Le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est rappelé mardi, trente ans jour pour jour après la libération de Nelson Mandela, du « moment grisant » de la libération du héros de la lutte contre l’apartheid qui a marqué « la mort » du régime raciste. En effet, il faut se souvenir que le 11 février 1990, après 27 années et 190 jours de prison, Nelson Mandela, héros de la lutte anti-apartheid, âgé de 72 ans, retrouve la liberté. Il était jusqu’alors le prisonnier le plus célèbre du monde connu sous le matricule 46664. Cheveux grisonnants, costume sombre, Nelson Mandela, qui avait fondé l’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC, avait été condamné à la réclusion à la perpétuité au plus fort de la période de ségrégation raciale. Les images le montrant libre, tantôt les poings levés, tantôt main dans la main avec son épouse Winnie Mandela, devant des milliers de ses partisans avaient fait à l’époque le tour du monde. Il avait purgé sa peine sur l’île de Robben Island, au large du Cap, puis dans les prisons de Pollsmoor et de Victor Verster. Trente ans plus tard l’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa se souvient et s’interroge.
Les circonstances d’une libération
« Le jour où Mandela a été libéré, nous savions tous que l’apartheid était mort », a lancé Cyril Ramaphosa devant des centaines d’écoliers et des combattants de la libération au Cap, la capitale parlementaire. Les négociations avaient commencé dès 1987 sous le président Pieter Botha et ont été menées à leur terme par Frederik de Klerk qui annonça au Parlement le 1er février 1990 la décision de son gouvernement de libérer Mandela. L’apartheid sera officiellement aboli en juin 1991. « C’était un moment grisant », s’est-il rappelé depuis le balcon de la mairie, là même où Nelson Mandela, libre après vingt-sept ans passés derrière les barreaux, s’était exprimé devant des milliers de ses partisans euphoriques le 11 février 1990. Un discours ou plutôt le fil d’une conversation avec le peuple sud-africain fatigué de la domination blanche. Mais Nelson Mandela se prononça aussi contre la domination noire. « Je suis ici devant vous non pas comme un prophète, mais comme votre humble serviteur. C’est grâce à vos sacrifices inlassables et héroïques que je suis ici aujourd’hui. Je mets donc les dernières années de ma vie entre vos mains. […] Aujourd’hui, la majorité des Sud-Africains, noirs comme blancs, reconnaissent que l’apartheid n’a aucun avenir. Ce système doit être aboli d’un commun accord afin de reconstruire la paix et la sécurité. […] La situation qui nous avait poussés à prendre les armes existe toujours aujourd’hui. Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer. » Des mots en résonance avec sa plaidoirie lors du procès de Rivonia avant de se voir condamné à prison à vie pour « haute trahison et tentative de renversement par la force du gouvernement ».
Un jour mémorable
Pendant ces trois longues décennies, ses amis et son épouse Winnie Mandela ont tout fait pour garder vivace sa mémoire. Si de nombreux jeunes Noirs de l’époque ont sifflé Nelson Mandela, ce jour-là, le jeune Ramaphosa, âgé de 37 ans, se tenait aux côtés de l’ex-prisonnier le plus connu au monde. « Je tenais le micro alors qu’il s’exprimait pour la première fois » depuis sa libération, s’est souvenu le président Ramaphosa. « Rien ne pouvait décrire cette brève seconde quand le micro a crépité », a-t-il ajouté. Sa libération, le 11 février 1990, est intervenue quelques jours après la levée de l’interdiction de son parti, l’ANC, par le président blanc de l’époque F.W. de Klerk. Ce 11 février 1990, « les gens dans le monde entier avaient les yeux remplis de larmes et c’étaient des larmes de joie », s’est rappelé Cyril Ramaphosa mardi, à côté d’une statue de Nelson Mandela. « On se rappellera ce jour comme l’un des jours les plus mémorables de l’histoire mondiale », a-t-il estimé. À l’époque, des « prophètes mal intentionnés avaient prédit qu’il serait impossible pour l’Afrique du Sud de se relever », alors que le pays était sur le point de basculer dans la guerre civile, a souligné le président Ramaphosa. Finalement trois ans plus tard, Nelson Mandela décrochait le prix Nobel de la paix avec F. W. de Klerk, et, en 1994, devenait le premier président noir de l’Afrique du Sud démocratique. Il est mort en 2013, à l’âge de 95 ans.
« On ne réalise pas la souffrance qu’ont endurée nos parents pour notre liberté », a confié à l’AFP mardi un écolier, Panashe Sizingwe, tout ouïe devant Cyril Ramaphosa. « On est tellement reconnaissants » à Nelson Mandela, a ajouté Mbuyi Nase, adolescent au moment de la libération du héros de la lutte contre l’apartheid. « Il y avait une telle euphorie dans mon township. » « Mais on est loin de l’objectif » fixé par le père de la nation arc-en-ciel, a souligné un autre Sud-Africain, Lebona Motlatla. « Par liberté pour tous, Mandela entendait que tout le monde ait du travail et à manger. »
Trente ans après, que reste-t-il ?
Avec la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud, longtemps paria, devait réintégrer le concert des nations et renouer avec les bénéfices de l’intégration à l’économie mondiale. Le chômage continue pourtant de gangréner la première puissance industrielle du continent africain et frappe actuellement 29,1 % de sa population active, contre 20 % en 1994. Le pays se débat également avec d’énormes inégalités entre riches et pauvres, la corruption et un fort taux de criminalité.
Des échecs que Cyril Ramaphosa a relevés mardi. « L’état de l’économie, le fort taux de chômage, les ravages sociaux dans nos communautés, les meurtres honteux de femmes et de filles, l’odeur nauséabonde de la corruption […] menacent de nous faire perdre les gains acquis » depuis l’avènement de la démocratie en 1994, a souligné le chef de l’État, qui a succédé en 2018 à Jacob Zuma, dont la présidence a été gangrénée par la corruption.
Le Point