Dans un secteur où la mainmise des États est presque totale, on retrouve encore quelques «courtiers» opérant en marge du commerce régulé de matériel militaire sur le continent. Pleins feux sur trois figures clés d’un business aussi juteux qu’opaque.
Depuis plusieurs semaines, le fracas des canons russes en Ukraine rappelle à l’Europe un bien mauvais souvenir. Celui de la guerre. Les pays européens s’y étaient préparés. À partir de 2014, date de l’annexion de la Crimée, l’Europe est redevenue l’un des points chauds du commerce mondial des armes. En Afrique, l’acquisition de matériel militaire a certes diminué de 13 % entre 2015 et 2020. Mais, confronté à de nombreuses menaces sécuritaires – terrorisme, criminalité transnationale, piraterie –, le continent demeure tout particulièrement concerné.
« Nous serons obligés d’augmenter nos forces de défense. Nous serons obligés d’accroître la protection de nos frontières. Nous serons obligés d’acheter des armes », a récemment déclaré le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, réagissant au départ annoncé de l’armée française du Mali.
Dans cette course effrénée, les États africains font de plus en plus appel à des sociétés étatiques ou liées directement à des pays producteurs. La Russie, qui est devenue en 2020 le premier exportateur d’armes sur le continent, opère via Rosoboronexport, une organisation d’État. En France, Thalès, Safran ou Dassault ont pignon sur rue. Lors de ses récents séjours en République démocratique du Congo (RDC) et au Sénégal, Recep Tayyip Erdogan était accompagné par Ismail Demir, le président de l’Industrie turque de la défense (SSB). Acteur militaire de plus en plus important, Ankara ambitionne de faire de la Foire internationale de l’industrie de la défense (Idef), qui se tient chaque année à Istanbul, un rendez-vous incontournable des décideurs africains. En 2021, Erdogan l’avait inaugurée avec le président sierra-léonais, Julius Maada Bio.
Mauvaise presse
En marge de ce commerce régulé entre acteurs bien identifiés, on retrouve encore quelques oiseaux rares, représentants d’une époque révolue. Des intermédiaires qui, pour la plupart, évitent les feux des projecteurs tant le métier a mauvaise presse.
Ils ne sont pas Viktor Bout et n’auront sans doute jamais les honneurs du cinéma hollywoodien. Mais ils incarnent, chacun à leur manière, un business africain funeste où armes légères, avions de seconde main et véhicules blindés en tout genre s’achètent toujours à prix d’or. On les appelle marchands d’armes. Eux préfèrent le terme plus lisse de courtiers en armement. Comme pour donner l’impression qu’on peut vendre des armes comme on échange des matières premières.
Dans cette enquête, nous avons choisi de nous attarder sur trois profils : Aboubacar Hima, Ivor Ichikowitz et Rafi Dermardirossian. Le premier, basé à Niamey, fut à l’origine d’un gros scandale de corruption. Le deuxième fait œuvre de philanthropie tout en possédant la plus grande entreprise d’armement du continent. Enfin, le dernier est un négociant franco-libanais d’une quarantaine d’années qui s’est installé à Ouagadougou au début de la décennie 2010. Quand et comment se sont-ils implantés en Afrique ? Quels sont leurs réseaux ? Qui fournissent-ils ? JA a mené l’enquête.
Source: Jeune Afrique