Amnesty International et Human Rights Watch s’inquiètent des attaques de Boko Haram dans le nord et des combats entre militaires et séparatistes dans les régions anglophones.
Dans les villages camerounais frontaliers du Nigeria, les incursions de Boko Haram se multiplient. Pas un jour sans que le décompte des morts ne s’allonge. Entre janvier et novembre, au moins 275 personnes ont été tuées lors d’attaques du groupe djihadiste dans la région de l’Extrême-Nord, soit l’équivalent de 25 par mois, selon Amnesty International. Parmi les victimes, 225 étaient des civils, note l’ONG dans un communiqué paru mercredi 11 décembre.
« Les personnes que nous avons rencontrées vivent dans la terreur. Beaucoup ont déjà été témoins d’attaques de Boko Haram et ont perdu des proches ou des connaissances. Elles ne se demandent plus s’il y aura de nouvelles attaques, mais quand », déplore Samira Daoud, directrice d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. L’organisation de défense des droits humains a documenté les abus commis par le groupe djihadiste, les pillages, les incendies de maisons et de centres de santé, les vols de bétail…
Oreilles coupées
Les témoignages sont glaçants, comme ceux relatant l’attaque du village de Gakara, dans la nuit du 29 au 30 juillet. Les membres de Boko Haram ont trouvé un garçon de 9 ou 10 ans avec sa grand-mère et un vieil homme aveugle et ont voulu le kidnapper. « L’enfant s’est agrippé de toutes ses forces à sa grand-mère, pleurant et disant qu’il ne voulait pas partir. Les membres de Boko Haram ont alors abattu le garçon et le vieil homme », raconte un témoin cité par l’ONG. Au cours d’une autre incursion dans le même bourg, trois femmes de 27 à 40 ans ont eu une oreille coupée. « Les assaillants nous ont dit avoir fait ça parce qu’ils n’avaient pas pu attraper nos maris ; et que la prochaine fois, ils nous tueraient », relate l’une des victimes.
Dans le canton de Tourou, qui englobe seize villages majoritairement chrétiens, une femme de 36 ans et une adolescente ont été enlevées et forcées à se convertir à l’islam. Avant qu’elles ne parviennent à s’enfuir, elles ont été obligées de faire les ablutions et de suivre les principes de la religion musulmane telle que pratiquée sur place.
Face à ce regain de violence, les populations se sentent abandonnées. Car, comme le rappelle un témoin cité par Amnesty, « le problème est que Boko Haram est en brousse et les militaires en ville : le temps qu’ils arrivent, c’est déjà trop tard ». De nombreux habitants et chefs traditionnels interrogés par Le Monde Afrique s’insurgent contre « la fermeture des postes militaires » dans certains villages de l’Extrême-Nord. Beaucoup assurent que les soldats sont envoyés dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du Cameroun, où l’armée mène depuis 2017 une guerre à huis clos contre des séparatistes.
Maisons incendiées
Dans un rapport paru mardi et intitulé « Cameroun : il faut rendre la réponse humanitaire plus inclusive », Human Rights Watch (HRW) s’inquiète d’ailleurs de la recrudescence des combats en zone anglophone. Depuis juillet, au moins 130 civils ont été tués au cours de plus de 100 incidents, d’après l’ONG. Pour trouver une solution à cette crise qui a déjà fait plus de 1 800 morts et plus de 650 000 déplacés internes, un « grand dialogue national » a été organisé du 30 septembre au 4 octobre, mais il a été marqué par l’absence des leaders séparatistes et par le boycott de certains partis politiques. Il a été suivi de la libération des prisonniers anglophones et politiques.
Malgré ces signes d’apaisement, HRW assure que « les violences se sont poursuivies à un rythme soutenu » et que la situation humanitaire s’est dégradée. En octobre, dix humanitaires ont été enlevés par les séparatistes avant d’être relâchés. En novembre, un autre a été tué.
Cette dégradation affecte également des personnes en situation de handicap, qui, elles aussi, ont été tuées, agressées et torturées par des soldats ou des séparatistes. HRW a recueilli des témoignages de ces hommes et femmes, oubliés, qui ne peuvent fuir en lieu sûr lors des échanges de tirs. Certains ont même confié avoir assisté à l’incendie de leur maison par l’armée camerounaise. « Alors que la crise dans les régions anglophones ne montre aucun signe de ralentissement, les personnes handicapées luttent pour se mettre en sécurité et font face à des risques accrus d’attaques, de déplacement et d’abandon », s’alarme Shantha Rau Barriga, responsable des droits des personnes handicapées à HRW. L’ONG appelle à une « réponse humanitaire plus inclusive ».
Le Monde