personnes ressources au niveau local pour pouvoir dialoguer. Le dialogue est vraiment nécessaire pour sortir de la crise.
Ce dialogue devrait-il s’ouvrir même aux groupes dit « terroristes »?
Il peut et doit s’ouvrir aux groupes dits terroristes, qui sont maliens. Le dialogue est possible sans mettre de côté la justice pour les crimes graves. Mais le gouvernement peut dialoguer sur le minimum pour ouvrir les écoles, offrir les services sociaux de base. Aujourd’hui, les groupes négocient avec ceux qu’ils appellent des « mécréants », c’est-à-dire les chasseurs notamment dans le delta. Cela est possible avec l’État. Dans le Serma, par exemple, le gouvernement peut identifier le chef pour négocier avec lui le retour des services. Cela peut être un moyen d’affaiblir Kouffa, qui est aujourd’hui hyperpuissant parce qu’il a des unités, des hommes. Si le gouvernement ne veut pas négocier avec Kouffa ou Iyad, qu’il développe d’autres stratégies pour pouvoir les affaiblir. Il faut juste trouver le moyen de toucher les bonnes personnes. C’est vrai que Kouffa parle et est médiatisé mais je ne suis pas sûr qu’il ait de l’emprise sur tous ces gens qui agissent aujourd’hui de façon autonome au Centre.
Par Aly BOCOUM
Source: benbere