L’affaire Leonarda se révèle de plus en plus compliquée pour le président français François Hollande, qui est critiqué de part et d’autre pour son intervention.
L’affaire Leonarda a réveillé le procès en manque d’autorité fait au chef de l’Etat, dont les décisions et la recherche systématique de la synthèse ont été critiquées tout au long du weekend, jusqu’au sommet du Parti socialiste. L’annonce que la famille de la collégienne kosovare Leonarda Dibrani avait été agressée dimanche 20 octobre, alors qu’elle se promenait dans Mitrovica, la ville du nord du Kosovo où elle réside depuis son expulsion de France le 9 octobre, a ajouté à l’émotion suscitée par l’affaire.
La polémique enfle
Dans la soirée, un responsable de la police kosovare a toutefois précisé que l’incident relevait d’un motif privé et n’aurait pas de rapport avec l’expulsion de France des Dibrani. Un peu plus tôt, une source policière kosovare avait rapporté que la mère de Leonarda avait “été giflée et hospitalisée et que les enfants, traumatisés, se trouvent dans un commissariat de police”. “Cela démontre que les Dibrani ne sont pas en sécurité ici”, avait estimé cette source.
Cet incident est le dernier épisode d’une polémique qui, loin de s’éteindre comme l’espérait François Hollande, n’a cessé d’enfler au cours du week-end, relançant au passage le débat sur la montée du Front national, à cinq mois des municipales. Pis, la polémique est désormais centrée sur la personne du président et non plus seulement sur le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls.
Pour Jérôme Fourquet (Ifop), “à vouloir ne mécontenter personne, on en a fâché beaucoup et surtout, on donne l’image d’un président qui hésite, qui a la main qui tremble au moment de trancher”. La critique la plus pénible pour le chef de l’Etat est venue samedi de sa propre majorité, quand le Premier secrétaire du PS Harlem Désir a estimé que les frères et soeurs de Leonarda devaient, comme elle, être autorisés à poursuivre leurs études en France.
“La confusion est à son comble à la tête de l’Etat”
Le président a en effet confirmé l’expulsion de toute la famille, mais autorisé Leonarda, 15 ans, à revenir en France, “seule”. Dimanche 20 octobre, le député PS Malek Boutih a reproché au président de “décider de tout et pour tout”. Une indignation partagée par EELV (écologistes) à en croire un de ses porte-parole, Elise Lowy, qui a jugé dans un communiqué “inhumains et incompréhensibles” les propos du président et de Valls.
Une prise de position qui n’engage que ce porte-parole, a ensuite précisé le numéro 1 du parti Pascal Durand, le bureau exécutif d’EELV devant examiner ce sujet lundi soir.
Aujourd’hui, “la confusion est à son comble à la tête de l’Etat”, a lancé le président du Parti de Gauche (PG) Jean-Luc Mélenchon, reprochant aux socialistes de ne pas avoir changé les lois sur l’immigration dès leur arrivée au pouvoir. Le député PS Jean-Christophe Cambadélis a exhorté en vain les socialistes et leurs alliés à “se calmer” et à “respecter la doctrine fixée par le président de la République”. “Cette classe politique est transformée en volière, où tout le monde caquète dans tous les sens”, a-t-il lancé.
“Quand (les critiques) viennent de notre propre camp, je le déplore, car cela nous affaiblit collectivement”, a de son côté déclaré le ministre de l’Intérieur Manuel Valls au Journal du Dimanche. “Le geste du président est un geste de générosité pour Leonarda, mais la famille ne reviendra pas”, a-t-il dit.
L’UMP tire à boulets rouges sur l’Elysée
Si elle fait défaut au PS, l’unité est clairement retrouvée à l’UMP… pour tirer à boulets rouges sur l’Elysée. “Il n’est pas question de laisser l’extrême droite profiter de l’impéritie du président de la République“, a lancé son président Jean-François Copé. Pour Rachida Dati (UMP), François Hollande a même “violé la Constitution” en exemptant Leonarda d’une décision de justice.
A l’Elysée, on jugeait dès samedi 19 octobre l’avalanche de critiques “extravagante” face à une décision relevant d’un “choix humanitaire”. Dès lors que Leonarda a refusé un retour en France, “le problème est réglé”, voulait croire dimanche la présidente de Poitou-Charentes, Ségolène Royal.
“L’image d’un président qui manque d’autorité”
Pour Roland Cayrol (Cevipof), la décision de Hollande “est de nature à renforcer l’image d’un président qui manque d’autorité“. On peut certes y voir “une cote mal taillée”, mais “dans l’immédiat, ça limite les dégâts”, selon lui. “Le problème de Hollande, c’est sa pratique du pouvoir qui ne correspond pas à la logique d’un chef de l’Etat qui, sous la Ve République, doit trancher”, estime au contraire Gérard Grunberg, politologue au Centre d’études européennes de Science Po.
“Dans de nombreux domaines – les institutions, l’Europe ou l’immigration -, le PS est, au pire, idéologiquement hostile à toutes les politiques menées par le président de la République, au mieux, il le laisse faire sans le soutenir“, assure Grunberg. Le politologue voit un “paradoxe, quand une grande partie des socialistes essaient de détruire politiquement le seul ministre socialiste populaire”, à savoir Manuel Valls.