Ngelengwa M’Siri Shitambi Mwenda I, aussi appelé M’Siri, né en 1830, était roi du Garenganze (actuel Katanga) de la tribu des Wanyamwezi avant l’arrivée des européens dans la région. Son royaume, dont l’apogée fut l’époque 1870-1886, qu’il dirigeait par la terreur et le sang , s’étendait sur « un territoire aussi étendu que la Grande-Bretagne ». M’siri s’était enrichi dans le commerce de l’ivoire, du cuivre et des esclaves.
Le roi du Katanga
D’après une lette de 1891 qu’il adressa via Paul Le Marinel au Gouverneur de l’Etat indépendant du Congo son empire s’étendait à cette époque “du pays de Luba au nord, jusqu’à la rivière Zambèze au sud et du Lunda à l’ouest jusqu’au lacs Tanganika et Nyassa à l’est.” Sa résidence, Bunkeïa (ou Bunkeya), située à 160 kilomètres au nord de Lubumbashi (ancienne Elisabethville) était avant l’arrivée des européens au Katanga un centre d’affaires grouillant d’activité, renommé dans toute l’Afrique.
M’siri avait sous ses ordres une armée de 10.000 guerriers, dont 3000 possédaient des mousquets . M’Siri fut abattu par le capitaine Omer Bodson, un officier belge le 20 décembre 1891, venu le chercher manu militari comme le lui avait commandé William Grant Stairs, capitaine anglais mandaté par l’État indépendant du Congo venu soumettre le roi du Garenganze au drapeau du nouvel État.
Qui était Mwenda M’siri?
Son grand-père était le Mwami (roi) Muhemwa, et sa grand-mère, la Mugoli (reine) Mahanga.
Son père était le Mwami Kalasa Mazwiri, et sa mère, la Mugoli Manena Liahanze.
M’siri et ses parents étaient vassaux du Mwami Mwinula Kipamira du Bulebe (Buleve). Sa mère, Manena Liahanze, était descendante des Bahindi du côté paternel, et des Bashirombo du côté maternel.
Quand les peuples du Busumbwa eurent vent des richesses qui se trouvaient dans cette terre lointaine, à l’ouest du lac Tanganika, Kalasa Mazwiri et son frère (ami intime) Kamana Magulu-kunkwezi réunirent des hommes avec qui ils allaient faire le voyage vers le Kadata (Katanga). C’est lors de ce voyage que Kalasa lia des alliances de sang (ancienne pratique pour souder les amitiés) avec les rois locaux comme Katanga, Mpande, Mubambe, Sompwe, Fukutu, Lupola, Kinyama et Katara des Mitumba. A la fin d’un séjour merveilleux, Kalasa Mazwiri et un grand nombre de ses hommes retournèrent en Tanzanie, leur terre qu’ils appelaient aussi le Bugaraganza, munis de nombreuses richesses.
Après un intermède, Kalasa revint au Katanga avec Ngelengwa afin de l’affermir et l’exposer aux exigences des voyages en caravane. D’après ce qui a été relaté par les anciens, Ngelengwa était plutôt jeune à cette époque. Il aurait été âgé de quinze ans seulement, car son visage était encore imberbe.
Pendant le trajet du retour au Busumbwa, Kamana Magulu-kunkwezi mourut tragiquement. Ce fut un évènement triste pour tous les membres de la caravane, surtout pour Kalasa Mazwiri, qui avait une amitié fraternelle pour ce dernier. Kalasa Mazwiri ne retournera plus au Katanga. Il restera au Busumbwa, et y vécut aisément jusqu’à la fin de ses jours.
Bien que plusieurs années se soient écoulées, Ngelengwa n’avait qu’un souhait, celui de retourner au Katanga avec sa propre caravane. Pour ce faire, il prit une partie de la richesse que son père lui avait léguée et acheta des tissus, des vêtements, de la poudre noire et des fusils parmi tant d’autres choses. Avec ce qui lui restait comme richesse, il se dota de pouvoirs surnaturels dans le Busukuma, en Tanzanie, afin de se protéger des forces nuisibles.
C’est là-bas qu’il se nouera d’une grande amitié avec un homme qui avait une vaste connaissance dans la matière et qui était apparenté à sa mère Manena. Cet homme était Masuka Muhembeka.
Du Busukuma, il se rendit dans d’autres lieux afin de subir d’autres initiations. Motivé par ses découvertes, Ngelengwa retourna chez lui au Busumbwa pour préparer son long voyage vers le Katanga.
Tout comme le fit son père quelques années auparavant, Ngelengwa commença par rassembler ses confrères qui allaient se joindre à lui pour ce long voyage émaillé de dangers. Ces hommes appartenaient à plusieurs clans des Bagaraganza, tels que les Basabaga, Baleve, Babagwe, Bashyetu, Basonge, Banzeve, Bagomba, Bayogo, Bahindi, Bashirombo, Bagaya, et d’autres. Tous souhaitaient se rendre au Katanga, afin d’acquérir des richesses. Pendant les années qui suivirent, nombreux sont ceux qui restèrent au Katanga avec Ngelengwa, alors que d’autres retournèrent au Busumbwa.
Dans cette phase de la vie de Ngelengwa, personne ne se doutait de son destin hors norme. Néanmoins, très vite, il accumula plusieurs victoires contre les ennemis de ses pères. Si bien que les gens commencèrent à l’appeler Mushidi, surnom qu’on lui donna et qui veut dire ‘le législateur, du verbe Kushindika. Sur ces entrefaites, il s’établit comme une force régionale incontournable, d’abord au Katanga, et à de moindres degrés, en Zambie et dans le sud-ouest de la Tanzanie. Ce surnom devint très populaire et plus tard sera prononcé M’siri par les européens.
Cependant, ce n’est qu’après la mort de son père qu’il fut intronisé à Luambo selon les rites Yeke ; héritant ainsi des insignes royaux que lui avait apporté son frère Ikuku Kabebe de la Tanzanie. Ces insignes appartenaient jusque-là à son père Kalasa Mazwiri. Comme nom de règne, il se rebaptisa Mwenda Bantu, ‘le conducteur des hommes’.
Le règne de Ngelengwa M’siri ayant duré presqu’un demi-siècle, une nouvelle génération avait grandi chez les Basanga, ainsi que parmi les autres clans venus précédemment de la Tanzanie. Les plus redoutables étaient les ‘Bana Mutimbi’, qui commencèrent à manifester une lassitude dans l’exécution de certains ordres émanant de Ngelengwa. Leur hargne était si grande, qu’ils incitaient même les autres peuples à se révolter contre lui.
Les Basanga commençaient à critiquer leurs ‘pères’ qui s’étaient laissés dominer par cette poignée d’étrangers. Ils en vinrent même à oublier que ces gens-là avaient libéré leurs terres des exactions des Lunda et des razzias des Balubas.
Malgré les grandes armées de M’siri, les révoltes des Basanga et des Bana Mutimbi l’affaiblirent. En plus des guerres, il devait faire face à une succession d’expéditions européennes qui arrivaient à Bunkeya pour l’assujettir et s’accaparer du Katanga.
C’est l’expédition Stairs, commanditée par le roi des belges Léopold II, qui vint pour occuper le Katanga de force. Comme il l’avait fait auparavant avec d’autres expéditions, M’siri rejeta l’implantation du drapeau de l’État indépendant du Congo (EIC). Le 19 décembre, Stairs défia M’siri et hissa le drapeau bleu à l’Etoile jaune sur une perche, alors que la règle stipulait que cet acte devait suivre la signature d’un traité que M’siri avait refusé de signer.
Face à cette confrontation, le soir du 19 décembre, M’siri convoqua les notables au Mont Nkuru (Nkulu) pour une grande réunion, dans laquelle il leur fit part des dangers qui régnaient sur l’empire. Après une longue discussion, le Conseil rejeta l’implantation du drapeau de l’EIC. Sur-le-champ, M’siri ordonna à l’intendance d’ouvrir les magasins et de sortir les belles étoffes. Il fit distribuer des tissus blancs à tous les princes et dignitaires qui étaient présents. Mais il ordonna à son fils Masuka le tissu rouge et le somma à partager son repas. C’est alors qu’il lui confia qu’à eux deux, ils avaient un long voyage à faire. Masuka obtempéra, sans bien comprendre le message derrière ces paroles solennelles.
Le dimanche 20 décembre au matin, M’siri se trouvait chez sa deuxième épouse, la reine Ihozyo (Kanfwa), et c’est là-bas que le trouvèrent le capitaine Bodson et le marquis de Bonchamps. Brisant les règles du protocole, Bodson entra dans l’enceinte de Ihozyo, accompagné de nombreux soldats. A travers son interprète zanzibarite, il ordonna à M’siri de le suivre à Kyowe pour signer le traité de soumission. Kyowe était l’endroit où l’expédition Stairs avait établi son campement. De nouveau, M’siri rejeta cet ordre, et haussa le ton, exigeant à Bodson de s’en aller.
Après avoir rabroué Bodson, M’siri se leva pour entrer dans sa maison. C’est alors que, lâchement, Bodson ouvrit le feu et atteignit le Mwami plusieurs fois dans le dos. A cet instant, le Mwanangwa (prince) Masuka, qui était assis derrière le grenier, comprit le message que son père lui avait intimé la veille. A son tour, Masuka tira sur Bodson et l’atteignit dans le ventre, le blessant fatalement. Après avoir vengé son père, Masuka sera repéré et tué quelques instants plus tard.
Cette scène, qui dura à peine quelques minutes, sema la panique générale dans tout le village et les environs. Les soldats de Stairs reçurent l’ordre d’emporter le corps gisant de M’siri, le trainant par les pieds à travers le village. Ensuite, ils lui coupèrent la tête et la mirent sur un pieu de la palissade de Kaleba, abandonnant ainsi le corps décapité de Msiri aux pieds d’une termitière en dehors de l’enceinte de Maria da Fonseca, une des épouses de M’siri, qui était une mulâtresse originaire de l’Angola. Elle trahit M’siri et collabora avec l’expédition Stairs.
Bien que victorieux, le commandant Stairs ne pouvait pas être tranquille, car il craignait que les Bayeke allaient se venger de la mort de leur père. Les rumeurs pullulaient et dans cet état de crise, tout le monde était sur le qui-vive. Dans Bunkeya, les gens chuchotaient que Stairs recherchait tous les grands notables de M’siri pour les mettre à mort.
Le 21 décembre, 1891, avec l’assistance de Kyamunda et Kimpipwe, le Mwanangwa Kalasa inhuma son père dans le Kraal de la reine Ihozyo (Munema), lieu même où il fut assassiné. Le surlendemain, le Mwanangwa Kalasa succéda à son père, et devint le deuxième Mwami des Bayeke.
Voici un aperçu de la vie d’un homme dont le génie politique et la force de l’esprit lui ont permis de créer un empire au Katanga. C’est l’empire de M’siri qui fut le dernier rempart. Après l’avoir assassiné, le Katanga fut entièrement occupé par les belges et sa souveraineté s’envola en éclat.
Chaque année, les Bayeke du Garanganza commémorent la bravoure de leur ancêtre M’siri. Sa conception originale de l’état, les procédures coutumières qu’il amena de la Tanzanie et qu’il adapta aux réalités locales, sa vision d’une économie régionale et d’un marché transcontinental, de l’océan Atlantique à l’océan indien, ne sont que quelques œuvres qui resteront à jamais gravées dans l’histoire de l’Afrique.
Source: Agora Africaine