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Afrique : « C’est le moment d’y investir ! »

REPORTAGE. Pour mobiliser le maximum de capitaux au profit du continent, la Banque africaine de développement a organisé à Johannesburg l’Africa Investment Forum.

 

« Transactions » en français, « big deals » en anglais : deux expressions qui résument à elles seules le changement de paradigme qui a cours au sein de la Banque africaine de développement (BAD). « Promesse faite, promesse tenue », s’est enthousiasmé le président Adesina à la tête de la banque panafricaine, citant l’exemple de Mara Phones, ces téléphones made in Africa développés par l’homme d’affaires ougandais Ashish Takkhar. C’est ici même à Johannesburg en 2018 qu’il avait pris l’engagement d’ouvrir des usines de fabrication en Afrique du Sud et au Rwanda. « En 2019, il a livré », s’est réjoui Adesina. « C’est une nouvelle Afrique, plus confiante. Un continent maintenant conscient de sa place dans le monde et déterminé à devenir un paradis mondial pour les investissements. Et l’Afrique exploite les intérêts et les investissements des investisseurs. Bienvenue sur le Forum de l’investissement en Afrique, l’endroit idéal pour les investisseurs », a-t-il encore déclaré.

Libérer le potentiel

C’est qu’Akinwuni Adesina, le patron de la Banque africaine de développement, veut frapper fort. En véritable chef d’orchestre, avec son costume sombre et son habituel nœud papillon – rayé rouge et bleu pour l’occasion, Akinwuni Adesina n’a lésiné ni sur les moyens ni sur la communication. Son ambition est claire : accélérer le volume des contrats signés entre la BAD et les investisseurs institutionnels comme privés. Démonstration en a été faite dès le premier jour du Forum de l’investissement en Afrique ce lundi 11 novembre, au centre de conférence de Sandton Convention, à Johannesburg, en Afrique du Sud. L’an passé, pour la première édition, en moins de 72 heures la BAD a permis de sécuriser les intérêts des investisseurs pour des opérations évaluées à 38,7 milliards de dollars.

Dans un contexte de défis permanents

Présent à chaque instant, le docteur en agriculture nigérian connaît les enjeux par cœur. Déjà quelques jours avant le grand raout de Johannesburg, la Banque africaine de développement avait annoncé à Abidjan, où se trouve son siège – une augmentation historique de son capital. Il est question ici d’une hausse de 125 %, soit une somme s’élevant à 115 milliards de dollars approuvée par les gouverneurs de la banque. Au total, la BAD dispose désormais de 208 milliards de dollars pour réaliser ses ambitions. C’est la plus importante augmentation du capital depuis la création de la banque en 1964. Il faut souligner que les besoins sont énormes. Cela méritait que plusieurs chefs d’États africains et hauts représentants fassent le déplacement dès l’ouverture du forum qui s’est depuis transformé en plateforme d’affaires – alors que la plupart d’entre eux boycottaient encore en septembre dernier la capitale économique sud-africaine qui faisait face à une nouvelle vague de violences xénophobes. Un contexte difficile pour la BAD qui veut coûte que coûte ancrer son rendez-vous économique annuel dans cette ville dynamique reconnue pour être le hub des services et de la haute finance en Afrique du Sud.

« L’Afrique du Sud n’est pas xénophobe, encore moins les Sud-Africains qui ont toujours accueilli des personnes venant de partout pour des raisons diverses », a tenté de rassurer Cyril Ramaphosa, peu avant la cérémonie d’ouverture. S’exprimant aux côtés des présidents rwandais, Paul Kagame, et ghanéen, Nana Akufo-Addo, lors d’un échange direct avec d’importants investisseurs triés sur le volet, Cyril Ramaphosa a répondu aux doutes des investisseurs comme il l’a très bien fait la semaine passée pour son allocution de politique économique générale. David Makhura, Premier ministre de la région du Gauteng, affiche la même détermination. « Bien sûr que notre pays veut continuer d’attirer les investissements directs étrangers, mais nous souhaitons que les pays voisins, frères africains investissent avec plus de force dans les divers secteurs de notre économie », détaille-t-il au Point Afrique. « Nous sommes ici pour voir des transactions qui changent les choses et non pas seulement pour écouter des discours », a-t-il prévenu.

Des indicateurs encourageants

À Johannesburg, sans se voiler la face, la BAD bande les muscles. Sa plateforme, AIF (l’acronyme en anglais), est désormais reconnue comme l’une des plus importantes pour négocier des contrats, structurer des projets, et attirer des investisseurs mondiaux sur le continent. Chiffres à l’appui, le président Adesina argumente : 37 pays d’Afrique ont enregistré des taux de croissance de 3 % et plus. Six des dix régions au monde qui connaissent la croissance la plus rapide se trouvent en Afrique. En 2018, les investissements directs étrangers en Afrique ont augmenté de 11 %, contre 4 % en Asie et une baisse de 13 % au niveau mondial. Des indications que maîtrise parfaitement le gestionnaire de risques mondial Moody’s Investor Service. Il indique précisément qu’entre 1983 et 2016, l’Afrique a l’un des taux de défaut les plus bas au monde. Ce taux est nettement inférieur à celui de l’Amérique latine, l’Asie, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Nord et l’Océanie. Pour le patron de la BAD, cela signifie « qu’il ne s’agit donc pas de risques réels, mais de risques perçus ».

Orienter le flux de capitaux vers l’Afrique à une cadence plus élevée

D’où sa volonté affichée d’accélérer les volumes d’investissements provenant à la fois des ressources propres de l’Afrique, mais aussi des investisseurs privés et internationaux. Comment s’y prendre ? Comment répartir ces capitaux entre les 54 pays auxquels s’adresse la BAD ? Quelle place pour les acteurs africains ? Car même avec une capitalisation plus forte et un risque d’endettement jugé assez faible, la banque doit faire avec des réalités telles que l’importance du secteur informel, la corruption, sans compter les insuffisances techniques et infrastructurelles, des environnements juridiques mouvants et la faible mobilisation des ressources domestiques… « Il n’y a aucun pays à la traîne et il n’y en aura aucun, a soutenu le président Adesina. Nous veillons à ce que de nombreux investissements soient dirigés vers les pays fragiles ou à faible revenu. Nous n’avons pas peur d’investir en Afrique et dans un pays dit à risques. »

Avec des partenaires capables de mobiliser les capitaux

Les financiers internationaux veulent aussi y croire, alors que se profile la mise en œuvre de la Zleca pour les prochaines années. D’ici 2030, l’Afrique comptera 1,7 milliard d’habitants, dont les dépenses combinées de consommation et d’affaires devraient atteindre 6 700 milliards de dollars. Pour certains acteurs financiers mondiaux présents à Johannesburg, les pays africains devraient travailler ensemble afin d’accroître l’attrait international du continent en tant que destination d’investissement lucratif. Benedict Oramah, président d’Afreximbank, a exprimé sa préoccupation devant la fragmentation de 55 marchés sur le continent. « Tant que l’Afrique ne constituera pas une plateforme commune pour un continent économique intégré, certains pays ne survivront pas. Partout dans le monde, les continents travaillent ensemble. Le multilatéralisme est en train de devenir un défi et, à moins que le continent ne se réunisse, nous ne pourrons pas négocier avec de plus grandes économies », a-t-il expliqué. La BAD veut faire la différence avec des transactions concrètes sur la table. L’année dernière, elle a investi 18 milliards de dollars dans des pays à faible revenu et des États fragiles que beaucoup d’économies développées considèrent comme trop risqués. La banque dispose d’ailleurs d’un mécanisme appelé « mécanisme de renforcement du secteur privé », qui lui permet de réaliser des investissements risqués.

Faire avancer des projets « bancables »

Illustration avec la signature lundi d’un accord de concession entre le Ghana à travers son président Nana Akufo-Addo, le ministère des Transports et d’autres partenaires pour la mise en œuvre d’un projet géant de transport urbain appelé « Accra Sky Train ». il s’agit d’un métro aérien. C’est un consortium sud-africain dénommé Africa Investment SkyTrain Consortiums qui porte ce projet estimé à 2,6 milliards de dollars. Et c’est là qu’intervient la Banque africaine de développement qui a placé les infrastructures au cœur de son action. Elle va pouvoir apporter son expertise en amont et en aval de ce projet. « Tout reste à faire maintenant », confie, très fier, Joe Ghartey, ministre ghanéen des Chemins de fer et du Développement. « Le Forum sur l’investissement en Afrique nous permet d’avoir cette approche directe avec des acteurs financiers de premier plan », avance celui qui affirme que les travaux devraient débuter d’ici janvier 2020.

Face à la presse, la délégation ghanéenne a indiqué qu’une fois terminé, le Sky Train d’Accra permettrait de décongestionner la capitale du Ghana, qui étouffe sous ses interminables bouchons. Elle a aussi précisé à la presse qu’à la différence des projets négociés avec des financiers chinois, celui-ci nécessiterait la création de centaines de milliers d’emplois qu’occuperont des Ghanéens. Rendez-vous est donné l’an prochain pour savoir si la promesse est tenue.

En attendant, d’autres gros contrats sont annoncés et signés. C’était le cas lundi après-midi avec la signature d’un accord entre la République du Congo (Brazzaville) et la RD Congo pour la mise en œuvre du vieux projet de pont sur le fleuve Congo reliant les deux capitales. Un dossier qui revient périodiquement depuis les indépendances et toujours repoussé pour des raisons politiques ou financières, alors que cette frontière pas fluide est un véritable frein aux échanges. Si les deux ministres Jean-Jacques Bouya pour Brazzaville et Élysée Munembwe Tamukumwe pour la RDC ont tenté de mettre beaucoup d’enthousiasme dans leur prise de parole, la BAD et son principal partenaire Africa50 ont replacé le projet dans le contexte d’une nécessaire interconnexion plus intensive du continent.

Que demander de plus ? Peut-être un peu plus de social, entend-on ici et là dans les couloirs du forum, alors que la Banque africaine de développement se conçoit aussi comme une banque multilatérale de développement. Et si le président Adesina – se frottant déjà les mains d’avoir négocié 59 projets pour un montant de 67 milliards de dollars cette année – a annoncé la signature d’un contrat de 488 millions de dollars dans le secteur de la santé, il est resté bien vague sur des projets précis. Le président nigérian de la Banque africaine de développement n’a pas non plus fait d’annonces pour le secteur de l’éducation et peu évoqué le sujet ô combien urgent du changement climatique dont dépend pourtant la réalisation des objectifs de développement durable fixés pour 2030. De fait, malgré les avancées, il reste encore du chemin.

Par notre envoyée spéciale à Johannesburg, Viviane Forson

Le Point.fr

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