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#8mars – Droits de la femme : Des textes à la réalité, le grand fossé

Historiquement matriarcale, notre société a subi diverses influences, dont celle de la colonisation et de l’Islam, plutôt fondés sur le patriarcat, donnant lieu à la coexistence de systèmes aussi contradictoires que mal interprétés. Ainsi, malgré l’existence de nombreux textes reconnaissant des droits aux femmes, leur jouissance demeure confrontée à de sérieux obstacles. Textes inadaptés ou pratiques erronées de nos valeurs fondatrices, la réalité nécessite une harmonisation de nos droits à notre contexte.

 

« On ne peut dissocier droits de la femme et droit de l’Homme ici. Chaque homme est une femme et chaque femme un homme. Le côté droit représente le père et le côté gauche la mère. En respectant les deux côtés, on respecte globalement les droits, on ne les  sépare pas », explique le Professeur Ibrahima N’Diaye, sociologue. Mais ce concept historique, mis à mal par la colonisation et l’arrivée des religions, a bouleversé les rôles et entraîné la coexistence de plusieurs systèmes et la méconnaissance de certains aspects culturels.

Matriarcat ou patriarcat

L’empire du Ghana, qui représente le fondement de nos institutions politiques et sociales, était basé sur le matriarcat, ajoute le Professeur N’Diaye. Le symbole le plus fort existait en matière de succession. Lorsque le roi mourait, il était remplacé par son neveu, le fils de sa sœur, qui avait à coup sûr du sang royal. La femme tenait ainsi une place centrale et même sacrée. C’est pour cela qu’elle avait la légitimité et pouvait s’opposer à une décision jugée inopportune.

L’arrivée de l’Islam changera cette donne et rendra le pouvoir héréditaire patriarcal. C’est cette coexistence de deux systèmes qui crée l’ambivalence dans la perception du rôle de la femme dans notre société. Avec l’influence de l’Islam et du droit positif, avec la colonisation, les héritages étant liés au patriarcat, il s’en est suivi une inversion des positions.

À Kouroukanfouga, lorsque cette inversion a été établie, l’éducation, la discipline relevaient désormais des hommes, à la différence du pouvoir, qui revenait à l’autorité et s’exerçait entre elle et le citoyen. « Les femmes relevaient désormais des hommes. La notion fondamentale est donc celle de la discipline plus que du droit », précise le sociologue.

Le droit positif

Pour régler cette ambivalence entre nos repères sociaux, qui se sont peu à peu perdus avec l’influence grandissante de la notion de « droits universels », notre société a adhéré à un ensemble de textes et de lois, pas toujours en adéquation avec notre perception du rôle de chacun.

Mais le respect des règles qui régissent notre vie quotidienne serait salutaire, s’il n’était pas soumis à un contexte « de laxisme et d’impunité », déplore le Professeur N’Diaye.

« Le Mali a ratifié tous les instruments juridiques, régionaux et internationaux de  protection et de promotion des droits de la femme. Il a en outre proclamé l’égalité des sexes dans ses différentes Constitutions », indique Maître Kadidia Sangaré, avocate, ancienne Présidente de la Commission nationale des droits de l’homme et ancienne ministre des Droits de l’Homme. Mais « l’arbre ne doit pas cacher la forêt », car « il existe un grand fossé entre les textes et la réalité », reconnaît-elle.

L’application des lois permettrait de corriger les insuffisances, suggère le sociologue. Cependant, s’en tenir « au droit, oublier l’expérience et le contexte socioculturel » serait une erreur. « Parce qu’en général, les lois, les conventions émanent d’une philosophie étrangère à nos réalités, où la vision de la coexistence est celle des individus qui se mettent ensemble. Nous, au contraire, c’est la communauté. La dynamique sociale basée sur l’individu est en contradiction avec la nôtre ».

La loi 2015-52

Pour déclencher cette dynamique sociale et inverser la tendance, la loi N°2015-052, instituant des mesures pour promouvoir le Genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives, a été adoptée le 18 décembre 2015. Véritable déclic destiné à impulser une participation massive des femmes aux instances de prise de décision, ce texte, obtenu de haute lutte, connaît néanmoins des insuffisances.

En effet, dans la pratique, alors que la loi prévoit pour les listes de 3 personnes en politique qu’au moins l’une d’elles soit du sexe opposé, la tendance penche toujours vers 2 hommes. « Même s’il y a deux femmes braves, elles ne seront pas choisies. Cela dépend de la mentalité », déplore Madame Sangaré Oumou Bah, ancienne ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, initiatrice de la loi.

Même au plan administratif, son application n’est pas effective. Dans les nominations, elle n’est pas respectée et il faut le dénoncer, déplore Madame Sangaré. L’autre difficulté dans la mise en œuvre réside dans l’insuffisance en ressources humaines. Dans le domaine scientifique, par exemple, les compétences sont rares et très sollicitées. D’où la nécessité de former davantage de filles. « Il faut une vraie politique d’émulation, pour amener les filles vers les séries scientifiques et cela dès le bas âge. Au-delà il faut pallier l’insuffisance en formation des femmes », qui est réelle, insiste-t-elle. « La loi est acceptée parce que tout le monde sait qu’il faut la participation des femmes, mais les hommes vont toujours résister. C’est aux femmes de montrer qu’elles sont capables ».

Si la loi 2015-52 représente plus qu’un symbole, selon son initiatrice, le constat demeure que dans l’ensemble « les femmes sont moins représentées dans les instances nominatives que les hommes. En effet, seul un travailleur sur dix du personnel nommé dans ces instances est de sexe féminin. C’est dans le domaine de la santé, du développement social et de la promotion de la famille que les femmes sont mieux représentées (26%), contre seulement 4% dans l’administration générale », selon le rapport Femmes et Hommes au Mali en 2017, de l’Institut national de la statistique(INSTAT).

D’autant plus qu’il faut du temps pour impacter les mentalités, « les hommes, n’ayant pas encore intériorisé cette loi, n’hésiteront pas à la relire », craint Madame Sangaré.

Défis

Malgré les nombreux textes ratifiés par le Mali dans le domaine, « les droits de la femme ne se portent pas bien, en raison de nombreux défis, notamment les violences faites aux femmes, le faible accès aux postes de prise de décision, le faible  taux de scolarisation des filles, le difficile accès à la santé et la grande pauvreté des femmes », indique Maître Kadidia Sangaré.

L’un de ces défis est l’adaptation des textes censés promouvoir les droits de la femme à nos réalités, parce que, malgré les apparences, l’expérience d’une Hollandaise n’est pas la même que celle d’une Malienne. Et, à l’intérieur d’un même pays, cela peut aussi varier.

« Sur beaucoup de plans, une  femme en milieu rural tamasheq est beaucoup plus libérée qu’une Française », explique le Professeur N’Diaye. Parce que la culture dit qu’en tant que fondement du foyer, la tente et le bétail lui appartiennent. C’est elle qui accueille l’homme.

Notre tradition ayant été mal interprétée, il faut trouver ce qui a changé pour recomposer le schéma, suggère le sociologue. « Ce n’est pas une convention venue de New York qui va régler » cela.

Dans les communautés sédentaires, en général, depuis que le patriarcat a remplacé le matriarcat, la maison, la terre et les biens ont basculé dans les mains des hommes. Et, comme dans tout régime où le pouvoir économique et le pouvoir politique  se retrouvent entre les mains d’une certaine catégorie de personnes, celle-ci peut en abuser. Mais, si nous appliquons nos lois, la force de nos valeurs culturelles fera que si les membres en abusent, chaque zone sera confrontée à la réalité de son histoire et de son parcours et les vraies valeurs remonteront.

Fatoumata Maguiraga

Journal du mali

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