33 ans après l’avènement de la démocratie au Mali, que reste t-il des idéaux de la révolution du 26 mars 1991 ?
« On a stoppé le sang, mais noyé la révolution, alors que celle ci avait pour objectif de nettoyer le pays ! Les partis politiques ont accouru vers le pouvoir, les oppositions se sont multipliées mais tous, ont oublié jusqu’ à l’essence du combat du 26 mars ! Et les militaires ont récupéré ce qui reste »
Il y a trente-trois ans, le Mali entrait dans l’ère de la démocratie après 23 ans de dictature sous le règne du Général Moussa Traoré ! Feu Amadou Toumani Touré, ancien président du Mali, est apparu, à l’époque, comme un héros de la révolution, après le coup d’état du 26 mars 1991. An té korôlè fè fô koura ! «On veut le renouveau ! » C’était le slogan en bamanan du peuple malien descendu dans la rue pour réclamer plus de liberté, de justice et de droits. Mais que sont devenus les principaux acteurs de ce 26 mars 1991, consacré journée des Martyrs !
Retour sur une date historique
Chronologiquement, le 26 mars est l’aboutissement d’un long processus historique. Comme pour les grandes victoires, il aura fallu le combat acharné de patriotes, de résistants à l’oppresseur et les soubresauts de l’histoire, pour modifier à jamais le cours de l’histoire du Mali. Après la mort de l’ex président Modibo Keita en 1977, le général Moussa Traoré prend le pouvoir et érige l’UDPM, comme parti Unique, établissant un simulacre de démocratie, et bridant les libertés individuelles.
Le régime interdit toute forme de protestation et les mouvements estudiantins comme l’UNEEM, (l’Union Nationale des élèves et étudiants maliens). S’en suit la répression de leaders trop contestataires. Parmi eux, Abdoul Karim Cabral ! Né en 1955, il fut le dernier Secrétaire Général de l’UNEEM, avant d’être torturé, puis assassiné le 17 mars 1980. Cabral était un étudiant sérieux, un homme épris de justice et d’idéaux, qui se battait pour faire instaurer de meilleures conditions d’études pour les jeunes… (Bourses, régionalisation des lycées, Accès aux universités etc…). Mais les grandes victoires s’obtiennent au prix du sang et des sacrifices. Et d’autres résistants prendront le relais, après lui. Les années 90, verront l’émergence de formations telles que l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA), le Comité National d’Initiative Démocratique (CNID) de Mountaga Tall Suivront l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) crée par Oumar Mariko et d’autres étudiants, l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP). Et avec l’appui de l’Union Nationale des travailleurs du Mali, (l’UNTM), du Parti Malien pour la révolution et la démocratie (PMRD), les jeunes diplômés sans emploi, déterminés à gagner leur liberté et à jouir de leurs droits, se mobiliseront contre le régime, de même que la presse, lasse d’être bridée. De nombreux journaux publieront des articles incendiaires contre le régime militaire.
Marches et meetings, le peuple se révolte
Cette même année, après moult revendications, pour l’instauration du multipartisme, les marches, meetings et assemblées se multiplieront entre janvier et Mars, et seront réprimées dans le sang ! Des centaines de maliens verront mourir leurs fils, sœurs et camarades de lutte dans la rue. La révolution menée de front par des leaders syndicalistes, l’AEEM, mais aussi le Mouvement des Femmes, constituera un élan historique au Mali, du jamais vu depuis l’instauration de la charte du Kurukanfuga en 1235. Et C’est l’intervention du Général Amadou Toumani Touré, dans la nuit du 25 au 26 mars 1991, qui permettra de destituer Moussa Traoré et d’arrêter le bain de sang ! « C’est le vendredi 22 mars (jour des premières tueries, qui feront plus de trois cents morts, NDLR) que nous avons compris que Moussa avait atteint le point de non-retour et que nous devions intervenir (…) A partir du 22 mars, quand les gosses ont exposé leurs poitrines aux balles, suivis de leurs mères – nos sœurs, nos femmes -, on ne pouvait plus hésiter. (…) Et puis, nous avions déjà pris contact avec certaines organisations civiles, [en particulier, avec Me Demba DIALLO, président de l’Association des Droits de l’Homme, et le Secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs, Bakary KARAMBÉ, qui seront les premiers informés du succès de l’opération, NDLR](…),racontera ATT, dans une interview à l’ hebdomadaire Jeune Afrique.
Que reste-t-il des idéaux du 26 Mars
33 ans après les évènements sanglants du 26 mars 1991 ; Moussa Traoré a présenté ses excuses au peuple lors de la conférence nationale (…) et les partis politiques se sont multipliés au Mali, instaurant le pluralisme. Pour certains, la révolution de Mars 91 est un échec car le Mali souffre aujourd’hui de corruption et de clientélisme. L’état subit les méfaits d’une démocratie tronquée, jugent d’autres esprits. Quelles leçons faut-il alors tirer de cette révolution démocratique ? « A l’époque, j’étais un lycéen et j’ai marché avec les autres, mais nous sommes passés à côté des idéaux du pays! Le 26 mars représentait un repère. Cette date doit rappeler aux hommes politiques, qui ont confisqué le pouvoir l’importance du combat mené », explique oumar Haïdara ancien leader estudiantin. M. Baby, un jeune étudiant, membre de l’AEEM, estime que le coup d’état du 26 mars a assassiné la révolution : « On a stoppé le sang, mais noyé la révolution, alors que celle ci avait pour objectif de nettoyer le pays ! Les partis politiques ont accouru vers le pouvoir, les oppositions se sont multipliées mais tous, ont oublié jusqu’ à l’essence du combat du 26 mars ! ». Une vision plus nuancée, celle du chroniqueur et journaliste Adam Thiam : « Le 26 mars amorce un changement, dans l’histoire politique du Mali, celle de la volonté d’un renouveau, d’un état empreint de démocratie, malheureusement, certains leaders politiques ont déçu ».
Le 26 mars, une révolution confisquée ? Malgré les réminiscences et les blessures du peuple, le Mali est entré dans l’ère de la démocratie. Le pluralisme s’est installé de même que la liberté de la presse. A chaque scrutin électoral, le peuple peut choisir ses dirigeants et exprimer sa volonté. Dernièrement, les élections Communales ont fait apparaître, un désir d’alternance des élites au sommet depuis de nombreuses années et face à l’échec de leurs politiques. Après le Mouvement citoyen, l’apparition de formations indépendantes suscitent l’espoir chez les jeunes et les populations les plus démunies. Le parti SADI (…) d’Oumar Mariko, conquiert la voix des paysans à Koutiala. D’autres comme le CNID, l’ADEMA et le RPM ont déçu, et certains comme la CODEM, le nouveau parti de la Convergence pour le développement du Mali d’Housseiny Guindo, créent l’émulation… Le 26 mars 1991 restera toutefois une date symbolique pour les maliens. C’est l’occasion de rappeler les idéaux de justice et de prospérité, qui ont animé le combat des vrais patriotes du peuple !
Et aujourd’hui !
Force est de constater un recul total. Les autorités en place ont dissout un des grands maillons de cette lutte qui est l’association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). Le droit à la critique devient un souci et du coup, on assiste à la mort des idéaux du 26 mars 1991.
L’argumentation est en train de péricliter ! Le d’un malaise au sein de notre société surtout sur les réseaux sociaux, malaise caractérisé par une intolérance intellectuelle et un rejet automatique des opinions divergentes, simplement parce qu’on a associé à l’auteur une étiquette d’ennemi à la nation. Comment pouvons-nous construire une nation forte si nous étouffons la diversité d’opinions ? Comment pouvons-nous espérer avoir une société tolérante si seule, la pensée unique est acceptée ? Vous reprochez à certains de vos concitoyens de toujours être dans la critique sans proposer, alors quand ‘ils émettent des propositions continuellement. Mais que faites-vous de ces suggestions, sinon de les rejeter avec des attaques presque insultantes ? À un moment donné, faut savoir ce que nous voulons réellement. Ce pays n’appartient à personne en particulier, et chacun a le droit de s’exprimer dans le respect de nos lois et textes. Nous avons tous également le droit de ne pas être d’accord avec ces opinions sans pour autant être désagréables. Si un compatriote exprime une opinion avec laquelle vous êtes en désaccord, élevez le débat en présentant vos contre-arguments. L’histoire du Mali n’a pas commencé en 1960, ni en 2020. Des grands hommes ont dirigé ce beau pays, respectant la dignité humaine sur tous les plans. Ils nous ont légué un héritage empreint d’amour, mais aujourd’hui, nous en en faisons un pays de violence, tant physique que verbale. Pensez-vous réellement que ce comportement fera taire ou changer d’opinions des hommes et femmes qui ont sacrifié leurs vies pour ce pays ? C’est mal connaître ! Les maliens sont plus que résilients ! La lumière est notre seul espoir !
Ibrahim Yattara