Organisées en association, elles louent des champs que les propriétaires s’empressent de leur retirer aussitôt fertilisés
La présidente de l’Association des femmes rurales du cercle de Tominian et vice-présidente de la société coopérative Benkadi I Mme Diarra Awa Dembélé est intarissable quand elle abord le problème de l’accès à la terre par les femmes. Elle estime que les difficultés d’acquérir des lopins de terre à cultiver, constituent le principal goulot d’étranglement de l’épanouissement des femmes en milieu rural.
Créée en 1993 avec 80 adhérentes, la société coopérative Benkadi I a vu une soixantaine d’entre elles, abandonner les activités en raison des difficultés et de la quasi impossibilité d’accéder à un lopin de terre.
La société Benkadi I des femmes de Tominian œuvre dans le domaine du maraîchage, du reboisement et du ramassage des amendes de karité. Depuis la création de la société coopérative, assure Mme Diarra Awa Dembélé, « nous avons toujours loué la terre avec les hommes pour cultiver. Comme à l’accoutumée, ce sont toujours les terres pauvres qui nous sont cédées. Et aussitôt acquis, chaque adhérente apporte sa part de fumure organique pour amender la terre afin de la rendre fertile. Au bout de la campagne, quand le propriétaire légitime voit que nos récoltes sont bonnes, il vient nous dire qu’il a besoin de sa parcelle ». C’est ainsi que depuis des décennies, ces femmes sont presque condamnées à cette pérégrination sans fin et ce travail titanesque de Sisyphe. « C’est ce qui explique les désertions massives dans nos rangs parce que les partantes se disent qu’elles se battent pour une cause perdue d’avance », argumente amèrement Mme Diarra Awa Dembélé.
Les agissements malintentionnés sont encore là pour leur donner raison. «En effet, comment empêcher que le camp des pessimistes ne s’élargisse pas quand des personnes se permettent de venir saccager de jour comme de nuit le fruit de nos durs labeurs. Nous assistons régulièrement aux actes de vandalisme sur nos parcelles de reboisement d’eucalyptus. Si les arbres ne sont pas tout simplement coupés et vendus, ils y mettent le feu», se plaint Mme Diarra Awa avec un regard plein d’interrogations. « Or, ce champ de reboisement a été entretenu à la sueur de nos fronts. Nous transportions de l’eau du puits situé à 2 ou 3 kilomètres du site dans des charrettes et avec des seaux d’eau, on arrosait pied par pied cette plantation de 3 hectares. Des passants nous traitaient même de folles en nous regardant assurer la corvée d’eau malgré la chaleur torride. Au moment, où on peut espérer récolter le fruit de nos durs labeurs, des vandales viennent mettre le feu à la parcelle ou couper tout simplement presque tous les pieds d’eucalyptus et les vendre sur le marché. Reconnaissons que cela fait mal », fulmine-t-elle.
La présidente de la société Benkadi I estime que la femme est peu valorisée dans son milieu « Dieu seul sait que nous nous battons pour subvenir à nos besoins. Toutes les souffrances sur cette terre touchent en premier lieu la femme», soutient Mme Diarra qui rappelle que quand un conflit éclate, les femmes paient le plus lourd tribut des affrontements. Elles sont toujours concernées. Elles ne perdent soit leurs maris soit leurs enfants envoyés au front.
« Quand la famine sévit, la femme est la première concernée. Elle est victime de malnutrition avec les petits enfants en bas âge, les personnes âgées et les malades. Donc, à tous les niveaux, la femme souffre. Alors, celles qui veulent avoir une autonomie, sont piétinées. Nous ne savons plus où donner de la tête », se lamente notre interlocutrice.
Mme Diarra Susanne Mounkoro du village de Socoro, situé à 12 kilomètres de Tominian, partage les récriminations de la présidente de la société Benkadi I. Elle assure aussi de son côté que les femmes n’ont pas accès à la terre, malgré les slogans qui soutiennent qu’il faut leur attribuer les jeunes 10% des terres dans les aménagements agricoles publics. «Nous aussi, nous louons la terre avec les hommes dans notre village. Nous cultivons essentiellement de l’arachide et du sésame. Nous ne disposons d’aucun outil de travaux champêtres. Il faut attendre d’abord que les hommes aient fini de labourer et assurer tous les travaux avant de nous louer leurs équipements. Nous payons les ouvriers qui nous aident pour entretenir notre champ», raconte Mme Diarra Susanne Mounkoro.
Les deux dames expriment des inquiétudes au sujet de l’immatriculation et l’enregistrement des exploitations agricoles qui avait commencé il y a deux ans et qui de leurs points de vues connaitra des difficultés d’aboutissement en raison de la réticence des hommes. Pire, selon elles, cette opération initiée par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (APCAM) et soutenue par le département de l’Agriculture risquera de braquer les propriétaires terriens. Ils seront plus regardants sur les demandes de location de terres craignant qu’ils ne soient dépossédés de leurs parcelles, soutient Mme Diarra Awa Dembélé. «Puisque, nous n’avons pas de terres et que les autorités locales ou coutumières ne nous en donnent pas l’accès, nous serons des assistées», soutiennent les deux dames. La situation est d’autant plus inquiétante que les femmes n’ont pas accès aux équipements de travaux champêtres et de transformation. « L’horizon s’assombrit presque pour nous, malgré la lueur d’espoir que nous avait procuré le projet PACR », fait remarquer Mme Diarra.
En effet, ce projet, selon nos interlocutrices, a épaulé les femmes du cercle en les équipant, en apportant la formation nécessaire, en assurant la construction et la clôture de l’enclos d’embouche ovine, entre autres. Après la fin du projet, les bénéficiaires n’ont pas pu assurer la survie de l’opération en raison, selon elles, des coûts d’entretien élevés. Alors, la production de karité semble être la voie par laquelle, les femmes pourront connaître un épanouissement meilleur. Mais, sur ce registre, elles manquent de tout (équipements de transformation, formations, fonds de roulement, etc).
La fête du 8 mars doit être une opportunité pour les femmes en général et celles qui vivent en milieu rural en particulier de voir s’illuminer une lueur d’espoir, car la femme est au cœur de toutes les actions humaines. Donc, sa place doit être mieux valorisée et son rôle plus évocateur au-delà de simples clichés festifs et clinquants.
M. COULIBALY
Source : Essor