La crise entre l’Algérie et le Mali a atteint un point critique ces derniers jours, marquée par une escalade des tensions et des accusations mutuelles. Il est difficile de prédire avec certitude jusqu’où ira cette crise, mais plusieurs éléments indiquent une situation potentiellement durable et aux conséquences régionales importantes.
La crise entre l’Algérie et le Mali est à un tournant dangereux. L’escalade rapide des tensions et la profondeur des désaccords laissent présager une période d’instabilité et de méfiance durable. La capacité des deux pays à trouver un terrain d’entente, ou l’intervention de médiateurs efficaces, sera déterminante pour l’évolution future de cette crise.
Le gouvernement malien a accusé l’Algérie d’avoir abattu un de ses drones de surveillance au début du mois d’avril 2025, qualifiant cet acte “d’agression préméditée”. L’Algérie a justifié son action en affirmant que le drone avait violé son espace aérien.
En signe de protestation, le Mali, suivi par le Niger et le Burkina Faso (membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), ont rappelé leurs ambassadeurs en Algérie pour consultations. Le Mali a annoncé son intention de déposer une plainte devant les instances internationales contre l’Algérie pour “actes d’agression”.
Bamako a également décidé de se retirer avec effet immédiat du Comité d’Etat-major conjoint (Cémoc), un mécanisme de coopération sécuritaire régionale. L’Alliance des États du Sahel a exprimé sa solidarité avec le Mali, condamnant la destruction du drone.
Facteurs sous-jacents
La rupture par le Mali de l’accord d’Alger en 2023, qui visait à apporter la paix et la réconciliation dans le Nord du pays, a été un point de départ majeur de la dégradation des relations. L’Algérie était un acteur clé dans la médiation de cet accord.
L’influence croissante de la Russie au Mali, notamment à travers la présence du groupe Wagner (désormais Africa Corps), suscite l’inquiétude de l’Algérie, qui voit son rôle régional potentiellement diminué.
Le Mali a accusé l’Algérie de s’ingérer dans ses affaires intérieures, notamment en soutenant certains groupes dans le nord du pays. Les deux pays semblent avoir des approches différentes concernant la gestion de la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme.
La situation actuelle est très tendue et le risque d’une nouvelle escalade existe. Plusieurs scénarios pourraient se produire :
Si les tensions persistent et que les accusations mutuelles se poursuivent, une rupture des relations diplomatiques n’est pas à exclure.
Bien que peu probable à grande échelle, des incidents isolés le long de la frontière ne peuvent être totalement écartés.
La solidarité affichée par le Niger et le Burkina Faso pourrait entraîner un alignement régional face à l’Algérie, complexifiant davantage la situation.
La plainte du Mali devant les organisations internationales pourrait entraîner une condamnation de l’Algérie, mais son impact sur le terrain reste incertain.
Jusqu’où ira la crise ?
Il est impossible de donner une réponse définitive. Cependant, en se basant sur les développements récents et les facteurs sous-jacents, on peut anticiper :
Il est probable que les relations entre l’Algérie et le Mali resteront tendues pendant un certain temps. La confiance a été sérieusement ébranlée. La crise pourrait avoir des répercussions sur la sécurité et la stabilité de la région du Sahel, déjà confrontée à de nombreux défis.
Des acteurs régionaux ou internationaux pourraient tenter de jouer un rôle de médiateur pour désamorcer la crise, mais leur succès n’est pas garanti.
Les antécédents
Des sources indiquent que Léopold Sédar Senghor, alors président du Sénégal, était préoccupé par le conflit du Sahara occidental. Selon un document de la CIA daté du 23 mai 1969, Senghor estimait que les Algériens agissaient comme des “apprentis sorciers” en mobilisant le Polisario contre l’Afrique de l’Ouest.
Un article de Boolumbal.org mentionne qu’un an avant de quitter le pouvoir, Senghor aurait envisagé la création d’un glacis (une sorte de cordon) pour éviter d’avoir une frontière commune avec l’Algérie de Houari Boumediene, via une Mauritanie qu’il craignait infiltrée et dominée par le Polisario.
Le même article souligne que Senghor a toujours été un fidèle ami du président mauritanien Mokhtar Ould Daddah, renversé quelques mois plus tôt. Il est rapporté que Senghor aurait pris des initiatives pour protéger la Mauritanie d’une déstabilisation ou d’un effondrement.
Selon des notes de discussions avec le président Carter en 1977, Senghor percevait une division en Afrique entre les “progressistes” (soutenus par l’URSS et les pays de l’Est) qui cherchaient à déstabiliser les zones qu’ils ne contrôlaient pas, et les modérés. Il considérait que l’Algérie, avec la Libye, s’ingérait au Sahara occidental et souhaitait diviser les Etats de la région pour contrôler les populations arabes. Il aurait même qualifié les Algériens de “racistes” voulant un empire blanc.
Il y a eu des allégations récentes selon lesquelles l’Algérie chercherait à déstabiliser la Mauritanie. Ces allégations ont pris de l’ampleur suite à un incident survenu en décembre 2024, où des sources fiables ont rapporté une incursion de l’armée algérienne sur le territoire mauritanien, coïncidant avec une visite du président mauritanien au Maroc.
Selon ces sources, les forces algériennes auraient pénétré de près de 90 kilomètres à l’intérieur du territoire mauritanien, atteignant les abords de la zone de “Mejher Chegat”. Cet acte a été largement interprété comme une violation de la souveraineté mauritanienne et une tentative d’intimidation de la part de la junte militaire algérienne à l’égard du président mauritanien, visant à contrer tout rapprochement entre la Mauritanie et le Maroc.
Les motivations prêtées à l’Algérie derrière ces actions incluent la volonté de maintenir son influence sur la Mauritanie et de freiner l’émergence d’un axe Rabat-Nouakchott qui pourrait modifier les équilibres régionaux. Certains observateurs y voient également une tentative d’exporter les tensions internes algériennes vers les pays voisins.
L’affirmation selon laquelle l’Algérie soutiendrait et protégerait Iyad Ag Ghali est une question complexe et sensible, marquée par un historique d’accusations et de démentis.
Preuves et allégations de soutien/protection algériens : Iyad Ag Ghali, figure emblématique des rébellions touarègues, entretient des liens historiques avec l’Algérie. Il faisait partie de la délégation qui a négocié un accord de paix avec le gouvernement malien à Tamanrasset, en Algérie, en 1991.
Des rapports et des affirmations, notamment dans les médias français, suggèrent qu’Iyad Ag Ghali aurait trouvé refuge ou reçu une protection en Algérie, plus précisément dans la région de Tinzawaten, près de la frontière malienne. Certains rapports mentionnent même que sa famille réside à Tamanrasset.
En 2016, des rapports ont fait état d’une tentative infructueuse de ciblage d’Iyad Ag Ghali par un service de renseignement occidental dans un hôpital de Tamanrasset, en Algérie. Cela suggère une croyance répandue selon laquelle il était présent en Algérie.
Plus récemment, en avril 2025, après la destruction d’un drone malien, le Mali a accusé l’Algérie de “soutien manifeste au terrorisme”, insinuant que l’Algérie protégeait des groupes opérant au Mali.
Iyad Ag Ghali et ses groupes
Iyad Ag Ghali a fondé Ansar Dine en 2012. Ce groupe a toujours été lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et soutenu par ce dernier.
En 2017, Iyad Ag Ghali est devenu le chef du GSIM, une coalition regroupant plusieurs groupes djihadistes maliens, dont Ansar Dine.
L’Algérie affirme son engagement à lutter contre le terrorisme dans la région et souligne la nécessité d’une coopération régionale. Cependant, son approche et ses relations avec différents acteurs au Sahel ont été perçues avec suspicion par certains.
Les relations entre l’Algérie et le Mali se sont considérablement détériorées récemment, l’Algérie ayant fermé son espace aérien aux avions maliens et rappelé ses ambassadeurs. Cette escalade est en partie due aux accusations de l’Algérie selon lesquelles le Mali aurait violé son espace aérien et aux contre-accusations du Mali selon lesquelles l’Algérie soutiendrait le terrorisme.
Algérie et le terrorisme au Sahel
Il est complexe d’affirmer catégoriquement que l’Algérie est un “parrain du terrorisme” au Sahel. La situation est nuancée et les avis divergent : Récemment, en janvier 2025, Bamako a accusé Alger de complicité avec les groupes terroristes opérant au Mali.
L’Algérie est accusée de soutenir le Front Polisario, dont certains observateurs pointent les liens avec le terrorisme islamiste. Certains experts notent une certaine ambivalence de l’Algérie dans sa lutte contre Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), avec une réticence à intervenir au-delà de ses frontières.
L’Algérie a été critiquée pour son manque d’engagement dans des initiatives régionales de lutte contre le terrorisme, comme son absence remarquée du G5 Sahel.
Histoire de l’Azawad : origines et conflits
Le mot “Azawad” est d’origine touarègue (tamasheq) et signifie littéralement “le territoire de transhumance” ou “la terre de pâturage”. Il est également utilisé par les populations arabophones de la région. Géographiquement, il désigne traditionnellement une zone du Nord du Mali, s’étendant au nord de Tombouctou.
L’Azawad n’a jamais constitué une entité administrative ou politique reconnue par les autorités maliennes. Le gouvernement malien considère même l’utilisation du terme dans un contexte politique comme séditieux.
Les Touaregs, peuple nomade berbère, sont présents depuis des siècles dans cette vaste région du Sahara et du Sahel, qui s’étend sur plusieurs pays actuels (Mali, Niger, Algérie, Libye, Burkina Faso). Ils ont une organisation sociale et culturelle distincte.
Historiquement, les Touaregs n’ont jamais formé un Etat unifié. Ils étaient organisés en confédérations et tribus aux intérêts parfois divergents.
Lors de la colonisation française, les frontières des colonies ont été tracées de manière arbitraire, divisant le territoire traditionnel des Touaregs entre différentes entités administratives, dont le Soudan français (futur Mali).
En résumé, l’origine historique de l’Azawad est ancrée dans l’histoire des populations touarègues, leur sentiment de “marginalisation” au sein de l’Etat malien postindépendance, et une aspiration à l’autodétermination sur leur territoire traditionnel. Le terme “Azawad” lui-même désigne une réalité géographique et culturelle pour les populations locales, mais n’a jamais eu de reconnaissance politique officielle. Les rébellions successives ont marqué l’histoire de cette région et continuent d’influencer la situation actuelle.
Répartition Touareg au Mal
La population touarègue du Mali est principalement concentrée dans les régions du Nord du pays. Bien qu’il n’existe pas de chiffres de recensement précis et récents sur la répartition exacte des Touaregs par région au Mali. Cette région est considérée comme le cœur traditionnel de l’Adrar des Ifoghas, une zone montagneuse où vivent principalement les Kel Adagh, une importante confédération touarègue. Kidal est souvent considérée comme le bastion de la culture et des revendications touarègues au Mali.
La région de Gao abrite une partie de la confédération Iwellemmeden, notamment sa branche Kel Ataram.
Gao est un centre urbain important dans le Nord du Mali et compte une population touarègue significative, bien que potentiellement plus intégrée aux autres communautés que dans la région de Kidal. On trouve dans la région de Tombouctou la confédération Kel Antessar ou Kel Ansar.
La présence touarègue est notable dans certaines zones de cette région, qui a également une histoire riche en échanges commerciaux et culturels transsahariens impliquant les populations touarègues.
Bien que moins concentrée, une certaine population touarègue peut également être présente dans les régions limitrophes du Nord, comme une partie de la région de Mopti, en particulier dans les zones sahéliennes.
Avec les sécheresses et les conflits passés, des communautés touarègues ont pu se déplacer vers le Sud du Mali ou vers les pays voisins (Algérie, Niger, Burkina Faso, Mauritanie).
La question de l’indépendance de l’Azawad est une question complexe et profondément ancrée dans l’histoire et la politique du Mali et de la région du Sahel. L’idée d’un référendum comme solution à cette question est une perspective qui a été soulevée à plusieurs reprises, mais sa mise en œuvre et son acceptabilité sont loin d’être simples.
Un référendum permettrait aux populations de “l’Azawad” (Kidal, Gao, Tombouctou) d’exprimer directement leur volonté quant à leur avenir politique, en accord avec le principe d’autodétermination des peuples.
Le résultat d’un référendum, s’il est mené de manière libre et équitable, pourrait conférer une plus grande légitimité à la solution retenue, qu’il s’agisse de l’indépendance, d’une autonomie accrue ou du maintien du statu quo.
Un processus référendaire pourrait offrir une voie pacifique pour résoudre un conflit qui a connu des épisodes de violence et d’instabilité.
La constitution malienne actuelle ne prévoit pas explicitement de mécanisme pour un référendum sur l’indépendance d’une partie du territoire. Une modification constitutionnelle pourrait être nécessaire, ce qui est un processus complexe et potentiellement source de tensions politiques.
Le gouvernement malien a toujours affirmé son attachement à l’intégrité territoriale du pays et s’est montré réticent à l’idée d’un référendum sur l’indépendance. L’accord de toutes les parties prenantes (gouvernement malien, mouvements de l’Azawad, populations concernées) serait indispensable.
Déterminer qui serait autorisé à voter et délimiter précisément le territoire de l’Azawad pour le référendum poserait des défis importants et pourrait être source de contestations.
Assurer des conditions de sécurité et de participation équitables pour toutes les populations dans une région qui a connu des conflits et des déplacements de population serait crucial mais difficile à garantir.
Même en cas de référendum, l’acceptation des résultats par toutes les parties et la mise en œuvre de la décision prise resteraient des défis majeurs.
L’idée d’un référendum comme solution à la question de l’indépendance de l’Azawad est une option qui mérite d’être considérée pour son potentiel à offrir une voie d’autodétermination et une résolution pacifique. Cependant, sa mise en œuvre se heurterait à de nombreux obstacles juridiques, politiques et pratiques qui nécessiteraient un consensus large et des conditions de sécurité et de participation adéquates.
À l’heure actuelle, la position officielle du gouvernement malien ne soutient pas l’idée d’un référendum sur l’indépendance. Les efforts se concentrent davantage sur la mise en œuvre des accords de paix et de réconciliation, qui prévoient une autonomie accrue pour les régions du nord, mais dans le cadre de l’unité du Mali.
- K. Dramé
Analyste chercheur en stratégie de croissance accélérée, enjeux et innovation de développement durable