Les dirigeants africains se réunissent, à partir de ce vendredi 11 octobre, pendant deux jours, à Addis-Abeba, en sommet extraordinaire, pour discuter d’un éventuel retrait collectif de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis sa création, en 2002, ce tribunal a inculpé une trentaine de personnes, tous des Africains. De nombreux dirigeants ont ainsi le sentiment que le continent fait l’objet d’un traitement spécial, voire que la Cour sert d’outil politique.
Lors de ce sommet, on attend une déclaration hostile à la Cour de La Haye, un peu dans l’esprit du dernier sommet en mai 2013. Mais selon les analystes, il n’est pas forcément obligé que ce sommet aboutisse à un retrait massif. D’abord, il faut deux tiers des votes pour parvenir à une décision et le continent africain est divisé sur la question de la CPI. Tout le monde n’a pas intérêt à ce retrait. Le Botswana le Malawi, ou encore la Côte d’Ivoire ou la RDC, sont plutôt en faveur de la CPI.
L’Afrique du Sud pour sa part semble avoir évolué sur sa position auparavant favorable à la Cour pénale internationale. Le pays se pose désormais plus comme un soutien à Uhuru Kenyatta. Et d’ailleurs lors de ce sommet, les débats devraient beaucoup tourner autour du président élu du Kenya dont le procès doit démarrer, en novembre, à La Haye.
Il n’est d’ailleurs pas dit qu’Uhuru Kenyatta aille à son procès. Il y a eu des déclarations assez, ambiguës, notamment par exemple, de la ministre des Affaires étrangères kényane qui a affirmé que le gouvernement avait toujours coopéré avec la CPI, mais que les circonstances étaient maintenant totalement différentes, que c’était la première fois qu’un président en exercice allait comparaître devant la justice internationale. Et du coup, elle suggérait qu’il pourrait ne pas y aller.
Jeudi ce sont les avocats d’Uhuru Kenyatta qui ont transmis une requête de trente-huit pages au juge de la cour, affirmant que le témoin de la défense avait été intimidé, et qu’il était par conséquent nécessaire d’abandonner les accusations contre leur client.
Lors du dernier sommet de l’Union africaine, en mai, Uhuru Kenyatta avait été accueilli très chaleureusement par ses pairs. Fraîchement élu à la présidence du Kenya, il était pourtant déjà dans le viseur de la Cour pénale internationale qui l’accuse de crimes contre l’humanité lors de la crise postélectorale de 2007-2008. À la fin des débats, le président de l’Union africaine (UA) – Hailemariam Desalegn – avait ainsi estimé que la CPI se livrait à une « chasse raciale » envers les Africains.
Une autre possibilité c’est qu’il soit demandé une suspension d’un an des procès contre William Ruto, le vice-président du Kenya et Uhuru Kenyatta, qui devrait alors passer par un vote au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qui a changé en fait, dans la situation kényane c’est l’attentat de Westgate. Les pays occidents, en premier lieu les Etats-Unis, ont plus que jamais besoin de dirigeants sur qui compter au Kenya, dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Est.
Il y a aussi un sentiment partagé, notamment, du côté des diplomates occidentaux qui soutiennent traditionnellement la CPI, que cette dernière n’a pas forcément fait preuve de beaucoup de flexibilité pour arranger le calendrier d’Uhuru Kenyatta et William Ruto et qu’un peu plus de souplesse aurait créé moins d’hostilité au Kenya et aussi parmi les pays africains.
Retrait de la CPI déjà envisagé par certains pays
Ce sommet extraordinaire va ainsi permettre de mesurer l’état du désamour entre les deux institutions. Trente-quatre pays africains sont membres de la CPI et à défaut d’une position commune, le retrait de certains d’entre eux pourrait être envisagé.
Les Etats d’Afrique de l’Est, parmi lesquels le Kenya, bien sûr, dont le Parlement a déjà voté en ce sens, mais aussi l’Ouganda et le Rwanda, sont les plus menaçants. À l’inverse, les partisans de la CPI se font, pour le moment, beaucoup plus discrets.
La CPI, de son côté, s’inquiète du signal négatif qui pourrait être lancé dans la lutte contre l’impunité et nie, bien évidemment, les accusations de racisme. Sa procureure générale, Fatou Bensouda, est elle-même Gambienne.
■ Chronologie d’un désamour
La fronde contre la CPI a commencé en 2009 lorsque pour la première fois, les juges ont lancé un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir, président en exercice du Soudan. L’Union africaine avait aussitôt averti qu’elle ne coopèrerait pas pour l’arrêter. D’ailleurs, le président soudanais devrait être présent dans la capitale éthiopienne ce samedi, et comme l’Ethiopie n’est pas membre de la CPI, elle n’a aucune obligation de l’arrêter.
L’exaspération est encore montée d’un cran lorsque l’Ivoirien Laurent Gbagbo a été transféré à La Haye, et surtout, lorsque la Cour a refusé d’abandonner les poursuites contre les Kényans Uhuru Kenyatta et William Ruto, sortis vainqueurs de l’élection présidentielle.
Les dirigeants africains espéraient-ils que la CPI ne s’intéresserait qu’aux rebelles et autres seigneurs de guerre ? La CPI est-elle anti-africaine, persécute-t-elle le continent, comme le suggère l’UA ? S’il est vrai que pour l’instant les inculpations ne concernent que des Africains, les enquêtes ouvertes l’ont été pour moitié à la demande des Etats concernés. Voilà qui contredit ceux qui accusent la CPI d’être un instrument politique qui ne sert que les seuls intérêts de l’Occident.
La Cour pénale internationale peut certes être critiquée pour ses faiblesses et son manque d’équilibre dans le choix des enquêtes, mais qui peut dire qu’une seule des affaires traitées est illégitime, même si toutes sont africaines ?
Maître Amadou Kane
Avocat, membre de plusieurs organisations de la société civile africaine Si les Africains se retirent, que vont-ils mettre à la place ? Soit les Etats africains pris individuellement transposent dans leur droit interne les principaux crimes, et organisent la répression de ces crimes (soit ils mettent en place) des tribunaux ad’hoc, à l’instar de ce qui a été fait pour l’affaire Hissène Habré, mais ce genre de juridiction coûte excessivement cher. |
Source: RFI