Le président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, a récolté 41,2% des suffrages, selon les résultats annoncés par le gouvernement. Plus du double de son adversaire, Soumaïla Cissé, qui a dénoncé des «bourrages d’urnes».
Le même face-à-face qu’il y a cinq ans. Le président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, dit «IBK», affrontera au second tour le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé. Les résultats du premier round ont été annoncés dans la soirée de jeudi par le ministre de l’Administration territoriale. IBK a remporté 41,2% des suffrages, selon les chiffres officiels qui doivent encore être confirmés par la Cour suprême, contre 17,8% pour son principal adversaire. Cissé n’a donc pas agrandi son réservoir d’électeurs (9 000 voix de moins qu’en 2013), tandis qu’Ibrahim Boubacar Keïta, malgré un bilan en demi-teinte marqué par la progression de l’insécurité, a convaincu 150 000 votants supplémentaires. Le «Vieux», comme le surnomment les Maliens, a donc pris une sérieuse avance.
Ils ont parfois été présentés comme des figures opposées de la politique malienne. Le littéraire enflammé originaire du Sud (IBK, 73 ans) et l’ingénieur réservé du Nord (Soumaïla Cissé, 68 ans). En réalité, ils sont les deux faces d’une même pièce : des cadres du balbutiant Mali démocratique des années 90, formés en France, ministres du gouvernement d’Alpha Oumar Konaré. L’un comme l’autre ont fini par s’émanciper du parti dominant, l’Adéma-PASJ, pour créer leur propre formation politique dans les années 2000. «Ce sont des personnages de la même génération, leur rivalité est davantage une querelle de personnes que de programmes», relève Francis Simonis, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille.
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Lors du second tour de la présidentielle de 2013, IBK avait largement surpassé son rival, obtenant 77,6% des suffrages. «Cette fois-ci, alors que son mandat a été jugé sévèrement par les observateurs, il a surtout réussi à maintenir sa base dans les grands bassins électoraux du Sud, qui ne sont pas touchés par l’insécurité», note David Vigneron, chercheur au Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel. «Au Mali, jamais un président n’a été chassé du pouvoir par les urnes. Il y a une prime énorme au sortant, ajoute Francis Simonis. D’autant plus quand les gens se désintéressent de l’élection.» Le taux de participation pour le premier tour a été de 43%, soit 6 points de moins qu’en 2013.
Un front «anti-IBK»?
En troisième et quatrième positions, le riche homme d’affaires Aliou Diallo (8%) et l’ex-président de Microsoft Afrique Cheick Modibo Diarra (7,5%) sont les seuls candidats, parmi les 24 en lice, à surnager. Leur éventuel ralliement à l’un ou l’autre des finalistes sera suivi de près. Pour Soumaïla Cissé, le rassemblement d’un large front «anti-IBK» est le seul espoir pour ne pas revivre le scénario de 2013. «En Afrique de l’Ouest, à chaque fois qu’un candidat sortant a été forcé à un second tour, il est devenu un candidat partant», rappelle Tiébilé Dramé, son directeur de campagne. Rarement, cependant, avec un tel écart entre les deux candidats au premier tour. En Guinée en 2010, Alpha Condé a certes été élu alors qu’il n’avait initialement recueilli que 20% des voix, mais le second tour, reporté cinq fois, avait été marqué par des suspicions de fraude massive.
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A Bamako, des recours seront vraisemblablement déposés devant la Cour suprême. Mercredi, les deux tiers des candidats avaient déjà dénoncé «un bourrage d’urnes» et annoncé qu’ils n’accepteraient pas «les résultats affectés par les irrégularités». Soumaïla Cissé a répété ce vendredi que le scrutin n’était «ni sincère, ni crédible».
«Le perdant magnifique»
Dans un souci de transparence, les perdants exigent la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote. La mission d’observation de l’Union européenne réclame quant à elle la liste des 767 bureaux fermés le jour du scrutin pour cause d’insécurité. Des demandes jusque-là restées lettre morte. «Les manipulations électorales ont toujours été un classique au Mali, précise Francis Simonis. Celle-ci ne semble ni plus ni moins truquée que les précédentes.» Selon David Vigneron, «les résultats finiront bon gré mal gré par être acceptés».
Il n’en laisse rien transparaître mais le faible score de Soumaïla Cissé, le seul candidat à avoir rivalisé, en termes de moyens, avec la campagne du président sortant, est «un coup dur», note l’analyste : «Il fait moins que ce qu’on lui prédisait. C’est le perdant magnifique, cette image lui colle à la peau. Il ne parviendra pas à rassembler un front uni derrière lui.»
«De par son parcours, il n’incarne pas vraiment le changement, ajoute Francis Simonis. Soumaïla Cissé ne fait pas rêver les Maliens, et il ne fait pas consensus au sein de l’opposition.» Deux conditions pourtant indispensables pour renverser la tendance et espérer bousculer le «Vieux». Les Maliens sont appelés à les départager dans les urnes le 12 août.