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Blanchiment de capitaux et financement du terrorisme au Mali : Des opérations suspectes de plus de 124 milliards recensées en 2019

La Cellule nationale de traitement de l’information financière (CENTIF) travaille à traquer les opérations de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. En 2019, les déclarations d’opérations suspectes s’élevaient à 124. 031. 986. 496 FCFA. Un montant supérieur aux dépenses de sécurité de la République du Mali, dont le montant provisoire se chiffrait en 2019 à 100 milliards de nos francs.

 

La Cellule nationale de traitement de l’information financière (CENTIF), conformément à ses missions, produit chaque année un rapport sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le Rapport 2019 est disponible depuis quelque temps et l’autorité indépendante chargée de traquer l’argent sale s’apprête même, dans les prochaines semaines, à publier les résultats de ses investigations faites en 2020.

Selon le Rapport 2019 dont «Le Challenger» a pu se procurer une copie, la CENTIF a reçu 63 déclarations d’opérations suspectes de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le montant de ces opérations est évalué à 124. 031. 986. 496 FCFA. Une somme nettement supérieure aux dépenses de sécurité de la République du Mali, dont le montant provisoire qui se chiffrait à la même année à 100 milliards de nos francs !

Il ressort du Rapport que «sur les 124. 031. 986. 496 de FCFA suspectés en 2019, la plupart résulte d’opérations transfrontalières sans justification adéquate et en inadéquation avec le profil économique des personnes physiques ou morales sur lesquelles pèsent des soupçons». *

Quid des identités des personnes soupçonnées ? Le Rapport détaille que ces personnes  « proviennent pour la plupart des secteurs informel et libéral. Toutefois, on y démontre deux personnes politiquement exposées et un agent de la fonction publique nationale. Enfin, l’identité de certains suspects est mal définie».

Résultat du travail de fourmi du Président de la CENTIF, Marimpa Samoura et de son équipe, ce rapport donne quelques exemples sur les opérations de blanchiment de capitaux.

Un enseignant à Gao avait 7 milliards dans son compte bancaire. Par la suite, il a été annoncé mort dans une attaque. Une dame responsable d’un Projet de développement a attribué un marché à sa propre mère. En contrepartie, celle-ci a remis un chèque de 30 millions à sa fille qui, à son tour, a versé cet argent dans un compte d’épargne ouvert au nom de son enfant de 2 ans.  Il y a aussi ce fonctionnaire occupant une haute responsabilité au sein de l’administration publique, notamment dans la gestion de Projets de développement, qui a acquis un bien immobilier à 250. 000. 000 FCFA. «Dans le but de camoufler l’opération, le bien acquis a été enregistré au nom de son fils étudiant dans  une université américaine». Il a diminué d’acquisition de bien à 100. 000. 000 FCFA. «Le manque à gagner pour l’Etat est énorme. L’origine douteuse des fonds et la fraude fiscale fondent le soupçon de blanchiment de capitaux. »

Les membres d’un réseau chinois ont effectué, entre le 1er septembre 2019 et 9 décembre 2019, 298 opérations de transferts d’argent vers la Chine via le service Western Union. Le montant transféré s’élève environ 887.867.440 FCFA.

«Entre février 2012 et septembre 2019, d’importantes sommes d’argent ont transité sur les comptes bancaires ouverts au nom de certaines sociétés privées et de leurs dirigeants. Les investigations menées ont permis d’établir que les flux financiers enregistrés sur les comptes bancaires de ces personnes physiques et morales sont bien plus importants que ceux qu’elles ont déclarés aux services des impôts…. Le cumul des flux financiers reçus sur les comptes bancaires identifiés, entre le 17 février 2012 et le 25 septembre 2019, s’élève à 111.388.566.776 FCFA. L’incohérence entre les profils des mis en causes et les montants portés aux crédits de leurs comptes personnels respectifs qui ne doivent en principe enregistrer que des revenus personnels (salaires et autres avantages) », rapporte le document.

Curieusement, ces opérations en destination de la Chine n’ont jamais été signalées par une banque malienne. C’est une structure allemande qui est à l’origine de cette déclaration d’opérations suspectes à la CENTIF. « Les banques ne sont pas vigilantes. Si la commission bancaire travaillait correctement, ce sont les banques qui allaient avoir chaud», lance un cadre de la CENTIF.

Un commerçant et gérant des établissements portant son nom, qui fait de l’exportation «informelle» de perroquets ou d’autres oiseaux rares vers l’Europe, est entré, entre mars 2016 et octobre 2018, en relations d’affaires sous différentes identités avec cinq banques de la place. Du 7 octobre 2016 au 30 septembre 2019, il a reçu de virements de fonds sur ces comptes bancaires d’un montant cumulé d’environ 1.004.203.470 FCFA en provenance de pays européens comme la France, la Belgique, la Turquie, l’Italie, la Suisse, l’Espagne ou encore l’Allemagne. « Chaque virement reçu a été suivi du retrait systématique de la quasi-totalité des fonds à travers des guichets automatiques (GAB), par chèque et des virements vers un de ses comptes personnels », détaille le rapport. Ce commerçant serait membre d’un vaste réseau d’arnaqueurs en ligne et fait l’objet d’une plainte formulée par un ressortissant français pour escroquerie.

Impact très faiblement perçu par les acteurs de la lutte

A la suite d’analyses et d’investigations, rapporte le document, la CENTIF a réuni suffisamment d’éléments qui ont confirmé les soupçons pour 23 déclarations. «En conséquence, elle a adressé au Procureur de la République du Pôle judiciaire spécialisé 23 rapports», précise-t-il. Le montant cumulé de ces 23 rapports est de 132. 893. 907. 869 FCFA. Le rapport note que l’absence d’indices probants de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme a conduit à classer provisoirement dans la base de données de la CENTIF deux (2) rapports d’un montant de 4. 600. 660. 000 F CFA.

«Au Mali, hélas, l’impact de la criminalité financière nationale et transnationale est très faiblement perçu par les acteurs de la lutte. Les conclusions préliminaires de l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme à laquelle le Mali s’est souverainement assujetti depuis 2018 mettent en exergue de sérieuses menaces et des vulnérabilités assez inquiétantes de notre dispositif. Malgré les efforts accomplis, les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme demeurent largement en dessous des attentes. La CENTIF reçoit très peu de déclarations d’opérations suspectes comparativement aux pays de la sous-région. Les sanctions prononcées par la justice ne semblent pas être dissuasives. Les terroristes continuent de faire mal et chaque jour amène son cortège de victimes et de dégradation du tissu social et économique », souligne le Président de la CENTIF dans le Rapport 2019 de cette autorité indépendante.

Enorme manque à gagner

Les rapports de la CENTIF sont envoyés au Procureur de la République en charge du Pôle judiciaire spécialisé, Samba Sissoko. Les échanges entre les deux structures ne semblent pas aussi faciles. Dans plusieurs correspondances, le Président de la CENTIF a demandé au Procureur de la République de l’informer des suites judiciaires réservées aux rapports ainsi transmis à son cabinet. Le Procureur de la République Samba Sissoko n’a répondu à aucune correspondance envoyée par la CENTIF. « Même pas un simple accusé de réception », commente un cadre de l’autorité indépendante. Et pour connaître les suites réservées aux rapports transmis au Parquet spécialisé, les spécialistes de la CENTIF se rabattent sur la presse en faisant souvent des recherches sur Internet.

De 2008 à 2019, des déclarations d’opérations suspectes faites au niveau de la CENTIF s’élèvent à 392. 940. 000. 212 de nos francs. C’est en 2010 que le montant le plus élevé a été enregistré avec 163. 172. 023. 738 FCFA sur la base de 25 déclarations. Cette somme est nettement supérieure aux dépenses militaires et de sécurité du Mali des années 2011, 2012 et 2013. Ainsi, le budget consacré à la défense et à la sécurité se chiffrait respectivement à 106,2 milliards en 2011, 109,4 milliards en 2012 et 135,8 milliards en 2013. Ces montants provenant d’opérations suspectes de 2010 dépassent de loin le cumul des dépenses de sécurité de 4 ans (2011, 2012, 2013 et 2014) du gouvernement du Mali arrêtées à 138,6 milliards de FCFA.

Selon un haut cadre de la CENTIF, le Mali perd énormément d’argent.

Chiaka Doumbia

Source : Le Challenger

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