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ALIOUNE TINE, L’EXPERT DE L’ONU: « Il faut aider le Mali menacé par l’effondrement »

De passage au bureau des Nations Unies à Genève à l’occasion de la présentation de son rapport au Conseil des droits de l’homme, l’expert indépendant de l’ONU sur le Mali, Alioune Tine, a partagé son analyse sur la situation du pays au micro de l’ONU Info Genève. De son avis, le Mali est menacé par l’effondrement.  

 

Selon Alioune Tine, 10 mois après le second coup d’État, le Mali est touché par une crise multidimensionnelle, à la fois sécuritaire, politique, climatique et sanitaire. Et depuis plus d’un mois, des cas d’exactions contre les civils sont relevés et se multiplient dans le pays.

Il y a plus d’un mois, de passage, l’expert indépendant avait exprimé sa satisfaction de l’amélioration de la situation sécuritaire, des droits de l’homme et des déplacés au Mali. Selon lui, la détérioration de la situation sécuritaire globale au Mali a dépassé le seuil critique.

Le constat d’Alioune Tine est clair. Depuis 4 mois, le pays d’Afrique de l’Ouest subit une grave recrudescence de la violence, perpétrée à la fois par les soldats djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État Islamique (EI), ainsi que les groupes communautaires et les forces maliennes. Une conclusion d’autant plus préoccupante que le Sénégalais avait pourtant observé une amélioration tangible de la situation des droits de l’homme sur le dernier trimestre de l’année 2021, lors de sa cinquième visite officielle au Mali. « Pour la première fois, depuis le début de mes visites en 2018, j’ai noté une amélioration tangible de la situation sécuritaire, de la situation des personnes déplacées internes, de la situation des droits de l’homme ainsi que des dynamiques de paix endogènes, notamment dans le centre du Mali », avait expliqué l’expert indépendant de l’ONU lors de sa dernière visite officielle de dix jours au Mali en février dernier.

Selon lui, le nombre de violations des droits humains, documentées au cours du dernier trimestre de 2021 par l’ONU, a diminué de 27%. Aussi, l’équipe d’Alioune Tine enregistre une baisse de près de 30% du nombre d’incidents de protection entre novembre et décembre dernier.

Malheureusement, plus d’un mois après, il souligne que les populations civiles sont les premières touchées, avec de nombreuses disparitions forcées et des allégations de tortures. Un rapport de la mission de l’ONU au Mali (MINUSMA) avait déjà confirmé l’assassinat de 584 civils en 2021, un chiffre qui pourrait augmenter en 2022.

Attaque contre des civils à Moura  

L’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme au Mali a exprimé sa vive inquiétude au sujet d’informations non confirmées selon lesquelles les forces armées maliennes et le personnel militaire privé russe auraient exécuté des dizaines de civils lors d’une opération militaire du 27 au 31 mars, à Moura, dans la région de Mopti. « Je demande aux autorités maliennes de mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie, indépendante, impartiale et efficace sur toutes les violations présumées », a-t-il indiqué dans un communiqué.

Le 4 avril, la MINUSMA avait déjà indiqué avoir lancé une opération de sécurisation dans plusieurs villages de Talataye, suite à des informations faisant état d’attaques contre la population civile par de présumés terroristes. « Cette situation est extrêmement préoccupante », indique l’expert, qui met en garde contre un cycle continu de violence et de vengeance.

L’impunité des groupes armés  

Alioune Tine explique que les groupes armés constituent un cancer pour le Mali et une menace pour les pays côtiers, notamment le Bénin, le Togo, le Ghana et le Sénégal. En effet, ces hommes multiplient les viols, ont recours à des enfants soldats et se livrent à une série d’exactions contre les populations civiles (exécutions sommaires, tortures, intimidations, imposition de taxes illégales).

Les forces de défense et de sécurité maliennes sont aussi accusées de violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. « Le grand problème aujourd’hui, c’est l’impunité », affirme l’expert indépendant.

Il a souligné, le 29 mars, devant le Conseil des droits de l’Homme, le manque d’enquêtes, la lenteur des procédures judiciaires et l’absence de juges d’instruction. Une perspective partagée par la Haut-commissaire aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet qui avait déjà estimé en juin 2021 que ce système constituait un risque grave pour la protection des civils.

Renouveler le dialogue entre la France et le Mali  

Sans stratégie militaire efficace, les violences risquent de se généraliser dans toute la sous-région, mettant en péril la stabilité de l’Afrique de l’Ouest. À ce titre, l’expert sénégalais, interrogé sur le retrait de l’opération militaire Barkhane, estime que la perte de ces 6.000 hommes et de ces ressources matérielles va accentuer la vulnérabilité du Mali.

Il s’agissait en effet de moyens importants alloués à la lutte contre le terrorisme. En 2020, le gouvernement français avait investi 880 millions d’euros dans cette opération. En réaction, Alioune Tine appelle à renouveler le dialogue entre la France et le Mali qui sont de vieux amis.

Reconstruire une stabilité nationale et régionale  

Face à ce constat, l’expert indépendant demande à la Communauté internationale de ne pas abandonner le Mali au moment où il en a le plus besoin. Sans pouvoir politique stable et touché par une crise sécuritaire majeure, le pays est en effet menacé d’effondrement.

Alioune Tine avertit également sur la présence présumée du groupe paramilitaire Wagner sur le territoire national. « Il faut faire attention à ce qu’il n’y ait pas d’effets pervers du basculement géopolitique mondial au Mali », relève-t-il.

Pour l’expert, il est essentiel que les Africains se saisissent de cet enjeu et qu’ils construisent leur propre géopolitique, afin d’assurer leur sécurité et défendre leurs intérêts. Il incite ainsi à faire participer davantage la société civile, tout en collaborant avec la CEDEAO et l’Union africaine pour repenser la stratégie actuelle.

Il souligne également l’importance des processus démocratiques au Mali. « Il faut aller aux élections », déclare-t-il, à condition de bien les préparer, de manière à ne pas produire une autre crise. Alioune Tine reste optimiste pour l’avenir du Mali.

Bourama KEITA

Source : LE COMBAT

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