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Bah N’Daw – Moctar Ouane : les confinés de la transition

Assignés à résidence depuis leur libération, le 27 mai 2021, après leur arrestation lors du coup de force du 24 mai, les anciens Président et Premier ministre de la transition, Bah N’Daw et Moctar Ouane, ne sont toujours pas libres de leurs mouvements. Cette privation de liberté sans aucune base légale suscite de plus en plus d’interrogations et fait l’objet de dénonciations, dans le pays et au sein de la communauté internationale. Sommés de ne plus mettre les pieds hors de ses résidences respectives, et sous une importante garde sécuritaire, l’ancien duo au sommet de l’État vit un confinement prolongé.

 

À la résidence de la base B où il est détenu et interdit de sortie, l’ancien Président Bah N’Daw reste néanmoins serein, confient des officiels ayant pu le rencontrer. Le colonel-major de l’armée de l’air à la retraite semble avoir retrouvé, même sous contrainte et privé de sa liberté de mouvement, le repos de ces jours paisibles de retraité dont il profitait tranquillement avant d’être sollicité il y a presque un an pour diriger la transition.

« Liberté » surveillée

Le 2 août 2021, c’est un homme « plein d’humour », « philosophe », « croyant » que rencontre Alioune Tine, expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme au Mali, en visite dans le pays. Ce jour-là, nous confie ce dernier, « Le Grand », comme il est surnommé par ses intimes, du haut de ses 1m 95, s’apprêtait à effectuer une marche au sein de la résidence aux côtés de sa fille. Libre de faire du sport, l’ancien Président, tout comme d’ailleurs son Premier ministre, reçoit des visites de la famille et des proches, même si elles sont conditionnées.

« Les autorités ne s’opposent pas à ce qu’on rende visite à Bah N’Daw et à Moctar Ouane. Le problème, c’est qu’il faut qu’elles demandent en premier lieu aux concernés s’ils acceptent ces visites. C’est à partir de ce moment qu’elles sont autorisées ou non, en fonction de leurs réponses », dit Alioune Tine, qui salue par ailleurs le fait que les autorités aient facilité ses rencontres avec les deux personnalités. Ce n’était pas gagné d’avance quand on sait que quelques jours plus tô, l’accès avaient été interdit à leur avocat, Maitre Mamadou Ismaïla Konaté.

Comme l’ancien Président de la transition, l’expert indépendant des Nations Unies a pu également rencontrer l’ancien Chef du gouvernement Moctar Ouane dans sa résidence privée, sise à la Cité du Niger. Là-bas, selon une source proche, l’ancien Premier ministre est « sain et sauf » et continue d’ailleurs chaque jour de travailler sur ses projets personnels.

« Il est libre à l’intérieur du domicile, mais il ne peut pas passer la porte d’entrée. Il reçoit sa famille et d’autres proches qui doivent passer une barrière de sécurité militaire à l’entrée. Il communique librement avec l’extérieur ». Parmi les gens reçus dernièrement, « des personnes de l’ONU » et des « dignitaires étrangers » entre autres.

La sécurité autour de la résidence de Moctar Ouane évolue par moment. Au tout début, dans les deux semaines qui ont suivi sa libération, l’ancien Premier ministre a reçu plusieurs visites. À ce moment-là l’entrée dans son domicile était aisée, avant que quelques jours plus tard elle ne soit filtrée. Les visites ont certes continué, mais non seulement un registre était tenu par les gardes pour accéder à la maison, et en plus les téléphones des visiteurs étaient systématiquement gardés pour ne leur être remis qu’à leur sortie.

« J’ai dû passer une ou deux fois par semaine avant de voyager entre-temps. Toutes les fois que je l’ai vu, les gens venaient chez lui, il regardait les infos, lisait les journaux », indique l’un de ses anciens collaborateurs, qui affirme avoir passé à chaque fois au moins 2h 30 dans la résidence de son ancien chef.

« Quand je l’ai vu, il allait très bien. Il était correctement habillé, il avait une très bonne mine. Moi, j’étais très étonné de voir comment il se portait », avoue-t-il. À en croire, notre source proche de la famille, entre 7 à 8 personnes se trouvent à l’intérieur de la résidence du Premier ministre. S’y ajoutent les militaires chargés de sa garde, qui sont « logés et nourris » dans la résidence, selon nos informations.

Situation « inacceptable »

Si, à en croire les proches et certains autres personnes qui les ont visitées, les deux personnalités se portent bien, la gestion de leur situation souffre quand même aujourd’hui d’un gros point noir.

Le lundi 26 juillet dernier, leur avocat, Maitre Mamadou Ismaïla Konaté, a été interdit d’accéder à leurs résidences respectives. L’ancien Garde des sceaux s’en offusque, arguant qu’empêcher un avocat de faire son travail est une « violation d’un droit fondamental de nos libertés et d’un droit d’exercice professionnel ».

« On peut le faire aujourd’hui sans doute, mais demain on aura besoin des avocats. La liberté d’exercice de l’avocat est un principe fondamental, reconnu sur tous les territoires. Je pense que  c’est une ligne rouge qu’il ne faut pas franchir », regrette celui qui considère qu’avec ce refus ce sont les 350 avocats du Mali qui sont atteints.

En outre, l’avocat a adressé des courriers, non seulement au Président de la transition mais également au Chef du gouvernement et au ministre de la Justice. Pour ces trois courriers, Maitre Konaté n’a reçu « aucune suite à ces demandes » et n’a même « pas eu droit à un accusé de réception », ce qu’il juge ne pas être une « démarche de respect entre personnes civilisées ».

Pour autant, l’ancien ministre de la Justice est déterminé à mettre fin à la situation « d’assignés à résidence » de ses clients, qu’il qualifie « d’anormale, non conforme au droit et qui viole le droit à la liberté, non acceptable ni au Mali, ni ailleurs ».

« On ne peut pas être sous le couvert d’un régime militaire, décider d’anéantir les  libertés et les droits sur la base de rien du tout et que rien ne se passe, ni que personne ne dise rien », s’indigne l’avocat. C’est pourquoi il a saisi la Cour de Justice de la CEDEAO d’une requête dont la procédure suit son cours. Elle a été transmise à l’État du Mali, qui dispose d’un délai de 30 jours au terme desquels il doit  réagir par rapport au contenu. Après la réaction attendue de l’État du Mali, la Cour va tenir une audience au cours de laquelle l’avocat de Bah N’Daw et de Moctar Ouane compte soumettre ses arguments et « donner l’opportunité à la Cour de trancher le litige».

De manière officielle, aucune charge n’est retenue contre les anciens Président et Premier ministre de la transition et leur dossier n’est toujours pas judiciarisé. Selon les autorités, notamment le Premier ministre Choguel Maïga, l’assignation à résidence serait pour leur propre sécurité.

« C’est de la folie. Comment veut-on retenir quelqu’un contre son gré ? La sécurité des gens n’incombe-t-elle pas plus aux gens qu’à ceux qui veulent éventuellement maintenir cette sécurité ? », s’insurge Maitre Mamadou Ismaïla Konaté pour lequel cet argumentaire n’est simplement qu’un « leurre », un « faux alibi », la vraie problématique étant que des droits et libertés soient délibérément anéantis.

Cet avis est également partagé dans une certaine mesure par le Président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), M. Aguibou Bouaré, selon lequel les deux personnalités sont dans une « situation de détention illégale ».

« On a tenté de nous expliquer que c’est pour leur propre sécurité. En tant que spécialistes du domaine, nous savons qu’aucune mesure de sécurité ne peut justifier une assignation à résidence, qui plus est qui ne provient pas de l’autorité judiciaire. Il est donc tout simplement regrettable de constater la persistance d’une telle violation des droits de l’Homme », s’alarme-t-il.

Libération en vue ?

Quelles que soient les conditions de leur assignation à résidence, les deux anciennes premières autorités de la transition aspirent à recouvrer au plus vite leur liberté. C’est le même esprit qui prévaut chez les défenseurs des droits de l’Homme qui se sont prononcés sur la situation, que ce soit au plan national ou à l’international.

Les lignes semblent bouger quant aux négociations enclenchées pour un dénouement de l’affaire, qui selon tous les observateurs et experts des droits de l’Homme, est une violation grave et une atteinte à la liberté.

L’expert indépendant  des Nations Unies Aliou Tine est  optimiste. « Des actes concrets sont pris par les autorités qui vont dans le sens de leur prochaine libération. Le Comité de suivi, formé tant de Maliens que de gens des Nations unies, notamment de la Minusma, et de gens de la Cedeao, y travaille d’arrache-pied tous les jours », assure l’expert sénégalais.

Quelles sont ces mesures concrètes ? En réalité, ce qu’il faut savoir, selon M. Tine, c’est que le processus de reconnaissance des statuts d’anciens Président et Premier ministre est enclenché pour Bah N’Daw et Moctar Ouane et suit toujours son cours normal. Résidence, sécurité, et même création de cabinet d’ancien Chef d’État pour Bah N’Daw, les derniers détails sont en train d’être réglés.

« Ces droits leur sont reconnus et sont en train d’être mis en œuvre. Ce n’était pas encore le cas. C’est pour cela que je dis que cela va dans le bon sens. Eux-mêmes reconnaissent que des mesures sont en train d’être prises pour les faire rentrer dans leurs droits », explique Alioune Tine, auquel l’ancien Président de la transition l’a personnellement confié.

Au vu de tout cela, le fondateur du think tank Afrikajom Center, sans pour autant donner d’horizon fixe pour la libération totale de ces deux personnalités, « nourrit l’espoir » qu’ils seront libérés dans les meilleurs délais, ce qui ce sera « mieux pour le Mali, pour la transition et pour les deux premiers concernés, Bah N’Daw et Moctar Ouane ».

« C’est une décision qui arrangera tout le monde et est très souhaitée par la communauté internationale », rappelle l’expert.

Mohamed Kenouvi

Source : Journal du Mali

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