Une sécularisation galopante de certaines sphères religieuses marquée par leur entrée fracassante dans l’arène politique interpelle de plus en plus certains acteurs politiques qui s’organisent et entendent donner de la répartie, en reprenant la place qui leur revient constitutionnellement. C’est vrai que quand le sacré et le profane veulent faire ménage, cela provoque un remue-méninge.
Certains événements marquent indubitablement un tournant majeur dans l’histoire politique de notre pays. C’est le cas du projet de réforme du Code de la famille et de la personne initié par le Président ATT. Il a été accueilli par un rassemblement de plus de 50 000 personnes dans le Stade du 26 mars de Bamako en 2009. Après son renvoi à une seconde lecture suite aux protestations des islamistes, le nouveau code de la famille et de la personne a été adopté, le 2 décembre 2011, par l’Assemblée nationale. Mais, il est élagué de tout ce qui était considéré comme avancées en matière de droits de la femme et de l’enfant.
L’on concède néanmoins, toute proportion gardée, que les religieux puissent interférer dans cette matière où la morale sociale est également très présente.
Interférence et ingérence
Mais, en est-il de même du projet de réforme constitutionnelle dont l’impératif est dicté par un aggiornamento politique et institutionnel ? Il y a lieu d’en douter. Pourtant, certainement échaudés par la fronde contre le Président ATT qui a dû battre en retraite avant de revenir sur des concessions sur toute la ligne, depuis le lancement du processus, c’est une interminable procession situationniste des responsables nationaux chez les leaders religieux pour obtenir leur bénédiction. Il est apparu que certains d’entre eux ont des exigences pour le moins spéculatives. Ce faisant, ils prennent en otage une réforme qui est d’une nécessité indiscutable pour le pays.
Il y a eu également la grande marche du 5 avril 2019 initiée par des religieux rejoints par une flopée de mécontents de tout bord de la gouvernance actuelle. Elle a été ponctuée d’une sévère mise en garde au Président IBK de relever son Premier ministre Soumeylou Boubeye MAIGA. Si le massacre d’Ogossagou où au moins 157 villageois ont été assassinés, le 23 mars dernier, figurait en bonne place du mot d’ordre de la manifestation d’humeur, il en aura été finalement le parent pauvre. Au-delà des artifices, l’objectif était clairement que SBM dégage.
En voici une de ces dérives qui mettent en péril les principes républicains. Parce que, les modes d’éviction d’un Premier ministre sont édictés par la Loi. À cet effet, l’article 38 de la Constitution dispose : ‘’le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
Sur proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions’’. L’interprétation de cet article révèle que si le Président nomme un PM à sa guise, son limogeage relève d’une autre paire de manche. Il ne peut pas le faire sans l’accord préalable de ce dernier.
Autre cas de figure où un PM peut être éjecté, c’est une motion de censure. C’est d’ailleurs sous cette menace que SBM a jeté l’éponge. Dans cette veine, l’article 78 de la Constitution dispose : ‘’le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale.
Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée. Si la motion de censure est rejetée, les signataires ne peuvent en proposer une nouvelle au cours de la même session’’.
Aucune de ces deux conditions n’étaient réunies, lorsque les manifestants exigeaient le renvoi du Premier ministre. En le faisant, il y a une usurpation des prérogatives de l’Assemblée nationale.
Auparavant, l’Imam DICKO disait à propos du meeting du 10 février : « ce grand rassemblement sera une journée spirituelle, de pardon et de communion entre fils et filles du Mali pour trouver des voies et moyens pour sortir de cette situation qui est en train de conduire notre pays vers l’abime ». Puis à RFI il confie : « le problème de notre pays, c’est un problème de gouvernance. Ce meeting est aussi l’occasion de le souligner. Il faut aussi que les uns et autres se parlent ». Le jour J, le meeting s’est transformé en tribune de remise en cause de l’ordre public républicain, de contestation de la gouvernance et des principales autorités du pays dont le Premier ministre Soumeulou Boubèye MAIGA qui devait impérativement dégager. Au moment des faits, certains avaient crié à la république des Mollahs.
Les religieux ne sont pas les seuls à se tromper de préceptes et d’époque. Beaucoup d’associations ne sont pas non plus en marge de cette fâcheuse tendance en naviguant avec une aisance inouïe entre différentes eaux douces.
Par une étrange alchimie, ceux qui gravitaient autour du pouvoir politique sont devenus les faiseurs d’opinion. Suprême injure pour les politiques ainsi battus à plate couture sur leur propre terrain.
L’abdication des politiques
Il faut dire que les acteurs politiques en se démettant sont à l’origine de cette dérive qui n’ira que grandissante si un coup d’arrêt n’y est mis. Ils ont donné aux religieux et autres associations les pouvoirs dont ils usent et abusent. Et pour cause !
Primo, ce sont les acteurs politiques, particulièrement les candidats à l’élection du Président de la République, qui ont confié leur succès électoral à des leaders religieux. Il y a une scandaleuse sujétion des politiques aux religieux. Chacun des chercheurs de pouvoir a eu, à moment ou un autre, à aller s’aplatir devant ceux qu’on appelle généreusement légitimités religieuses. Grisés par cette reconnaissance de faiseurs de roi et les largesses qui s’élèvent parfois à des centaines de millions de nos francs, alimentant les ambitions en tout genre, ils décident d’occuper eux-mêmes le trône, de jouer les premiers rôles, à savoir ceux impartis aux acteurs politiques.
Secundo, au sein de l’opinion, il y a une très mauvaise perception des politiciens, parce qu’ils ont galvaudé leur crédibilité. La politique est devenue synonyme de mensonge, de fourberie ; alors, le peuple s’y détourne pour adorer d’autres dieux (leaders religieux, responsables associatifs) sans être sûr que ce n’est pas le veau d’or qu’il adore.
Tertio, le renouvellement de la classe politique est si lent qu’il est à peine perceptible. Le peuple a l’impression d’avoir à faire aux mêmes têtes, aux mêmes pratiques.
Le challenge des politiques
Le challenge à présent pour certaines formations politiques, dont la CDS, est la récupération de leurs prérogatives. Selon la Charte des partis politiques : ‘’les partis politiques sont des organisations de citoyens réunis par une communauté d’idées et de sentiments, prenant la forme d’un projet de société, pour la réalisation duquel ils participent à la vie politique par des voies démocratiques. Ils ont vocation à mobiliser et éduquer leurs adhérents, à participer à la formation de l’opinion, à concourir à l’expression du suffrage, à l’exercice du pouvoir et à encadrer des élus’’. C’est par rapport à cela que le Président de la CDS, Blaise SANGARE, invite la classe politique à se ressaisir, tout en prônant une clarification des rôles et le portage des actions politiques par les acteurs politiques.
Au-delà du retour aux fondamentaux politiques, il y a un défi autrement plus important à relever, à savoir la réhabilitation de l’image de marque de l’homme politique malien entachée d’opportunisme, de manipulation, de corruption, de mensonge… C’est à l’aune du volontarisme que requiert ce changement radical que se mesurera la détermination des acteurs politiques à redevenir maîtres de leur terrain.
PAR BERTIN DAKOUO