Le Mali est-il une puissance agricole d’Afrique de l’Ouest francophone ? C’est ce que suggère une publication virale sur Facebook qui fait de ce pays sahélien le leader de la production et de l’exportation de plusieurs denrées. Riz, sucre, mil ou encore arachide: le Mali serait meilleur que ses voisins, selon cette publication. Mais les chiffres publiés par des institutions régionales et internationales montrent que ce message est trompeur.
La publication Facebook, à la gloire du Mali, a enregistré plus de 4.000 partages en dix jours en juin 2022. Il y est écrit que “que malgré la rudesse de son climat, le Mali est le 1er producteur et 1er exportateur de riz en Afrique de l’Ouest francophone“. La publication vante aussi “les prouesses” du Mali pour le sucre, le sorgho, la pomme de terre, le mil etc.
“Au Mali depuis les indépendances la priorité fût donnée aux cultures alimentaires dans le but d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, à cela s’ajoute quelques cultures destinées à l’exportation”, croit savoir l’auteur de la publication.
Ces bons résultats agricoles démontreraient “la bravoure du peuple malien, qui malgré son climat semi désertique, la faiblesse pluviométrique, arrive à faire face à l’adversité“.
Sanctions de la Cédéao
Cette publication est apparue sur les réseaux sociaux près de 6 mois après les lourdes sanctions contre le Mali de la part de la Cédéao, l’organisation des Etats ouest-africains, et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa). Ces organisations ont adopté une batterie de mesures économiques et diplomatiques à l’encontre du Mali afin de sanctionner l’intention de la junte de se maintenir au pouvoir encore plusieurs années, après deux putschs en août 2020 puis en mai 2021.
Elles ont suspendu toutes les transactions commerciales et financières des Etats membres avec le Mali, hors produits de grande consommation et de première nécessité. Elles ont aussi gelé les avoirs du Mali dans les banques centrales de la Cédéao et dans les banques commerciales des Etats membres, et suspendu toute aide et transaction financière en faveur du Mali de la part des institutions de financement de l’organisation.
Ces sanctions qui ont frappé un pays pauvre et enclavé, suscitant l’inquiétude dans de nombreux secteurs d’activité, ont provoqué un mouvement de résistance patriotique.
Premier producteur de riz
Le Mali est-il aussi performant en matière d’agriculture que l’affirme le message viral ? Pour le savoir, nous avons consulté plusieurs bases de données dont celles de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa), de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ainsi que des données d’agences spécialisées en agriculture. La période de production et de recherche concernée est celle de 2020/2021.
La publication s’intéresse d’abord au riz. La FAO et la BCEAO créditent le pays d’une production d’un peu plus de 3 millions de tonnes de riz paddy (riz à l’état brut, non décortiqué) en 2020. Ce qui fait bien du Mali le premier pays producteur de riz paddy d’Afrique de l’Ouest francophone mais pas pour autant le premier exportateur.
Le 6 décembre 2021, le Conseil national de transition (CNT) du Mali a interdit l’exportation de plusieurs produits afin de “sécuriser le ravitaillement des marchés nationaux en produits issus de l’agriculture locale“. Parmi ces produits figurent justement le riz, le maïs, les tourteaux et grains de coton, ainsi que le mil et le sorgho. Difficile de dire qu’un pays qui a gelé ses exportations de riz depuis plus de six mois puisse être classé 1er exportateur de riz d’Afrique de l’Ouest francophone.
Comme tous les pays d’Afrique de l’Ouest francophone, le Mali reste encore tributaire des importations de riz. “Le Mali demeure un importateur net de riz. En moyenne, il importe environ 250.000 tonnes de riz par an pour un coût estimé à 125 millions de dollars, soit jusqu’à un tiers de la consommation de riz urbaine“, indique la FAO dans le rapport de Suivi des politiques agricoles et alimentaires au Mali 2022.
Concernant le sorgho et le mil, la production cumulée pour le Mali est de 3,2 millions de tonnes selon les chiffres de la BCEAO (2020). Pour ces deux éléments, le Niger est le premier producteur et exportateur pour l’Afrique francophone avec 5,4 millions de tonnes en 2020.
Grâce au projet “les Nigériens Nourrissent les Nigériens (3N)“, le pays a boosté sa production pour devenir “le premier producteur du mil et du sorgho de l’UEMOA en 2020, avec près de 40% de la production de l’espace communautaire“, rapporte l’Agence Ecofin, une agence d’information économique africaine .
Le Sénégal, leader pour l’arachide
L’arachide est une denrée largement produite par les pays d’Afrique de l’Ouest francophone. Et pour cette culture, le Mali n’est ni le 2ème producteur, ni le 1er exportateur. En 2020, le Sénégal reste selon la BCEAO leader de la production et de l’exportation de l’arachide avec 1,4 million de tonnes.
Pour la campagne 2021/2022, le pays pourrait faire grimper sa production à 1,6 million de tonnes, selon l’Agence Ecofin. Le Sénégal est suivi par le Burkina Faso (630.526 t), le Niger (599.969 t) et enfin le Mali (485.754 t). Grâce à sa production, le Sénégal est même capable d’influencer le marché international comme l’indique Commodafrica dans son analyse marché du 25 mai 2021. CommodAfrica est une société spécialisée sur l’Afrique et les marchés mondiaux de matières premières.
Malnutrition
Le Mali produit certes d’importantes quantités de céréales et d’autres produits agricoles mais l’agriculture y est encore pratiquée à l’échelle familiale. Et il compte parmi les pays qui souffrent de la malnutrition.
“Au Mali, le nombre de personnes en insécurité alimentaire a presque triplé en une année. Ce niveau alarmant témoigne de la crise alimentaire qui touche actuellement le pays, entraînant des besoins humanitaires qui ne cessent d’augmenter“, écrit la FAO dans son rapport daté de janvier 2022.
“La disponibilité alimentaire est touchée par d’importantes baisses de production dans certaines zones, dues à l’insuffisance pluviométrique, aux inondations et à l’insécurité qui pousse les populations à abandonner leurs champs ou à voir leurs récoltes incendiées et pillées“, indique encore ce rapport.
La classification intégrée des phases de sécurité alimentaire est basée sur 5 échelles de gravité. Sur cette carte du Mali, les zones en jaune sont en situation d’alerte d’insécurité alimentaire, celle en orange courent un risque sérieux d’insécurité alimentaire et les zones en rouge sont en situation critique.
Selon les chiffres publiés en mars par le “Cadre harmonisé”, 27 millions de personnes souffrent déjà de malnutrition dans la région du Sahel central (Mali, Niger, Burkina Faso) et du bassin du lac Tchad, qui inclut aussi Cameroun et Nigeria. Le Cadre harmonisé est un outil d’identification des zones à risques d’insécurité alimentaire et de famine.
Grâce à cet outil, les gouvernements, les agences des Nations Unies, les ONG, la société civile et d’autres acteurs concernés travaillent ensemble pour déterminer la gravité et l’ampleur de l’insécurité alimentaire aiguë et chronique et des situations de malnutrition aiguë dans un pays, selon des normes scientifiques reconnues au niveau international.