Le soleil darde ses premiers rayons du ciel d’un lundi matin. Une centaine de camions citernes fait la queue dans les alentours de l’Office nationale des produits pétroliers (ONAP) à Faladié. Certains passent au bureau des douanes, pour des formalités, d’autres attendent, impatiemment, de reprendre la route ou sont en réparation dans les nombreux garages installés dans la zone.
La providence a fait se croiser le destin d’un groupe de jeunes qui, aujourd’hui, forment une famille. Venus tous du Mali profond, leur objectif est de réussir à Bamako afin de s’occuper de leurs parents restés au village. Assis sous un hangar en paille, qui leur sert de terrasse, leurs sacs et objets personnels cohabitent avec quelques pièces de rechange de camion, dans un kiosque métallique rouge.
Les six garçons sont assis, deux sur des chaises et deux autres se partagent un lit pliable. Seul, Adama Sangaré, 28 ans, le plus âgé du groupe est sur sa chaise et prépare du thé, l’infusion préférée au Mali. A la radio, un titre populaire du rappeur Master Soumy passe en boucle, musique qui se mêle aux coups de marteau et vrombissements de moteur de camions en réparation. A côté, des poules gloussent, grattent et picorent des graines visibles d’elles seules.
Ils viennent de Ségou, Bamako, Sikasso, Loulouni, Fana, Baraoueli et espèrent devenir, un jour, des chauffeurs de poids lourds. Moulaye Konta, Oumar Seck, Mamoutou Berthé, Mamadou Diabaté et Gaoussou Diarra sont, tous, « apprentis », pour le moment. Bien que le métier soit rude, avec des revenus dérisoires, ils l’aiment. En effet, grâce à leur travail, ils voyagent dans différents pays de la sous-région, rencontrent de nouvelles personnes, découvrent d’autres cultures, d’autres mets, d’autres réalités mais, aussi, de mauvaises expériences, des attaques de bandits armés et des accidents mortels qui les marquent à vie.
Moulaye Konta, 23 ans, a réussi à l’examen du baccalauréat, il y a deux ans. Après 6 mois sur les bancs de l’université de Ségou, il rejoint Bamako sur instruction de son père. Ce dernier, le confie à un chauffeur de camion-citerne. Un peu réservé, le seul rêve de Moulaye est de devenir aménagiste. En attendant que son père réunisse les moyens pour financer ses études, il se rend utile et espère gagner un peu d’argent pour le soutenir. Pour son premier voyage, il se rend au Ghana avec son patron pour transporter du carburant au retour. « Un choc de culture !!! Ce voyage m’a beaucoup marqué. Accra, la capitale est tellement propre que je me croyais dans une ville européenne, comme on les voit dans les films », se remémore-t-il avec un large sourire. « Nulle part à Accra, on ne voit de déchets. Un peu partout, il y a des poubelles. Les taxis, sont propres et en bon état. Pas comme les nôtres qui sont sales et vieux », raconte Moulaye.
Dans les régions de Téma, Takoradi et Cape Coast qu’il a pu visiter, « les universités sont immenses. Pas comme chez nous ». « En fait, ce sont des villes dans les villes où il faut des bus et taxis pour se déplacer à l’intérieur, tellement elles sont grandes », ajoute Adama Sangaré. Certains confient avoir vu des agents de police ghanéens verbaliser des étrangers pour avoir jeté des déchets à tout va. Mamoutou Berthé, 25 ans, abonde dans le même sens et dit à quel point il a été émerveillé, lors de son premier séjour à Abidjan. « Les gratte-ciels à perte de vue, les transports en commun ultra modernes, la mer et, surtout, la nourriture qui coûte moins chère ». Mais, aussi, voir tous ceux qui roulent à moto, porter un casque, une chose inimaginable pour ces jeunes apprentis. Souvent, après de longs séjours, de découvertes et de belles rencontres avec des apprentis d’autres pays, le chemin du retour est souvent semé d’embûches.
« A l’aller, le voyage est en général calme », confie Adama Sangaré, le plus âgé des apprentis. Les difficultés interviennent au retour, lorsque les citernes et autres camions sont chargés de marchandises. Il y a, très fréquemment, les cas de pannes qui peuvent, souvent prendre jusqu’à deux ou trois semaines avant d’être réglées. « Dans ces cas, on se trouve en plein milieu de nulle part. Pour trouver un mécanicien ou des pièces de rechanges, on fait de l’auto-stop pour rallier la ville la plus proche », relate Mamadou Diabaté.
UNE VIE DURE – Certains chauffeurs donnent gentiment de l’eau à boire et, souvent, quelques provisions. Il y a une grande solidarité, sur la route, les chauffeurs ghanéens, ivoiriens, togolais, béninois et autres ne manquent jamais d’apporter assistance et c’est réciproque. Il arrive que certains chauffeurs laissent l’apprenti se débrouiller en pleine campagne mais cela reste des cas rares car la marchandise transportée est sous sa responsabilité.
En plus de cela, il y a les cas d’attaques par les bandits armés, friands de camions chargés de marchandise. Il y a deux mois, un camion en route pour le Mali a été attaqué sur la route de Bouaké (Côte d’Ivoire). La cabine a été criblée de balles. L’apprenti a reçu deux projectiles, un au bras et l’autre à la hanche. « Il est, aujourd’hui, hors de danger », confie Mamadou Diabaté. Il y a eu une attaque similaire au Ghana, plus précisément à Wale-Wale, au cours de laquelle la cabine du camion a reçu quatre impacts de balle, deux sur le pare-brise et deux autres, un peu au-dessus de la roue arrière gauche.
Enfin, il y a les cas d’accidents mortels, aussi horribles les uns que les autres. « Une fois au Burkina Faso, l’une des roues d’une citerne était enfoncée dans un trou. Avec d’autres personnes, nous leur avons porté notre aide, », relate Oumar Seck, entre deux gorgées de thé à la menthe. Un camion grue est venu assister, mais pendant plusieurs heures il n’y avait pas d’évolution. « On ne sait comment, le camion a pris feu », raconte le jeune apprenti. « Nous avons dû prendre nos distances de la scène. Le carburant, la citerne, la grue et un autre véhicule ont tous brulé », dit-t-il.
Des accrochages entre gros porteurs et des bus font, souvent, des hécatombes. Mamoutou Berthé, le plus timide du groupe, a vécu deux drames similaires qui l’ont marqué à jamais. Au Ghana et sur la route de Ségou, les apprentis et transporteurs, de passage, sont intervenus pour désincarcérer les passagers blessés avant l’arrivée des secours. « Certains baignaient dans leur sang, des membres sectionnés, d’autres étaient brulés par le feu. Les gens agonisaient. Tous ceux qui étaient de passage ont apporté leur aide pour sauver les passagers », confie Mamoutou.
Depuis un certain temps, un nouveau phénomène s’ajoute aux difficultés des routiers dans la sous-région. Des djihadistes interceptent les camions et, souvent, exigent une partie des marchandises.
En dépit de tous ces risques, la rémunération dans le métier d’apprenti chauffeur reste dérisoire. Les apprentis sont payés, dans les normes à 1 000 Fcfa par jour. Malheureusement, c’est la croix et la bannière pour entrer en possession de cet argent. « Il y a, souvent, des chauffeurs malhonnêtes qui payent rarement leur apprenti », déplore Adama Sangaré, le doyen des apprentis. Toutes leurs charges sont reposent sur ces 1 000 F cfa journalier : soins, nourriture, habillement, voire petite économie pour envoyer quelques sous aux parents restés au village.
Ces jeunes hommes évoluent dans un environnement sans cadre juridique et règlementation. Leur seul salut viendra, le jour, où ils deviendront aussi chauffeur. Leur objectif est, donc, de devenir un routier. Cette formation n’a, malheureusement, pas une durée déterminée. Entre le ronronnement des moteurs et les coups de marteau des mécaniciens alentour, Moulaye soutient que certains apprentis deviennent chauffeur au bout d’un an. Par contre, certains peuvent faire dix ans sans conduire. « Cela dépend du bon vouloir du chauffeur (du patron) car c’est ce dernier qui doit t’assister », dit-il.
Quelques rares fois, le propriétaire du camion ou l’entreprise aide l’apprenti à passer son permis de conduire.
OS
Source : (AMAP)