Que faut-il souhaiter à l’Afrique en 2014 ?
Le continent devra sans conteste répondre à la dégradation de la situation sécuritaire ces dernières semaines en République centrafricaine, au Soudan du Sud, et en République démocratique du Congo, sans parler des défis qui subsistent au nord du Mali. Mais de bonnes nouvelles se profilent également à l’horizon comme nous l’explique l’historien et le philosophe camerounais Achille Mbembe. Installé en Afrique du Sud, cet enseignant à Johannesburg et à Harvard se veut optimiste, mais réaliste. Il prodigue ses conseils aux « Nelson Mandela » de demain au micro de Nicolas Champeaux.
Que faut-il souhaiter à l’Afrique en 2014 ?
Achille Mbembe : Que le continent continue de démilitariser le politique, dans le sens où tous les conflits ne débouchent pas nécessairement sur le recours à la violence armée, l’idée étant que l’on arrive à inventer une culture de la délibération et du compromis qui n’oblige pas nécessairement ceux qui protestent à recourir à la force, ni ceux qui sont au pouvoir à vouloir le garder par la force.
Concrètement, comment s’y prendre ? L’Union africaine, le 31 décembre, vient de proposer des sanctions ciblées pour tous ceux qui inciteraient à la violence, mais il en faudra un peu plus, vous ne pensez pas ?
Oui, il en faudra un peu plus. Le grand drame du continent, c’est l’absence d’une ou d’un groupe de puissances locales qui puissent rythmer les transformations que le continent doit de toutes les façons entreprendre.
En attendant, c’est la France qui intervient : Serval au Mali, Sangaris en République centrafricaine. Des opérations militaires qui se poursuivront donc en 2014. Des pratiques coloniales ou y va-t-il de la responsabilité d’agir de la France ?
Je ne parlerais pas pratiques coloniales. Je faisais référence au vide d’hégémonie qui, à mon avis, est une raison de difficulté majeure du continent, une difficulté historique. Face à ce vide d’hégémonie évidemment, il y a un appel d’air pour les puissances externes. C’est le cas de la France qui d’ailleurs, de toutes les puissances occidentales, est celle qui intervient le plus promptement. Evidemment, face à la défection des Africains, il faut bien que quelqu’un essaie d’y mettre de l’ordre.
Pour en revenir à cette démilitarisation du politique dans les pays qui pâtissent d’un déficit de démocratie, il faudra peut-être faire appel à des « Nelson Mandela » en devenir. Il nous a quittés le mois dernier. Avez-vous identifié les Mandela de demain en Afrique ?
Pour que chaque époque produise son Mandela, il faut d’abord que les gens se lèvent, trouvent qu’elle est la grande idée pour laquelle ils sont prêts, comme il l’a fait, à sacrifier leur vie. Quelles sont les formes d’organisation, de mobilisation des masses qui leur permettent d’inscrire cette idée dans la pratique politique et sociale…
C’est-à-dire que Mandela c’était la lutte contre le racisme. On est passé à un autre combat aujourd’hui ?
On est passé à un autre combat, encore qu’on entraîne avec nous l’héritage qu’il nous a laissé, cette espèce de rêve d’humanité ouverte à tous, sans frontières, une humanité au-delà de la différence raciale. Cela est quelque chose qui mérite encore qu’on y investisse du temps, du savoir-faire et de l’intelligence.
Mais les dirigeants en Afrique oublient trop souvent qu’ils doivent être au service d’une juste cause, choisir une bonne méthode. Ils oublient que c’est le combat pour cette cause qui fait émerger les leaders, et non l’inverse…
Tout à fait. Ce sont des gens sans idées pour commencer. Ce sont des gens qui sont là pour se servir et non pour servir. Alors que chez Mandela, le pouvoir était une forme de ministère dans le sens presque clérical du terme, une espèce de sacerdoce pour le compte d’une idée capable de transcender l’époque, les lieux et les moments. Quelle est d’ailleurs la résonance si présente, et à mon avis future, de cette grande idée qu’est une humanité au-delà de la race ?
Au-delà des conflits et des foyers de tension, quelles bonnes nouvelles se profilent pour 2014 en Afrique ?
Le continent continuera de faire l’expérience de taux de croissance relativement élevés. Tout dépend bien évidemment des pays. Ces taux de croissance dépendront bien entendu des industries extractives, mais pas seulement.
A côté de ces taux de croissance parfois à deux chiffres d’ailleurs, mais qui ne profitent pas à tout le monde, il y a la culture, la création en Afrique, qui se porte bien.
Elle se porte absolument bien dans le domaine de l’écriture. De nouveaux écrivains arrivent. Léonora Miano a gagné le prix Femina [Camerounaise, pour La Saison de l’ombre NDLR]. Les vieux sont toujours là, Alain Mabanckou [Franco-congolais, l’Académie française lui a décerné le Grand Prix de littérature Henri Gal, ndlr] et beaucoup d’autres. La musique se porte absolument bien : des expérimentations absolument neuves avec des gens comme Richard Bona [Camerounais], Ray Léma [Congolais] et d’autres. Dans le domaine du théâtre, on l’a vu lors du festival d’Avignon, la présence africaine était absolument remarquée. C’est la même histoire du côté de la peinture. On n’en parle pas assez alors qu’au fond, les industries qui portent la croissance dans le monde aujourd’hui sont des industries qui sont connotées culturellement. La culture est devenue partie intégrante de l’expansion du capitalisme à l’échelle globale. Et de ce point de vue, la création africaine est au seuil d’un grand moment qu’on a tort de négliger. Tel est également le cas au niveau de la pensée. Notamment de la pensée de langue française.
Source : RFI