Plus connue que le 1er octobre 1960, jour de naissance de l’armée malienne, le 20 Janvier 1961, est et restera inscrit en lettre d’or dans les annales de l’histoire comme l’un des tournants majeurs dans l’affirmation et la concrétisation de notre souveraineté nationale, ainsi que de notre fierté et de notre dignité de Maliens. En effet, c’est le 20 janvier 1961 que le président Modibo Keïta, après son investiture devant l’Assemblée nationale, devant le corps diplomatique accrédité dans notre pays, a solennellement demandé l’évacuation des troupes coloniales françaises du territoire malien…
De cette date emblématique à ce jour 20 janvier 1961, 55 années auront vu la vaillante armée malienne au front, sur les champs de l’honneur et de la gloire ; des épreuves ont jalonné son parcours, des tourments, des frictions et des problèmes de discipline n’ont pas manqué. Mais la grande muette du sein de laquelle sont issus deux des cinq présidents élus que le Mali a connus « debout sur les remparts » est devenue progressivement une institution loyale au service de la République et de la Nation. Elle est aujourd’hui vouée exclusivement au développement socio-économique, à la sauvegarde de la paix et de la sécurité « au dedans ou au dehors » de nos frontières.
Des maquis tanzaniens au Congo, des oueds algériens à la forêt centrafricaine en passant par le Rwanda, Libéria et la Sierra Leone…, de Ouhigouya à Abeïbara, Tinzawaten, AGUELHOCK…, ils ont été, ils y sont et seront toujours prêts à se battre et à mourir pour le drapeau malien.
En dépit de la trahison dont elle a été objet à partir de janvier 2012, et de la profonde cure qu’elle subit depuis trois ans, les historiens ont chanté, chantent et chanteront « Janjo » pour ces hommes (et femmes) qui ont honoré l’uniforme malien, qui ont protégé et défendu l’intégrité territoriale du Mali. Pas seulement. Ils ont, aussi, avant d’être aidé aujourd’hui fortement par leurs frères d’armes de la France et de la Communauté internationale, aidé à libérer avant-hier des peuples frères sous le joug du colonialisme et de l’apartheid, aidé à imposer et maintenir la paix et la sécurité, protéger et défendre les populations civiles à travers le monde.
L’armée malienne, c’est aussi cela, cette dimension et cette vocation panafricaine (voir universaliste) conformément à l’engagement des pères fondateurs. Retour sur la belle page de l’histoire de notre armée, fierté nationale.
De l’armée coloniale à l’armée fédérale
En cette année 1863… la conquête du Soudan est en chantier. Un officier français, le Général Louis Faidherbe, « FEDRABA » comme le disent les soudanais, en sera le principal artisan. Elle se fera suivant son plan opérationnel et son timing, par la diplomatie, mais bien souvent par la force : Sabouciré en 1878, Kita en 1881, Bamako en 1883, Ségou en 1890, Nioro en 1891, Tombouctou en 1894, Sikasso en 1898, Gao en 1899…
Mais là, au Kénédougou, dernier rempart et bastion de la résistance, en dépit des canons et mortiers de l’envahisseur qui percent le Tata de toutes parts, ce 1er mai, le Roi mais Chef de guerre, Babemba Traoré refuse de capituler et se donne la mort : « plutôt la mort que la honte ». (Saya ka fussa malo yé) !
La boucle est bouclée, le pays des Fama et des Mansa est soumis. Mais non sans combattre héroïquement, de Saboucié à Sikasso.
Embryon d’Armée coloniale
Le territoire malien, désormais unifié et dénommé Haut-Sénégal-Niger (puis Soudan français en 1920) devient, en 1895, une colonie française intégrée à l’Afrique-Occidentale française avec une portion de la Mauritanie, du Burkina Faso et du Niger. Kayes devient son chef-lieu pour laisser la place, en 1907, à Bamako.
Incorporés de force dans l’armée coloniale, forte de 275.000 hommes dont 122.300 ouest-africains et dédaigneusement appelés tirailleurs sénégalais, les Soudanais ont mouillé le maillot pour libérer par deux fois la France en faisant preuve de bravoure et d’héroïsme dans les tranchées de Verdun, en Indochine, et Europe même. Mais il aura fallu cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale pour que la France reconnaissante accepte d’aligner les pensions des « anciens combattants » nègres sur ceux de leurs compagnons d’armes blancs. Mais ça aussi, c’est une autre histoire.
Disons simplement qu’avant d’octroyer l’indépendance à la Fédération du Mali, la France colonisatrice n’avait laissé qu’un embryon d’armée constitué autour du seul bataillon autonome du Soudan occidental (BASO) composé de Soudanais et Sénégalais basés à Kayes.
Éclatement de la Fédération
Les origines de l’armée maliennes sont donc à situer en 1959 dans la courte saga de la Fédération du Mali et de son éclatement. Éclatement dû essentiellement à de profondes divergences politiques et stratégiques entre soudanais et sénégalais, notamment leurs dirigeants les présidents Modibo Keïta et Léopold Sédar Senghor.
Tandis que Léopold Sédar Senghor du Sénégal prônait et préconisait des relations privilégiées et des accords de défense avec la Métropole, le Soudanais, Modibo Keïta, était un irréductible partisan d’une souveraineté totale, notamment en matière de défense.
Très tôt, des divergences apparurent donc entre les deux entités fédérales, notamment lorsqu’il s’était agi de pourvoir au commandement de l’armée de la Fédération du Mali, notamment à la fin juillet 1960, à l’occasion de la nomination du chef d’état-major.
En effet, le 30 juillet 1960, le conseil de ministre du gouvernement fédéral décide de la nomination du Colonel Abdoulaye Soumaré (un sénégalais qui a des attaches soudanaises) au poste de chef d’état-major. Mamadou Dia, alors ministre de la Défense, qui avait lui, proposé le Colonel Fall, qui protestait ainsi contre ce qu’il considérait comme un empiétement sur ses prérogatives, refusera de contresigner le décret de nomination comme l’exige la Constitution fédérale du 18 juin 1960.
Ce premier accroc dans le fonctionnement des institutions de la jeune Fédération sera lourd de conséquences sur la suite des événements…
Et la suite est connue : la fédération du Mali ne survivra pas au complot de l’impérialisme et du néo-colonialisme ; elle éclatera dans la nuit du 18 au 19 août 1960.
Armée soudanaise
En visionnaire et fin stratège, sans avoir fait une école de guerre, le président Modibo Keïta anticipera sur les événements en prenant la décision de rapatrier, dès le 15 février 1959, le capitaine Pinana Drabo qui servait à Antananarivo à Madagascar, pour lui confier la mission de bâtir une armée nationale.
Le Capitaine Pinana, architecte et maitre d’œuvre de l’armée malienne en gestation, rappellera donc tous les officiers soudanais déployés, à travers le monde au service de l’armée de la Communauté française : les capitaines Sékou Traoré et Kélétigui Drabo, les lieutenants Bougari Sangaré et Demba Diallo. L’appel sera étendu à tous les sous-officiers et hommes du rang déployés à travers les unités de la Communauté, au Sénégal, en Guinée, au Niger, en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), au Dahomey (actuel Bénin), au Togo, etc.
Ces pères fondateurs et pionniers pour servir la patrie furent regroupés au camp de N’Tomikorobougou appelé à l’époque « Camp Guifflot » pour donner naissance à un embryon d’armée nationale commandée par le capitaine Pinana Drabo qui était alors l’officier malien le plus ancien dans le grade le plus élevé.
Chassés du Sénégal après avoir été arrêtés et séquestrés le 21 août 1960, les présidents Modibo Keïta et les responsables soudanais arrivent, à Bamako au petit matin, accueillis en héros, par un peuple uni et debout comme un seul homme.
Bien que viscéralement acquis à l’idée de la Fédération, le Soudan doit s’assumer. L’Assemblée soudanaise, par la loi N° 60-33, promulguée par le décret N° 59 du 6 septembre 1960, donne les pleins pouvoirs au gouvernement de la République soudanaise et fixe les conditions de création de notre armée.
Gestation de l’Armée malienne
L’histoire de l’armée malienne fait corps avec celle de la République. Une République née un certain 22 septembre 1960. Ce jour-là dans la fierté et la dignité retrouvée ainsi que dans l’exaltation nationale du Collège Technique de Bamako (actuel Lycée technique), la Vox populi par ses légitimes représentants notamment l’Union des Travailleurs du Soudan (Mamadou Fanta Mady Sissoko), le Mouvement Soudanais pour la Paix (Sani Moussa Diallo), la présidente des femmes du Soudan (Mme Awa Keïta)… demande le rappel sans délai sous le nouveau drapeau de la jeune République de tous les fils du pays engagés sur les fronts à travers le monde et que celle-ci soit dotée ipso facto d’une armée nationale, composée de Maliens et commandée par des Maliens.
L’appel et la recommandation ne tomberont pas de l’oreille de sourds.
Déjà le 31 août 1960, un décret N° 12-TER-POM portant nomination du commandant du bataillon malien et des membres de l’État-major en République soudanaise du président Modibo Keïta, par ailleurs ministre de la Défense, crée, et organise, en République soudanaise, un bataillon commandé par le Capitaine Pinana Drabo et un État-major commandé par le Capitaine Sékou Traoré qui avaient à leurs côtés comme officiers d’État major : le capitaine Tiemoko Konaté, les lieutenants Demba Diallo et Malick Diallo et le sous-lieutenant Boukary Sangaré.
Le 29 Septembre 1960 (jour de l’adhésion du Mali à l’ONU), un accord est conclu avec Paris en vue du regroupement sur la base de Kati, près de Bamako, de diverses troupes françaises stationnées à Gao, Tombouctou, Kayes, Ségou et Nioro ainsi qu’en d’autres lieux du pays.
Naissance de l’armée malienne
Le 1er octobre 1960 (soit 8 jours, seulement après la proclamation et de l’indépendance et 2 jours après l’adhésion du Mali à l’ONU comme 98ème membre), le président Modibo Keïta, à travers une allocution radiodiffusée, annoncera la naissance de l’Armée malienne.
Ce même 1er Octobre 1960, le Chef d’État-major de l’armée malienne, le Capitaine Sékou Traoré, après l’allocution du Commandant en Chef, ministre de la Defense, Modibo Keïta, rassemble ses hommes et leur tient le premier discours d’un Chef militaire malien :
« Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats de l’Armée du Mali.
La journée du 1er octobre 1960 fera date dans notre histoire, car elle a vu la naissance de notre Armée nationale.
C’est avec une joie et une fierté bien légitimes que je vous adresse le salut fraternel de celui que le gouvernement a bien voulu désigner pour vous commander. Je mesure dans toute son ampleur le redoutable honneur qui m’échoit.
Le peuple de la République du Mali et le gouvernement qui en est authentiquement l’émanation vous font confiance et sont convaincus que par votre tenue, votre discipline, votre dévouement exemplaire et votre sens élevé du devoir vous serez les dignes héritiers de nos pères, de nos anciens qui nous ont légué tant de traditions d’honneur, de loyauté, de fidélité et d’héroïsme.
Maintenant que vous avez une armée nationale, un drapeau et une patrie retrouvée à défendre contre les ennemis de l’intérieur et ceux de l’extérieur, vous saurez, j’en suis persuadé, utiliser pleinement votre bravoure légendaire.
La noble et exaltante mission qui vous incombe exige le don total de soi-même allant jusqu’au sacrifice suprême.
L’esprit d’abnégation qui vous caractérise tous et dont vous avez toujours fait preuve en d’autres circonstances et en d’autres lieux, vous le manifesterez, ici, sans défaillance pour que la République du Mali vive libre et prospère.
Officiers, sous officiers, caporaux et soldats de l’Armée du Mali, aujourd’hui plus qu’hier, ici, plus qu’ailleurs, le peuple et le gouvernement comptent sur vous.
Je suis convaincu que vous ne les décevrez pas quoiqu’il arrive.
Je salue vos drapeaux et étendards. »
“Mali sordassiw
An yan yerè ta bi,
An ka wili,
An ka na malo…”
Quelques jours plus tard, le 12 Octobre 1960, l’armée malienne fut présentée au président Modibo Keïta à travers une cérémonie solennelle sur la Place Maginot, l’actuelle Place du Souvenir en face du Ministère de l’Éducation nationale et de la mairie.
Évacuation des bases militaires françaises
Trois mois plus tard, le 20 janvier 1961, après avoir été adoubé par l’Assemblée nationale et investi à l’unanimité comme Chef de l’État, le président Modibo Keïta invite le corps diplomatique accrédité dans son pays et leur tient ce discours sans ambigüité :
« Je vous remercie de vous être distraites de vos augustes occupations et de vos nombreuses préoccupations pour répondre à mon invitation.
L’importance de la communication exige que je vous la fasse moi-même.
À l’heure qu’il est, l’Ambassade de France en République du Mali est informée par mes soins de la décision de mon parti et de mon gouvernement de voir la France évacuer les bases militaires de Bamako, de Kati, de Gao et de Tessalit, qu’elle occupait du fait des accords franco-maliens signés à Paris le 22 juin 1960, entre elle et la Fédération du Mali et qui deviennent caducs après les événements du 19 au 20 août 1960 et l’acte de reconnaissance par la France du gouvernement du Sénégal, acte qui consacre la dislocation de la Fédération du Mali.
La République du Mali a affirmé sa volonté de coopérer avec la France sur la base de la non-ingérence dans nos affaires intérieures et du respect de notre souveraineté. La décision de mon parti et de mon gouvernement ne met nullement en cause cette volonté. Elle est l’expression de notre conviction qu’à moins d’abandon volontaire de souveraineté de la part d’un État jeune ou d’accords particuliers dans le domaine de la défense, les troupes de l’ex-puissance coloniale ne peuvent stationner sur le territoire de l’ex-colonie aux côtés des troupes du jeune État. D’autre part, le peuple du Mali, l’Union Soudanaise-R.D.A., et le gouvernement de mon pays ont toujours affirmé leur option en faveur de la politique de non-alignement sur l’un ou l’autre des deux blocs. Cette attitude est en contradiction avec la présence, sur son territoire, des troupes d’une puissance étrangère et à laquelle ne le lie aucun accord et qui d’autre part est engagée dans le pacte militaire d’un bloc.
Je prie vos Excellences d’informer vos gouvernements respectifs et d’attirer leur attention sur notre ferme décision de l’évacuation rapide des troupes stationnées en République du Mali.
Je vous remercie. »
Les troupes françaises sont donc priées de plier bagage, telle est la volonté et la position clairement affirmées des nouvelles autorités souveraines de Bamako. Volonté de matérialiser l’indépendance ? Affirmation de la souveraineté ? Ou une manifestation de solidarité sans faille à l’égard du peuple frère algérien qui à travers le FLN avait était passé à la lutte armée contre l’armée coloniale ?
Les historiens diront que l’anticolonialiste, le progressiste et panafricaniste Modibo Keïta n’était pas homme à laisser sur son territoire une armée coloniale continuer de dominer et d’asservir un peuple frère qui lutte pour recouvre sa liberté et sa dignité. Mais ça, c’est une autre histoire.
Continuons et disons simplement comme le président de l’AMEMOK (Association pour la Mémoire de Modibo Keïta), M. Sanounou Keïta que « Dans les conditions de l’époque, pour les combattants de l’indépendance, ce fût un acte courageux, téméraire, patriotique et surtout visionnaire de créer dès le 1er octobre 1960 notre armée et d’exiger dès le 20 janvier 1961 l’évacuation des bases militaires maliennes qui étaient occupées par les troupes coloniales. ».
Mais l’Histoire retiendra que c’est à partir du juin 1961 que l’armée coloniale a commencé son retrait de notre territoire. Ainsi, de juin à Septembre 1961, toutes les bases françaises ont été évacuées. La dernière, la Base 162 de Bamako, actuelle Place d’armes du Génie, sera évacuée le 5 Septembre 1961.
C’est donc, ce 5 septembre 1961, et non le 20 janvier 1961, que le dernier contingent des militaires français a quitté le sol malien. À cette occasion une cérémonie militaire solennelle a été organisée au cours de laquelle le drapeau malien a été hissé à la place du drapeau français. C’est pour cette raison du reste que l’avenue reliant le Monument de la paix et celui de l’Indépendance sera baptisée, « Avenue du 5 septembre 1961 ».
Les missions de la nouvelle armée
C’est le 3 août 1961, que l’Assemblée nationale souveraine du Mali, a adopté la loi N° 81/AN-RM portant organisation générale de la défense dont l’ambition est d’assurer en tout temps, en toute circonstance, contre toutes les formes d’agressions, la sûreté et l’intégrité du territoire, ainsi que la sauvegarde de la vie des populations. Elle pourvoyait en outre le respect des alliances, traités et accords internationaux.
L’armée malienne est donc légalement créée. Avec la naissance de l’armée malienne, notre pays ne confiera plus de responsabilité de sa défense à une puissance tierce (du moins jusqu’à la crise de 2012) et développera d’ailleurs une diplomatie militaire multiforme et diversifiée, fondée sur l’intégration et la recherche de la paix et la sécurité dans le monde.
Qu’à cela ne tienne, le concept de souveraineté militaire au double plan interne et externe ne nuira pas à la coopération technique avec des puissances étrangères, notamment en ce qui concerne la formation des cadres maliens. Nombre d’entre eux ont ainsi été formés dans les grandes académies militaires en France, dans l’ex-URSS, aux États-Unis, en République fédérale d’Allemagne, en Roumanie, en ex-Yougoslavie.
Source: info-matin