La Canadienne Edith Blais (36 ans) et son compagnon Luc Tacchetto (32 ans), retrouvés le 13 mars 2020 à Kidal (nord-est du Mali), avaient été enlevés en décembre 2018 au Burkina Faso, à près d’un millier de kilomètres du lieu de leur réapparition. Les circonstances de leur libération n’ont pas été clairement établies. D’autant qu’ils ne se sont pas exprimés devant les quelques journalistes présents lors de leur arrivée à Bamako.
Précédemment, les responsables onusiens et maliens avaient suggéré que les otages auraient réussi à s’enfuir. Pour certains observateurs, qui doutent de cette version des faits, leur libération pourrait avoir un lien avec d’éventuelles négociations entre le Mali et certains groupes jihadistes.
La libération
Selon une source sécuritaire citée par l’AFP sous le couvert de l’anonymat, les deux ex-otages, habillés en Touaregs, ont stoppé un véhicule le 13 mars dans la soirée. Ils ont demandé au chauffeur de les conduire au premier poste des Casques bleus. Adam Sandor, chercheur à l’organisme de recherche canadien Centre FrancoPaix, doute fortement de cette version. Il dit ne pas avoir “connaissance de cas de fuite (d’otages occidentaux) au Sahel, où ceux qui ont essayé de fuir n’ont pas été retrouvés et/ou ont été tués”. “Si vous êtes de la région de Kidal et circulez dans un 4×4, que vous trouvez deux Occidentaux, il y a de fortes probabilités que vous les rameniez à un groupe armé, tant les relations familiales entre les groupes armés, jihadistes ou non, et la population sont fortes“, a-t-il expliqué à l’AFP…
“On les a contrôlés médicalement, ils se portent vraiment bien, on les a laissés se reposer”, a par la suite raconté le chef de la mission de l’ONU au Mali (Minusma), Mahamat Saleh Annadif, cité par l’Agence France Presse (AFP). Un vol spécial les a conduits le lendemain de Kidal à Bamako.
Le couple est arrivé à l’aéroport de la capitale malienne souriant et un peu désorienté. En particulier quand les responsables maliens, onusiens et canadien, venus les accueillir, leur ont présenté le coude plutôt que la main tendue… En leur expliquant cordialement les règles imposées par le nouveau coronavirus. Edith Blais et Luc Tacchetto ont alors sacrifié aux consignes du moment : une employée des services sanitaires, portant un masque, des lunettes et une combinaison de protection, a pris leur température.
Un enlèvement jamais revendiqué
Au moment de leur enlèvement, le couple se dirigeait en voiture vers Ouagadougou à partir de Bobo-Dioulasso, à plus de 360 kilomètres de la capitale du Burkina Faso, selon la famille de la Canadienne. Ils comptaient se rendre au Togo pour participer à un projet de reforestation, rapporte RFI.
“Peu après le rapt, ils ont été séparés”, croit savoir le site de la radio française. Ils le sont restés pendant de longs mois, avant d’être à nouveau réunis. Si l’on en croit la directrice de l’Afrique de l’Ouest pour Human Rights Watch (HRW), Corinne Dufka, citée par le New York Times, les deux otages sont d’abord restés au Burkina Faso avant d’être transportés au Mali au plus tard en janvier 2019.
“Sur leurs ravisseurs, le flou persiste pour le moment. Une certitude, ils ont changé au moins à deux reprises de ravisseurs”, estime RFI. Selon cette source, un des deux ex-otages aurait confié à un tiers que ceux qui les ont enlevés n’ont peut-être pas “réussi à les céder à un vrai groupe jihadiste“. D’où l’hypothèse qu’Edith Blais et Luc Tacchetto se soient retrouvés aux mains d’intermédiaires. En tout cas, leur enlèvement n’a jamais été revendiqué.
Pour le chercheur Adam Sandor, les otages se trouvaient aux mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda). Celui-ci est dirigé par l’ancien chef rebelle touareg Iyad Ag Ghaly, auquel appartient le groupe du prédicateur radical peul Amadou Koufa.
“Selon mes informations, ils ont été enlevés par deux jeunes affiliés au groupe jihadiste Ansaroul Islam, qui opérait dans le nord du Burkina Faso à l’époque (…). (Ils) ne savaient pas ce qu’ils pouvaient en faire. Ils connaissaient l’importance financière d’otages, mais n’avaient pas de réseau.” Le chercheur affirme que les ravisseurs ont ensuite emmené le couple dans le centre du Mali, région dont ils sont originaires. “Là-bas, ils ont rencontré des gens connectés au groupe jihadiste d’Amadou Koufa.”
Rançon ou pas rançon ?
Toujours selon RFI, le chef de la mission de l’ONU au Mali (Minusma), Mahamat Saleh Annadif, a affirmé que l’identité des ravisseurs est connue sans plus de précisions. Mais qu’il n’y a pas eu de négociations avec eux pour obtenir la libération du couple. “Je peux vous assurer que rien n’a été payé” du côté malien, a déclaré de son côté à l’AFP le ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé.
De son côté, le New York Times rappelle que par le passé, tant le Canada que l’Italie ont payé pour faire libérer des ressortissants qui avaient été enlevés. En 2009, Ottawa aurait ainsi versé 700 000 euros “à la section locale d’Al-Qaïda” pour l’élargissement du diplomate Robert Fowler. De son côté, Rome aurait “payé pour la libération de nombreux citoyens détenus par des éléments affiliés à Al-Qaïda et de l’Etat islamique, dont Mariasandra Mariani, une touriste italienne enlevée en 2011, elle aussi détenue au Mali”.
Même si l’on reste dans le domaine des supputations, l’hypothèse est “forte” qu’une rançon ait été versée, estime de son côté Adam Sandor.
Un lien avec de possibles négociations entre autorités et jihadistes ?
Mais les conclusions que l’on peut tirer de cette affaire peuvent être plus politiques. Et se situer dans le cadre des négociations évoquées entre les autorités maliennes et certains groupes jihadistes… Dès novembre 2018, franceinfo Afrique s’en était fait l’écho. Et en novembre dernier, Le Figaro rappelait que le Mali était “tenté” par une telle négociation, “des canaux de communication” existant entre les deux parties.
Cela pourrait être une preuve de bonne volonté (de la part du GSIM envers le gouvernement malien, NDLR) pour entamer une négociation plus approfondie avec l’autre camp. On en saura sans doute plus dans les prochaines semaines
Le chercheur canadien conclut : “Le versement probable d’une rançon n’est pas la question intéressante. Il faut s’intéresser aux dynamiques de négociation. Pourquoi ces deux otages-là ont-ils été libérés et non pas les autres, par exemple ? Et si on se place dans le contexte de négociations plus globales, quelle est la contrepartie de cette libération ? Nous nageons dans le noir. Deux otages apparaissent de nulle part et on dit qu’ils ont fui. Cela soulève beaucoup de questions !”
Selon le décompte de La Libre Belgique, “au moins huit otages occidentaux (sont) encore en captivité au Sahel“. En l’occurrence un Australien, Arthur Kenneth Elliott ; une Française, Sophie Pétronin ; un Roumain, Iulian Ghergut ; une Suissesse, Béatrice Stockly ; une Colombienne, Gloria Cecilia Narvaez Argoti ; un Allemand, Jörg Lange ; un Italien, Pier Luigi Maccalli ; un Américain, Jeffery Woodke. En 2017, La Croix évoquait à propos des otages au Sahel “un silence étourdissant”…
En ce qui concerne la Française Sophie Pétronin, celle-ci a été enlevée le 24 décembre 2016 à Gao (nord du Mali). La septuagénaire est “la dernière otage française dans le monde”, rappelait franceinfo en décembre 2019. “On ne sait pas si elle est vivante. Cela fait un an que nous n’avons plus de nouvelle du tout”, a affirmé son mari Jean-Pierre Pétronin le 30 décembre 2019. “On a l’impression, quand même, qu’elle est oubliée”, a-t-il ajouté. La dernière vidéo où elle apparaît a été diffusée en juin 2018. Elle y apparaissait très fatiguée, le visage émacié.
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