Au cœur de cette victoire « politique », un homme : Iyad Ag Ghali, devenu incontournable dans l’échiquier sécuritaire malien et sahélien par l’importance de l’allégeance « juridique » qui en fait le chef le plus pesant actuellement dans le monde, bien plus que le chef suprême de l’organisation, Ayman Al-Zawahiri. Le crédit dont il dispose à Kidal et dans tout l’Azawad en fait pratiquement un « passage obligé » dans le casse-tête malien post-IBK. D’ailleurs, même ce dernier, peu avant sa chute, avait tenté une approche politique pour l’extirper du terrorisme djihadiste et l’intégrer dans le processus de négociation intermalien
Si aujourd’hui, la France refuse catégoriquement de discuter avec Bamako sur le sujet, elle doit s’expliquer sur ses antécédents, car elle a toujours négocié pour récupérer ses ressortissants détenus par ces mêmes groupes, et même offert beaucoup d’argent pour faire aboutir les diverses intercessions. Or c’est cela même le principe de la stratégie militaire : continuer à faire la guerre par des moyens pacifiques pour aboutir à un même résultat. Par le passé, l’Algérie avait choisi, finalement, cette option, avec le succès que l’on sait, et récemment, à l’échelle internationale, les Etats Unis avaient accepté au bout du compte de négocier avec les Talibans, et l’on sait tous que l’accord de paix entre les Talibans et Etats-Unis a abouti à de nouvelles négociations intra-afghanes. Iyad n’est pas plus irréductible que les Talibans ni plus criminel pour demeurer ainsi loin de la sphère politique, d’autant que par le passé, il avait été représentant diplomatique de son pays ; et si les Maliens eux-mêmes trouvent que la négociation avec cet homme influent dans l’Azawad peut donner une chance à la paix au Nord-Mali, ce n’est ni à la France ni à aucun autre pays de dicter à Bamako ce qui est bénéfique aux Maliens. Pourtant, la France et les nouvelles autorités maliennes ont affiché en début de semaine leur désaccord sur un éventuel dialogue avec les groupes jihadistes, Paris rejetant fermement cette option, tandis que le chef du gouvernement malien de transition évoque une « opportunité » pour la paix. En visite dans la capitale malienne, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a fermement rejeté l’idée de discussions avec les rebelles islamistes liés à Al-Qaïda ou à l’organisation État islamique. Le Premier ministre malien de transition, Moctar Ouane, a quant à lui souligné que le « dialogue national inclusif », vaste concertation nationale tenue fin 2019, avait « très clairement indiqué la nécessité d’une offre de dialogue avec les groupes armés » jihadistes. « Nous devons y voir une opportunité d’engager des discussions de grande envergure avec les communautés afin de redéfinir les contours d’une nouvelle gouvernance dans les zones concernées », a-t-il précisé. Se réclamant des « accords d’Alger », Le Driand affirme : « Disons les choses très clairement : il y a des accords de paix (…)
Ces accords de paix ont été validés par un certain nombre de signataires, dont des groupes armés. Et puis il y a des groupes terroristes qui n’ont pas signé les accords de paix. Les choses sont simples ». Le Driand s’en remet au fait que les « groupes signataires » sont d’anciens rebelles, principalement touareg, ainsi que des groupes armés progouvernementaux, ayant adhéré aux accords de paix de 2015 négociés à Alger, alors que les groupes islamistes liés à Al-Qaïda et au groupe EI n’ont pas signé ces accords et mènent la guerre aux contingents français de « Berkhane ».
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lui, est pour le dialogue avec « certains groupes extrémistes », car la paix avec eux est « possible », rejoignant ainsi le Premier ministre malien de transition, Moctar Ouane. « Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler, et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur », avait déclaré le secrétaire général de l’ONU lors d’un entretien donné, le 19 octobre dernier, au quotidien « Le Monde ».
La négociation avec les djihadistes maliens, une des recommandations du dialogue national inclusif tenu en décembre dernier à Bamako, était aussi une des conclusions de la conférence d’entente nationale tenue du 27 mars au 2 avril 2017. C’est aussi un souhait exprimé à maintes reprises par Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères du Mali, et l’imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCI).
En réalité, au Mali, depuis la chute brutale d’IBK, la France ne trouve pas une marge de manœuvre à sa convenance. Militairement, « Berkhane » est à bout de souffle. Politiquement, elle essaye de gagner du terrain après l’éviction de son homme, IBK. Ce qui la gène dans Iyad Ghali c’est qu’au début de l’année en cours, il avait accepté de négocier avec Bamako à condition que l’armée française quitte le Nord-Mali. Pour l’Elysée, c’est « inacceptable », car se serait « livrer le Nord-mali aux djihadistes ». Entre Paris et Bamako, Alger garde ses cartes en mains. Puisque les deux capitales s’en réfèrent aux « accords d’Alger », autant dire qu’Alger avait sa conception sur la négociation inter-malienne inclusive, avant que les contingents militaires étrangers ne viennent saborder l’idée dans l’œuf. Beaucoup de mouvements de l’Azawad, dont le très vaste agrégat de la CMA, le MAA, etc. sont pour une implication directe d’Alger. Acteur majeur des médiations au Mali depuis la première grande rébellion de 1991 (menée justement par Iyad Ag Ghali, Ibrahim Ag Bahanga, Hamata Ould Hantafaye, Hassan Fagaga, etc.), Alger avait abdiqué à la suite de l’affluence des forces militaires nationales, régionales et étrangères au Nord-Mali (Serval, puis Berkhane, Minusma, G5-Sahel, Tabuka, etc.) lesquelles, plus préjudiciables que pesants, ont de manière claire choisi l’option militaire et radicale pour imposer une paix qui n’a jamais été au rendez-vous. Entre Serval et la chute d’IBK, Iyag Ag Ghali n’a pas fait définitivement son choix aux côtés des djihadistes. Au contraire, il a été très utile au Nord-Mali pour les Etats de la région, en ce sens où il a interdit à l’Etat islamique (un irréductible de la guerre totale tous azimuts, « à la syrienne » ou « à l’irakienne ») de s’y implanter durablement et dangereusement. Toutes les factions sous son autorité sont d’obédience Al Qaïda, l’Etat islamique se contentant de maigres zones de transit entre le Fezzan libyen, le Ténéré et l’Adrar Ifoghas. La guerre entre les deux clans fait rage mais tourne à l’avantage de Ghali, grâce à l’allégeance d’ Al Qaïda, branche maghrébo-saharo-sahélienne. Iyad Ag Ghali, ancien chef de la rébellion touarègue de 1990-1996, fondateur du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA), puis du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), signataire de la paix en 1991, puis diplomate, a souvent été dépêché par les autorités de Bamako afin de contacter avec les chefs d’Al Qaïda au Maghreb, Mokhtar Mohamed Belmokhtar et Abou Zeid, pour des missions de récupération d’otages européens, missions dont il s’est souvent acquitté avec succès. La France elle-même avait bénéficié, plus que d’autres, de ses « services ». Il n’est que faire appel à la médiation qu’il avait fait avec AQMI pour aboutir à la libération de quatre otages français, des employés d’Areva enlevés à Arlit, pour s’en convaincre. La chute de Tripoli et le retour du millier de soldats maliens intégrés dans les légions de Kadhafi ont précipité le chaos au Nord-mali et abouti à l’appel à la partition proclamé par le MNLA. C’est dans ce sillage qu’Iyad s’est rapproché des djihadistes d’AQMI, avant de fonder son propre groupe, « Ansar-ed-Dine » dans le but d’instaurer la charia au Mali. Ne perdons pas de vue là aussi, que c’était la France de Sarkozy qui avait provoqué la déflagration en Libye et poussé au désordre dans le Nord-Mali. Pour Iyad Ghali, son nom indexé sur la « black-list » américaine (des terroristes « bons à tuer ») et diffusé dans les documents officiels de l’ONU avait été le point de non-retour. Il a été inscrit le 25 février 2013, en application des dispositions des paragraphes 2 et 3 de la résolution 2083 (2012), « comme associé à Al-Qaida pour avoir concouru à financer, organiser, faciliter, préparer ou exécuter des actes ou activités de l’Organisation d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) (QDe.014) et du Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) (QDe.134), en association avec eux, sous leur nom, pour leur compte ou pour les soutenir, pour leur avoir fourni, vendu ou transféré des armements et matériels connexes ou pour avoir soutenu de toute autre manière des actes ou activités auxquels ils se livraient ». Cette rupture brutale avec ses contacts politiques l’a définitivement décidé à se mettre résolument et absolument dans l’autre camp.
Le 1er mars 2017, Iyad est choisi par Al Qaïda au Maghreb pour prendre la tête de « Nosrat al-islam wal muslimin ». Le choix avait été édicté par les « principes du sol ». Ce même principe qui avait mené près de trente ans plus tôt Al Qaïda, branche-mère, à choisir le Mollah Omar, et non pas Oussama ben Laden, à prendre la tête du djihad en Afghanistan.
La disparition des chefs algériens d’Al Qaïda, dont Abou Zeid, MBM, Djamel Okacha, dit « Abou al-Houmam », puis, récemment, du chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, a donné plus d’autonomie et plus de flexibilité à Iyad Ag Ghali. Sa réponse favorable à un dialogue avec Bamako en janvier 2020 avait fait réagir le groupe rival, l’Etat islamique, qui l’a accusé d’apostasie et donné ordre à ses affidés de le liquider à la première occasion. Telle est la situation extraordinaire d’Iyad Ag Ghali, l’homme aux mille facettes, Ben Laden du Grand Sahara, condamné à mort par Daesh, courtisé par Bamako, respecté par l’imam Dicko, rejeté par Paris, influent à Kidal, sa tête mise à prix pour cinq millions de dollars par les États-Unis et cible potentielle des tirs de drones occidentaux qui sillonnent le ciel de l’Azawad.
Source : pro.medias-dz.com