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Assassinat de Abdoul Karim Camara: 40 ans après, c’est toujours l’impasse

Notre pays a commémoré ce 17 mars 2020, le 40e anniversaire de l’assassinat du leader estudiantin, Abdoul Karim Camara dit Cabral, torturé à mort au camp para de Djicoroni, dans des circonstances encore non élucidées. Si la propagation rapide de la pandémie du Coronavirus a eu raison des manifestations commémoratives de cet événement historique, il reste que le Mali, en général, et particulièrement la famille et les compagnons de lutte de l’homme se souviennent toujours de lui. 

 

Tantôt enterré à Lafiabougou, dans un jardin non loin du Camp Para, tantôt à Gao ou à Tombouctou, la famille de Cabral et ses compagnons sont toujours nostalgiques de ce lieu, malgré trois décennies de parcours démocratique, le lieu de l’enterrement de ce héros est toujours enveloppé de l’opaque sceau de la raison d’État.

Qui était Cabral ?

Selon ceux qui l’ont côtoyé, l’homme ne fumait pas ; il ne buvait pas, il ne dansait pas ; il ne draguait… Il s’éclatait dans son idéal révolutionnaire et vivait de ses convictions progressistes : lui c’est CABRAL. Pour ceux qui l’ont connu, Abdoul Karim Camara dit CABRAL était l’archétype du leader et du héros en herbe. Consciencieux et travailleur, Cabral était d’un extraordinaire réalisme, d’une fine maturité et d’un déroutant courage qui tranchaient avec la fougue de la jeunesse et le radicalisme révolutionnaire.

Visionnaire, révolutionnaire modéré et modeste, contre toute forme de « jusqu’au-boutisme », très équilibré, toujours prompt à jouer le rôle de conciliateur dans les débats, homme de devoir et conscient de tous les risques qui pesaient sur le mouvement estudiantin en ce mois de février 1980, Cabral, accepte le 17 février de prendre la tête de l’UNEEM. À certains de ses camarades de lutte, il avait confié : « il faut approfondir l’analyse sur la stratégie, car le régime a été tellement secoué, qu’il est tellement aux abois et que la prochaine fois c’est la mort pour nous si on nous arrêtait »…

Un de ses compagnons de lutte, le Dr Modibo Bah Koné du BC/Amsuneem Bamako, disait de lui, dans un témoignage, chez notre confrère les Échos « Pour Abdoul Karim, et il nous le disait chaque fois, un militant, c’est quelqu’un qui est sérieux et travailleur en classe. Comme quoi, il ne suffit pas d’être révolutionnaire au-dehors, il faut l’être d’abord et surtout au-dedans. Aucun d’entre nous ne peut nier cela, Cabral a vécu sa conviction même dans les comportements les plus élémentaires. Pourtant, beaucoup de militants n’arrivent pas à se libérer encore de ces petites aliénations quotidiennes.

Cabral avait pu se libérer de tout cela. Cela pourrait paraître assez naïf aujourd’hui, mais Cabral estimait que nous devrions même nous habiller en révolutionnaires avec le chéchia (d’Amilcar Cabral). Le combat de Cabral était donc un combat de tous les jours pour le sérieux, pour le travail, pour l’effort, pour la promotion de la femme pour la dignité et le nationalisme, contre le tabac, contre l’alcool, contre la vie facile.

Cela, le peuple et la jeunesse du Mali doivent savoir que ce ne fut pas une légende, mais une vie qui s’est réellement illustrée de cette façon et cette vie doit retrouver toute sa lumière pour nous éclairer, maintenant que les modèles importés ont fait la preuve de leur carence, maintenant que les masses déboussolées ne croient plus en rien, car tous les combats ont été récupérés par des élites malhonnêtes. Maintenant ou jamais.

Nul d’entre nous n’aura besoin un jour de chanter ou de magnifier Cabral, car le mythe repose sur la vérité et a rejoint l’actualité, car notre jeunesse aujourd’hui a besoin de références, de modèles de vie, d’un héros qui soit proche d’elle et qui l’interpelle constamment pour qu’elle se ressaisisse. Espérons que le monument dédié à sa mémoire à Lafiabougou soit une leçon de vie et que Cabral vive éternellement dans notre conscience révolutionnaire, car comme le dit le poète, « on a assassiné l’homme, mais on ne peut pas tuer l’idée ».

ASSASSISSANT DE CABRAL LE FILM

Du soulèvement du 13 février 1980, des élèves de Banankoro (région de Ségou) pour exiger la reconnaissance du bureau UNEEM, en passant par le congrès qui a porté Cabral à la tête de l’organisation estudiantine en passant par son arrestation, le 14 mars et sa torture entre le 2ème arrondissement et le Camp para, voici des temps forts d’un assassinat orchestré.   

Selon El Hadj M. Camara, tout a commencé par l’affaire de Ségou, après l’accalmie observée dans la grève des élèves et étudiants à la mi-novembre 1979. Une grève pendant laquelle, l’Union Nationale des Élèves et Étudiants du Mali (UNEEM) avait montré qu’elle était la force dirigeante du mouvement scolaire, explique M. Camara. Ainsi, dit-il, le 15 Janvier 1980, à l’ouverture du congrès de l’UNJM à Bamako, le Secrétaire politique de l’UDPM annonce la dissolution de l’UNEEM. Dès cette annonce, la fièvre s’empara de nouveau du monde des élèves et étudiants surtout qu’auparavant, les rencontres entre l’UDPM et l’UNEEM n’avaient pas abouti à des résultats satisfaisants.

Le Bureau de coordination de l’UNEEM, devant cette décision, invite les Comités à s’imposer davantage au sein de leurs établissements. On assiste alors à des grèves tournantes dans les lycées à travers le pays tout entier, témoigne El Hadj M. Camara.

Le 13 février 1980, les élèves de Banankoro (région de Ségou) déclenchent une grève pour exiger la reconnaissance du bureau UNEEM, indique-t-il, A. Kané, membre du bureau de coordination de l’UNEEM, soupçonné d’avoir lancé ce mouvement, est arrêté en plein cours, le 14 février, selon M. Camara. Le même jour, à Bamako, Tiébilé Dramé, Secrétaire général de l’UNEEM, est arrêté à son tour. Le 15 février, les élèves du Lycée de Ségou, de l’ENTF et des écoles fondamentales décident de marcher sur la brigade de gendarmerie pour libérer leur camarade. Les forces de l’ordre ouvrent le feu et deux garçons de l’école du Groupe Central sont grièvement atteints. L’un des garçons, Sidi Moctar Sacko (14 ans), est amputé d’un bras et l’autre Moulaye Diarra (16 ans) a reçu une balle dans le crâne. Le lycéen Macky Touré est arrêté.

Une semaine plus tard, précise-t-il, l’UNEEM tient un congrès dans la clandestinité. À l’unanimité, Cabral est porté à la tête de l’organisation.

Les premières revendications en tant que conséquences de la crise sont, selon lui, la libération immédiate et inconditionnelle des élèves de Ségou ; la reconnaissance du nouveau bureau de coordination. Entre temps, la grève a gagné tout le pays. Le 8 mars 1980, le Palais de Justice de Ségou est en effervescence : A. Kané et l’élève M. Touré doivent passer en jugement, indique M. Camara. En ville, une manifestation grandiose est organisée par les scolaires. Néanmoins, Kané est condamné à huit mois de prison fermes et l’élève, à trois mois.

Dans ce climat de tension et d’indignation, les élèves et étudiants de la capitale, sous la direction de Cabral, décident de faire capoter la conférence des chefs d’Etats des pays sahariens qui se tient à l’Hôtel de l’Amitié, selon lui. Ainsi, dit-il, Ils passent aussitôt à l’action. En riposte, souligne-t-il, la répression s’abat : des arrestations sont opérées partout, mais les pouvoirs publics restent fébriles et inquiets. Cabral demeure introuvable ! Alors, on se saisit de sa mère (pendant qu’elle revenait de la mosquée) et de son frère aîné. Ceux-ci, malgré un interrogatoire poussé, restent muets, témoigne M. Camara.

Selon M. Camara, le lendemain, vers 13 h, on arrête un autre frère qui ne résiste pas aux épreuves et avoue que Cabral se trouve dans un village situé non loin de la frontière guinéenne, chez leur sœur aînée. Les policiers C.O.B. et Boré sont envoyés à sa recherche, selon lui. Cabral est arrêté (alors qu’il se trouvait dans un camion à une dizaine de km de la frontière guinéenne) et ramené à Bamako, le 14 mars 1980 vers 22 heures.

« À son arrivée au commissariat du 2e arrondissement, la «Poudrière»(où se trouve en garde à vue Rokya Kouyaté, secrétaire générale du Lycée de filles) ses parents sont libérés. On présente Cabral à sa mère qui sanglote et s’écrie «nfa, nfa, on t’a eu ? Tuez-le d’un seul coup au lieu de lui faire subir une mort lente et douloureuse !». Après cette action psychologique destinée à le briser, Cabral est mis au «violon». On avertit alors le Directeur de la Police et le Chef de l’État-Major de la gendarmerie qui arrivent sur les lieux », rapporte-t-il.

« On déshabille Cabral, (il ne lui reste qu’un slip de couleur verte) et on l’attache. Puis, pleuvent les coups. Cabral tombe et reste immobile au sol. On appelle la Radio-Mali pour que l’on vienne enregistrer les déclarations du prisonnier. On oblige Cabral à lire un texte déjà mis au point. Mais la qualité de l’enregistrement est altérée par l’épuisement physique et moral de la victime. On recommence une fois, deux fois, trois fois. Ce n’est qu’à la quatrième tentative que les tortionnaires se déclarent satisfaits de l’enregistrement qui sera diffusé le dimanche soir, demandant la reprise des cours pour le lundi matin », témoigne-t-il.

Selon les témoignages de M. Camara, aussitôt après, Cabral est transféré au Camp Para de Djikoroni où se trouve déjà réunie une brochette de responsables politiques au plus haut niveau. Et les tortures reprennent. Cette fois là, définitivement à bout de forces, Cabral tombe pour ne plus jamais se relever, relève-t-il avec désarroi. Il réclamait, selon lui, faiblement, de l’eau, mais meurt avant d’en recevoir.

Un héros était mort ; une étoile est née, au firmament de la lutte pour la liberté et la démocratie.

Rassemblés par Sidi DAO

INFO-MATIN

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