A Gao, où les islamistes ont récemment tiré à l’arme lourde sur la plus grande ville du nord du Mali, la colère gronde contre l’Etat et ses représentants accusés de corruption: à la pointe de la contestation, des jeunes qui leur demandent d’assurer en priorité leur sécurité.
“Connaissant la façon dont les terroristes peuvent procéder, nous pensons que, si à 15 km, on a pu tirer des obus sur Gao, ça veut dire qu’à l’intérieur de la ville, on n’est pas sûr de ce qui peut arriver”, raconte Ousmane Maïga, du mouvement de jeunes “Nous pas bouger”, à l’origine de deux manifestations récentes à Gao pour dénoncer l’insécurité dans la ville, mais aussi son “abandon” par le pouvoir central de Bamako.
Assis autour d’un thé dans la cour d’une maison avec Mahamane Alpha, un des responsables d’une autre organisation de jeunes, le “Mouvement patriote”, Ousmane gratte une guitare et affirme: “Les jihadistes rentrent généralement (dans Gao) soit par des infiltrations, soit parce qu’ils savent que les agents de sécurité, une fois corrompus”, les laisseront rentrer.
Gao, située à 1. 200 km au nord-est de Bamako, a été en 2012 occupée pendant plusieurs mois par des rebelles touareg, puis par les islamistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), groupe islamiste armé et criminel lié à Al-Qaïda, qui en a été chassé fin janvier par l’armée française, trois semaines après le début de son intervention dans le nord du Mali.
Mais la ville a été dans les semaines suivantes le théâtre des premiers attentats-suicide de l’histoire du Mali de la part de jihadistes infiltrés. Ces derniers se sont également violemment battus avec les soldats maliens et français dans le centre, qui en porte toujours les stigmates: bâtiments détruits et nombreux impacts de balles sur ceux qui sont restés debout.
Après plusieurs mois d’accalmie qui ont pu faire croire à l’éradication des jihadistes dans la région, ces derniers se sont à nouveau manifestés en tirant à l’arme lourde le 7 octobre sur Gao depuis l’extérieur de la ville, détruisant plusieurs bâtiments et blessant un soldat malien.
Jihadistes libérés pour des “miettes”
Les jeunes veulent un vrai changement dans Gao.
“On a demandé le départ du commandant de la gendarmerie et du directeur de la police. Pourquoi? Parce que plusieurs fois, nous-même la population de Gao, on a arrêté des jihadistes, on ne les a pas touchés, on les a emmenés à la gendarmerie et à la police qui prennent des +miettes+ (un peu d’argent) pour les libérer”, explique Mahamane Alpha. Quand “les terroristes, les tueurs” sont libérés, la vie de celui qui les a dénoncés “est en danger”, poursuit-il. “Il faut qu’il y ait un changement par rapport à ça”.
“Pour nous, c’est d’abord le Mali (et ses dirigeants) qui doivent prendre ça comme une priorité, parce que c’est quand même leur pays”, ajoute Ousmane. “C’est à eux de sécuriser ce pays, parce que quelle que soit la durée (de la présence) des forces étrangères au Mali, un jour, elles vont partir”.
Ces forces étrangères, les soldats français de l’opération Serval et ceux de la force de l’ONU, la Minusma, multiplient les patrouilles au côté des soldats maliens dans Gao et ses alentours pour tenter de prévenir d’autres attaques, a constaté un journaliste de l’AFP.
Si elle est de loin la principale, la sécurité n’est cependant pas la seule des préoccupations des habitants de Gao qui, au cours de manifestations sur la Place de l’Indépendance dans le centre – rebaptisée Place de la charia (loi islamique) lors de l’occupation par le Mujao – ont aussi dénoncé “la cherté de la vie” et “le manque d’électricité”.
“La vie ici n’est pas du tout facile”, dit Mahamane Alpha qui, sans la regretter, souligne néanmoins que du temps de l’occupation islamiste, “il y avait plus d’argent en ville” et les produits de base étaient “vraiment moins chers”. Depuis l’arrivée des soldats français et étrangers, ces produits “ont augmenté”, déplore-t-il: “Les populations souffrent”.