Le 5 avril 2019, des milliers de Maliens sont descendus dans les rues de Bamako pour réclamer la démission du premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, et le départ des forces étrangères présentes dans le pays.
Cette mobilisation a répondu à l’appel lancé par l’Imam Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique (HCI) et du chérif de Nioro, Mohamed Ould Checknè, communément dénommé « Bouyé », un chef religieux influent établi dans l’Ouest du Mali. Elle a été l’une des plus grandes manifestations qu’a connues le pays depuis les mouvements populaires de mars 1991 pour l’avènement de la démocratie. Plusieurs partis politiques de l’opposition, des organisations de la société civile et des syndicats se sont associés à cet appel.
L’ampleur de la mobilisation traduit le mécontentement d’une bonne partie de la population malienne, qui perçoit comme inefficaces les réponses nationales et internationales à la crise multidimensionnelle que traverse le pays depuis 2012.
Caractérisé par des grèves à répétition paralysant les secteurs de l’éducation, de la justice et de la santé, le front social malien est en ébullition depuis plus de deux ans. La plupart des revendications concernent l’amélioration des conditions de vie et de la sécurité.
Si les acteurs de l’opposition pointent du doigt les imperfections du scrutin, les manifestations sont également pour eux le moyen de se maintenir sur le devant de la scène politique
Ces positionnements protestataires, initiés par les autorités religieuses, viennent s’ajouter aux tensions politiques nées de la présidentielle de juillet 2018 et à un front social agité par les revendications des différents syndicats.
Certains acteurs politiques, dont Soumaïla Cissé qui était le principal concurrent du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), contestent la légitimité du président élu. Depuis août 2018, de nombreux mouvements de protestation ont été organisés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays en vue d’exercer une pression sur les autorités que l’opposition accuse de fraude électorale.
Si les acteurs de l’opposition pointent du doigt les imperfections du scrutin, les manifestations sont également pour eux le moyen de se maintenir sur le devant de la scène politique en exploitant les griefs et les frustrations, dans l’attente des prochaines échéances électorales. Face aux opposants, le gouvernement, de son côté, compte sur l’essoufflement des manifestations.
Si la détérioration du contexte sécuritaire a focalisé l’attention depuis le début de l’année, notamment avec la persistance et la diffusion de l’insécurité du nord au centre du pays, le climat sociopolitique s’est considérablement dégradé au cours des dernières semaines. Cette situation fait peser de grandes incertitudes sur la faisabilité des réformes politiques et institutionnelles annoncées par le gouvernement pour cette année 2019 et attendues par l’ensemble des acteurs impliqués dans la stabilisation du Mali.
L’implication des religieux dans l’orientation et la gestion des affaires publiques au Mali s’est accentuée au cours des dernières années
Le redécoupage administratif, la révision constitutionnelle et la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale figurent parmi ces réformes majeures prévues par le Mali et ses partenaires pour faire face aux défis croissants.
Selon l’Institut national de la statistique du Mali (INSTAT), entre 2017 et 2018, le coût de la vie a augmenté de 1,7 %, avec un pic pour les prix du logement, de l’eau, du gaz et de l’électricité, qui ont grimpé de 21,5 % en un an. Ces hausses ont entraîné une détérioration du niveau de vie des Maliens. En effet, près de trois ménages sur 10 estiment qu’il s’est dégradé, selon l’Enquête modulaire et permanente auprès des ménages (EMOP) réalisée entre juillet 2017 et février 2018.
C’est dans ce contexte que certaines figures religieuses, qui avaient soutenu le président de la République en 2013 avant d’appeler à voter contre lui en 2018, réclament aujourd’hui un changement de cap dans la gouvernance du pays. Ils estiment que c’est la communauté internationale qui détermine les choix stratégiques au Mali, notamment concernant la possibilité de négocier ou pas avec les groupes extrémistes violents.
Il faut rappeler qu’entre 2016 et fin 2017 le président du Haut Conseil islamique, avec d’autres personnalités du pays, était engagé dans une mission de bons offices auprès de certains chefs de groupes qualifiés de « terroristes ». Avec l’arrivée d’un nouveau premier ministre, en décembre 2017, il a été mis fin à cette mission et le président du Haut Conseil islamique attribue cette situation à la pression, jugée inefficace, qu’exerce la communauté internationale sur le Mali.
Les défis liés à l’amélioration de la gouvernance du Mali sont progressivement devenus des urgences
L’implication des religieux dans l’orientation et la gestion des affaires publiques au Mali s’est accentuée au cours des dernières années. Conscients de leur poids sur l’échiquier social et politique, certains d’entre eux réclament ouvertement le départ d’acteurs politiques qu’ils considèrent en porte-à-faux avec les normes religieuses.
En vue d’apaiser le climat sociopolitique, le président Keïta a décidé d’organiser des réunions bi et multilatérales avec certains acteurs politiques et civils du pays. En février 2019, il a rencontré, à plusieurs reprises, le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé. Ces entrevues, selon le président de la République, visaient à rétablir le dialogue avec l’opposition sur les grandes questions nationales, notamment les réformes politiques et institutionnelles ainsi que les problèmes sécuritaires. Si ces rencontres ont été suspendues par le président IBK sans justifications, elles ont repris depuis la grande mobilisation du 5 avril 2019 et ont été élargies aux chefs religieux et traditionnels.
Les défis liés à l’amélioration de la gouvernance du Mali sont progressivement devenus des urgences. Les réformes majeures à opérer aux niveaux politique, institutionnel et sécuritaire sont incontournables pour assurer la stabilité. Elles doivent toutefois être précédées d’un accord minimum commun avec l’ensemble des couches représentatives de la société malienne.
Les autorités maliennes, appuyées par les partenaires du pays, doivent accompagner ce processus afin d’identifier, dans une approche participative et inclusive, les réformes nécessaires à l’amélioration de la gouvernance.
Baba Dakono, Chercheur, et Bassirou Gaye, Chercheur boursier, ISS Bamako
Source: Le Républicain