Si la guerre en Ukraine monopolise l’attention, un autre pays s’attire les foudres de la communauté internationale : le Mali. Tout récemment, les exactions – révélées par l’ONG Human Right Watch – commises dans la ville de Moura par les forces armées maliennes (FAMA) et les mercenaires du groupe paramilitaire Wagner ont jeté l’opprobre sur les techniques du gouvernement de transition dans sa guerre contre les djihadistes au Sahel. Bien que démentis par la junte militaire au pouvoir, ces crimes présumés s’ajoutent aux nombreuses tensions et critiques qui accompagnent la politique du Mali depuis le début de l’année 2022.

Au milieu de cet emballement, pris entre le prisme occidental des critiques de leur pays d’accueil, et l’agitation populaire nationaliste de leur terre d’origine, se trouve la diaspora Malienne de France. Estimés à 120 000 sur le territoire national, les ressortissants maliens sont les spectateurs démunis du déchirement entre le Mali et la France. Leurs voix demeurent marginales dans le débat public, pourtant « la jeunesse malienne de la diaspora se préoccupent de ce qui se passe au Mali.  Nous suivons la situation de près. Beaucoup d’étudiants envisagent de rentrer une fois leurs études finies », fait remarquer Brehima, étudiant en master de science du langage à Paris.

Exaltation du nationalisme malien

Le mois de février 2022 a sonné le glas de la présence française au Mali. Emmanuel Macron a annoncé le retrait des forces militaires françaises et la fin de l’opération Barkhane. Entre la France et le colonel Assimi Goïta, président de la transition malienne – arrivé au pouvoir à la suite du coup d’État du 18 Août 2020 ayant délogé l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta -, les tensions ne cessent de s’accroître.

La junte militaire exalte le nationalisme malien, accuse la France d’ingérence, d’inaction, et un sentiment anti-français se développe dans la population. « Le gouvernement de transition met en place un nationalisme aveugle, un populisme dans lequel tout est la faute des autres, de l’Occident », explique le docteur en droit public Balla Cissé, qui enseigne en France et suit de près l’actualité de son pays d’origine.

 Le gouvernement de transition met en place un nationalisme aveugle, un populisme dans lequel tout est la faute des autres.

« La crise malienne est très complexe, elle ne date pas du départ de la France », poursuit l’enseignant. Selon lui, l’enjeu pour le gouvernement de transition est de trouver « un bouc-émissaire », un coupable, permettant d’exalter le patriotisme Malien. Une stratégie qu’il résume ainsi : « Actuellement le gouvernement de la transition recherche la légitimité populaire et non la légitimité internationale ».

La sécurité avant tout

Le principal levier du soutien populaire dont jouit le gouvernement de transition, c’est la promesse d’ordre et de sécurité retrouvée. Aux yeux de la population, la lutte menée par les FAMA contre les djihadistes du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM affilié à Al-Quaida) dans la partie sahélienne du Mali semblent porter ses fruits. Cette dynamique soude l’unité nationale et vient renforcer la légitimité de la junte militaire. « Certains déplacés commencent à retourner dans leurs régions, leurs villages, et ça se sont des signaux qui montrent à la population qu’il y a une amélioration de la situation sécuritaire dans le pays », indique Brehima.

 La principale préoccupation des Maliens, qu’ils soient en France ou au pays, c’est la sécurité.

Dans sa lutte contre les groupes terroristes, le gouvernement malien s’allie avec le groupe Wagner, une société militaire privée russe proche du Kremlin, tristement réputée pour les exactions commises par ses mercenaires en Centrafrique et en Syrie. Selon l’ONG Human Right Watch, elle est également impliquée dans les massacres ayant tué plus d’une centaine de civils dans la ville de Moura, une localité située dans la région de Mopti dans le centre du Mali, entre le 27 et le 31 mars dernier.

Mais ces accusations de crimes de guerre, semblent peu peser dans l’opinion publique malienne. « La principale préoccupation des Maliens, qu’ils soient en France ou au pays, c’est la sécurité. Et avec l’arrivée de la junte au pouvoir, ce que l’on constate c’est qu’il y a une amélioration de la sécurité. Finalement, pour un Malien c’est tout ce qui compte », expose Brehima. Le docteur Balla Cissé abonde dans le même sens : « La junte est plus acceptée qu’IBK (Ndlr : Ibrahim Boubacar Keïta) avant elle. Tout ce que la transition va faire sera perçu comme acceptable par le peuple », analyse-t-il.

Pour Brehima, originaire de la région des Kayes à l’est du pays, l’hypothèse de crimes à motivation ethnique visant la communauté Peuls, très présente dans la région de Moura, est peu crédible. « Les FAMA sont une armée inter-ethniques, ils n’auraient pas laissé faire », assure-t-il. Pour le jeune homme, ces « victimes collatérales » s’expliquent par le fait que la lutte contre le terrorisme est une guerre « asymétrique » dans laquelle « il est difficile de distinguer l’ennemi », car les djihadistes se mélangent à la population civile dans les villages.

Guerre de l’information

Le Mali réfute toute implication de ses forces armées dans des massacres et refuse que la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) soit mandatée pour enquêter sur son sol. Pour Youssouf*, étudiant en Science Politique, qui vit en France depuis 2017, cette position est compréhensible. Il critique la posture de la communauté internationale et l’hypocrisie de la France. « Quand la Minusma incrimine la France, elle refuse de reconnaître ses conclusions et crie au scandale, et quand c’est le Mali, on l’accuse d’autoritarisme parce qu’il refuse qu’elle enquête », constate-t-il, agacé.

Youssouf* fait référence à l’affaire du village de Bounty, sur lequel l’armée française avait lancé une attaque le 3 janvier 2021 alors qu’un mariage y était célébré. Des civils auraient perdu la vie ce jour-là. En réaction, les Nations unies avait lancé une « mission spéciale d’établissement des faits », menée par la division des droits de l’Homme et la Minusma avec l’appui de la police scientifique des Nations unies. Le rapport de l’enquête avait conclu à la culpabilité de l’armée Française et établi la mort de 19 civils. En réponse, le chef d’état-major des armées françaises, le général François Lecointre, avait dénoncé une « manipulation » et une « attaque contre la force française Barkhane ». Pour l’étudiant, ce « deux poids de mesure » est difficile à admettre.

Les suspensions récentes des médias français France 24 et Radio France International par le gouvernement malien au prétexte qu’ils diffuseraient de fausses informations sur l’armée malienne – notamment au sujet des exactions commises à Moura – viennent ajouter de la défiance envers Paris dans la population. La junte invite les journalistes maliens « à se montrer plus patriotiques » dans leur traitement de l’information.

Entre les Maliens vivant au Mali, et ceux vivant dans l’Hexagone, les moyens de s’informer diffèrent et la guerre de l’information qui sévit divise. Très souvent, les Maliens s’en tiennent à la version délivrée par les autorités. « Je crois à la version officielle que je reçois. La population à tendance à douter des organisations humanitaires et des médias occidentaux », assure Youssouf.

Le gouvernement doit faire en sorte de garantir la liberté d’expression, c’est un enjeu démocratique

Les réseaux sociaux et leurs lots de fausses informations influencent également la population. « Il y a beaucoup de fake news qui circulent au pays car beaucoup de Maliens s’informent sur les réseaux sociaux comme Facebook », explique Brehima. Pour l’étudiant, « les Maliens de la diaspora arrivent davantage à distinguer la situation ». Il explique s’informer par différents canaux d’informations afin de pouvoir nuancer son regard sur la situation : « Je m’informe avec RFI sur Internet, avec Jeune Afrique, le journal Le Monde et aussi en regardant l’ORTM (Ndlr : l’Office de radiodiffusion télévision du Mali) ». Brehima plaide pour la préservation du pluralisme de l’information qu’il juge « essentielle » pour l’avenir de son pays. « On constate que les voix discordantes ne sont pas audibles. Le gouvernement doit faire en sorte de garantir la liberté d’expression ! C’est un enjeu démocratique », remarque-t-il.

Sanctions de la CEDEAO

Les refus répétés de la junte d’organiser des élections démocratiques dans le temps imparti, lui attire les foudres de La communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui exige que le pouvoir revienne aux civils dans un délai maximum de seize mois. Alors, depuis le mois de janvier, l’organisation applique un embargo sur le Mali. Seuls les produits de premières nécessités sont autorisés à transiter sur le territoire. Dans un pays pauvre et sans accès à la mer, cette fermeture des frontières entraîne des pénuries, une hausse de l’inflation et, inévitablement, une crise du pouvoir d’achat. Ces sanctions sont perçues comme abusives par le peuple malien. « La population est sur la même longueur d’onde que le gouvernement, c’est une injustice », critique Youssouf dont la famille vit au Mali et est frappée de plein fouet par la crise économique.

Les manifestations massives à Bamako pour protester contre les décisions de la CEDEAO attestent de l’unité nationale derrière le gouvernement de transition. Pour Balla Cissé, ces sanctions accentuent le sentiment pour les Maliens d’être seuls contre tous et renforce le nationalisme. « Il y a un repli. Le sentiment national, c’est que le pays peut vivre en autarcie, qu’il n’a pas besoin des autres », analyse-t-il.

Ce qui compte c’est que le gouvernement soit soutenu par le peuple et regagne du terrain face aux djihadistes.

Face à cette situation, le gouvernement de transition vient d’annoncer la tenue d’élections démocratiques dans les deux ans à venir. Une annonce qui ne satisfait pas la CEDEAO. Pour Youssouf, cet empressement n’est pas bénéfique, il est même symptomatique de l’instabilité des États africains. « On n’a vu que ça ne menait à rien de se précipiter, ce n’est pas garant de stabilité. L’élection, ce n’est pas une fin en soi. Une élection truquée comme dans beaucoup d’États africains, ce n’est pas une élection », analyse l’étudiant en Science Politique qui envisage de retourner au pays à la fin de ces études.

« Ce qui compte c’est que le gouvernement soit soutenu par le peuple et regagne du terrain face aux djihadistes », poursuit-il. Pour Youssouf, comme pour beaucoup d’autres Maliens, qu’ils vivent au pays ou dans la diaspora, la légitimité populaire semble primer sur la légitimité des urnes. Un discours difficilement audible en Occident mais qui prend racine dans l’instabilité chronique de l’histoire politique du Mali.

Rémi Barbet