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Au Mali, l’inculpation des 49 soldats ivoiriens complique les négociations avec Abidjan

Considérés comme des « mercenaires », les militaires sont notamment poursuivis pour « attentat et complot contre le gouvernement et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».

Alfred Kouassi « garde la foi », mais les dernières nouvelles en provenance de Bamako ne sont pas bonnes. Entre le 10 et le 12 août, son fils, le lieutenant Adam Kouassi et 48 autres soldats ivoiriens ont été inculpés par la justice malienne pour « des faits de crimes d’association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, de détention, port et transport d’armes de guerre et complicité de ces crimes ». Des charges qui inquiètent d’autant plus leurs proches en Côte d’Ivoire, que les négociations pour obtenir leur libération patinent.

Les 49 militaires avaient été arrêtés le 10 juillet à l’aéroport de Bamako. La junte, au pouvoir au Mali depuis le double coup d’Etat d’août 2020 et mai 2021, les considère comme des « mercenaires » entrés illégalement dans le pays. Une accusation réfutée par les autorités ivoiriennes, qui assurent de leur côté que ces soldats sont en mission pour l’ONU, dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies au Mali (Minusma).

 

Depuis leur arrestation, les 49 hommes sont détenus à l’école de gendarmerie de Bamako. Fin juillet, des diplomates ivoiriens ont pu les rencontrer. D’après une source à Abidjan, « ils n’ont pas subi de maltraitances », mais n’ont plus reçu de visite depuis, les demandes déposées restant sans réponse.

Le 3 août, à la sortie du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, a prévenu que le bras de fer engagé avec Bamako serait « peut-être long ». Abidjan semble néanmoins avoir été pris de court par la judiciarisation du dossier, Bamako ayant jusqu’ici toujours assuré vouloir privilégier la solution négociée et le dialogue. « Il ne faut pas se fier aux effets d’annonce. La Côte d’Ivoire attend le retour du médiateur pour aviser », temporisait lundi 15 août l’état-major général ivoirien, ajoutant que « plusieurs médiations sont en cours ».

La junte exige des excuses officielles

Le cas des 49 soldats a notamment été évoqué lors de la visite du dirigeant sénégalais Macky Sall, lundi 15 août à Bamako, au cours de laquelle le président en exercice de l’Union africaine (UA) a rencontré le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta. Le Mali, a-t-il assuré, est prêt « à poursuivre le dialogue pour un dénouement heureux de cette situation ». Une bonne volonté qui ne s’est pas vraiment manifestée jusque-là.

Depuis le début de la médiation togolaise le 28 juillet – le président Faure Gnassimbé avait alors reçu les parties malienne et ivoirienne à Lomé – la junte exige des excuses officielles des autorités ivoiriennes. « Bamako veut qu’Abidjan assume l’entière responsabilité de la situation en reconnaissant publiquement que l’arrivée des soldats était illégale. Mais les Ivoiriens ont refusé, en exigeant de leur côté des excuses des dirigeants maliens pour avoir qualifié les militaires détenus de “mercenaires” », résume une source ouest-africaine proche des négociations.

 

Selon plusieurs sources, Bamako a également tenté de conditionner la libération des soldats ivoiriens à l’extradition de personnalités politiques maliennes actuellement réfugiées en Côte d’Ivoire et poursuivies pour des détournements de fonds militaires présumés, sous le régime déchu du président Ibrahim Boubacar Keïta dit « IBK » (2013-2020).

Les relations se sont tendues entre le Mali et la Côte d’Ivoire depuis le putsch. Au sein de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le président ivoirien Alassane Ouattara a toujours plaidé auprès de ses pairs pour un maintien des sanctions contre Bamako, finalement levées en juillet. Il est par ailleurs considéré comme un proche allié de la France.

« Certaines procédures n’ont pas été suivies »

Dans l’une des chancelleries occidentales basée à Bamako, un haut responsable dit craindre une « instrumentalisation politique du dossier par la junte », mais reconnaît que, sur le fond, cette dernière « a raison ». Selon lui, l’envoi des soldats étrangers au Mali dans le cadre de la mission onusienne « ne s’est pas fait dans les règles ». « Les Maliens ont profité des erreurs administratives ivoiriennes pour s’engouffrer dans la brèche, après les sanctions », abonde un collaborateur au sein du gouvernement ivoirien.

Aux yeux d’Abidjan, les militaires ivoiriens envoyés à Bamako sont des éléments nationaux de soutien (NSE). Les règles de l’ONU encadrant les opérations de maintien de la paix telle que la Minusma prévoient en effet la possibilité pour chaque pays d’envoyer ces NSE soutenir son contingent.

 

Seulement, à en croire une note verbale envoyée au ministère des affaires étrangères malien le 22 juillet et consultée par Le Monde, la Minusma elle-même a reconnu que « certaines procédures n’ont pas été suivies ». La mission, dit-elle, « n’a pas été informée de la présence et du nombre de NSE de la Côte d’Ivoire », envoyés pour « assurer la sécurité à la base des NSE allemands » à Bamako et non, comme les règles onusiennes le veulent, dans le but de soutenir les casques bleus ivoiriens, déployés au nord du pays.

« Une certaine négligence s’est développée au sein des Etats contributeurs de la Minusma et ce n’est pas acceptable, souligne le diplomate occidental cité précédemment. Beaucoup ont profité du laxisme au temps d’“IBK” pour se passer de certaines formalités. Mais avec les autorités actuelles, ce n’est plus possible. »

 

Malgré son isolement croissant sur la scène internationale, la junte a fait de la défense de la souveraineté du pays le cœur de sa politique. « Après avoir déconstruit brique par brique l’appareil occidental déployé au Mali, avec l’opération française “Barkhane”, puis la force européenne “Takuba” et le G5 Sahel, l’affaire des soldats ivoiriens était une occasion en or pour les dirigeants maliens de poursuivre ses attaques contre la Minusma », analyse un chercheur installé à Bamako, qui a requis l’anonymat.

Dix jours avant l’arrestation des soldats ivoiriens, des dissensions entre plusieurs Etats membres de l’ONU et Bamako avaient surgi lors des débats engagés à New York autour du renouvellement du mandat de la Minusma, finalement validé par le conseil de sécurité fin juin. Les prérogatives permettant à la mission d’enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme, dont certaines sont imputées à l’armée malienne et à ses nouveaux alliés russes, avaient alors été remises en cause par la junte.

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