Nous semblons tellement avoir atteint le fond, depuis dix ans, qu’il est difficile de compter et de distinguer les bons points enregistrés par nos gouvernants et de relever en conséquence les changements d’humeur de notre peuple. Au nombre des points positifs, la réduction de la taille du gouvernement, avec la chute de IBK, et celle du salaire du Chef de l’Etat, avec la démission de Bah N’Daw, sans oublier les diminutions drastiques des avantages de l’ensemble des membres du gouvernement. L’on peut citer également le réarmement moral et matériel des FAMa, commencé avec l’avènement de la Transition, bien réel et pas très perceptible dans l’immédiat, malgré les témoignages du Mali profond sur les changements de camp du désarroi et de la peur installés désormais du côté des terroristes « sans foi ni loi », même s’ils s’autoproclament « combattants fous de Dieu ». Malgré la crise sécuritaire multiforme et la Covid-19, de réels efforts dans l’augmentation des salaires et des pensions, avec effet sur le panier de la ménagère, ont été enregistrés. Bien maîtrisée, l’inflation a été contenue dans des proportions acceptables alors que les sanctions de la CEDEAO n’avaient pas encore fait leurs effets dévastateurs. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt, il reste bien des domaines où l’action gouvernementale est aux abonnés absents. Et, il y a encore des Maliens pour le dénoncer, en toute responsabilité, sans aucune inféodation idéologique ou politique.
Or, depuis plus de 24 h, l’on entend beaucoup M. Jean Yves- Le Drian, ministre français, s’époumoner sur les comportements de la « junte » du Mali, qu’il qualifie « d’illégitime », oubliant très vite que les autorités actuelles de la Transition n’ont pas changé d’habits depuis la chute du régime IBK. A l’attelage Bah N’Daw / Moctar Ouane s’est juste substitué celui de Assimi Goïta / Choguel Kokalla Maïga, l’ancien vice-président de la Transition I et un civil bon teint connu sur la scène politique du Mali depuis 1991. Le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) a été dissous ! Seuls les discours ont changé et surtout leur tonalité vis-à-vis de la coopération française, entre autres, et de ses dirigeants peu habitués à la critique de la part de leurs « anciens sujets » des colonies. Ainsi, on apprend que nos autorités de la Transition « ont ouvert une enquête sur l’attribution du marché des passeports maliens [sous l’ancien régime] et que les faits de corruption et de concussion sont avérés dans ce dossier ». L’auteur s’inspire d’une enquête de Jeune Afrique et conclut sous anonymat : « Comprenez donc la folie et les aboiements du papa et son obstination à faire écourter cette transition au plus tôt. Il a des casseroles personnelles à étouffer et à sauver ». Nous tairons donc les noms, sachant très bien qu’il « n’y a pas de fumée sans feu », comme l’indique un vieux dicton français/breton. Et le porte-voix actuel de la France en courroux contre le trublion que nous sommes devenus, M. Le Drian, ne se dévoile-t-il pas en s’attaquant au Mali ? Comme au bon vieux temps de la Françafrique, pour traiter et qualifier la junte « d’illégale » et « d’irresponsable ». C’est à se demander alors, comment explique- t- il cette sortie massive de plusieurs millions de Maliens, le 14 janvier dernier, pour apporter leur soutien aux autorités de la Transition ? Une prouesse qu’aucun pouvoir démocratique n’a encore réalisé.
Ah, on oubliait, M. Le Drian est resté constant sur un point (contrairement au double, sinon triple ou quadruple langage à propos de la force Takuba : on part, on reste, on part si.., on reste malgré tout, on se réadapte, etc.) : il avait choisi son camp, explicitement ses amis (« les Touareg, ce sont nos amis ») et implicitement ses ennemis (l’Etat malien et le reste de la population). En cela, il est resté également fidèle à une philosophie de base de la colonisation, inspirée du machiavélisme primaire : diviser pour mieux régner. Mais, cette fois-ci, cette théorie fumeuse ne va pas prospérer au Mali. Car, si certains Touareg sont vos « amis » de circonstance, pour nous, les Touareg sont nos authentiques frères arc-en-ciel d’une même Nation « unie dans la diversité ». Hier, aujourd’hui et demain.
Le constat très regrettable est que, aujourd’hui, certains dirigeants français, à tour de rôle, comme si une voix ne suffisait plus, se sont engagés hors des sentiers diplomatiques pour s’installer dans l’invective et les insultes au lieu de se pencher sur les accords déséquilibrés qui nous liaient jusque-là. Ainsi, le jeudi 27 janvier 2022, c’était au tour de Jean-Yves Le Drian de récidiver et de dénoncer « un comportement irresponsable de la junte malienne ». Provoquant notre ire et la réponse cinglante, fort heureusement appropriée, de son homologue malien, M. Abdoulaye Diop, qui a signalé, à juste titre, que « les insultes ne grandissent pas [leurs auteurs] ».
Pourtant, l’on ne les entend point (nos censeurs français) sur les supposés dossiers dans lesquels ils sont censés être impliqués sous l’ancien régime, qui leur avait fait des « offrandes », sur le marché des passeports maliens par exemple, sur lesquelles le voile semble se lever. Ces passeports utilisés y compris par des Maliens jugés à l’hexagone comme des « sans-papiers » qui, même noyés sur les côtes françaises, n’ont pas droit à une sépulture digne de leurs croyances religieuses. Et récupérés sur la « terre promise », en territoire français, ils sont renvoyés sans ménagement, n’ayant sur eux que ces bouts de parchemins sans valeur aux yeux de la France et payés au prix fort aux fabricants français sur les impôts de leurs parents doublement touchés par cette infamie.
Face à la crise multiforme et à l’incompréhension de la communauté internationale, et bien que les élections ne soient pas une panacée dans notre situation, le retour à un pouvoir « entièrement » civil est envisageable. Il se fera certainement, au rythme accepté et convenu par les Maliens. Dès lors, il ne s’agit point de capituler devant l’adversité ; il faut arrêter d’offrir notre scalp à ceux qui ne regardent pas dans la même direction que nous. Évitons les erreurs du passé, ne commettons pas la faute politique de prendre date pour une reddition dans le noble dessein de redresser la barre du navire Mali.
Quant à vous, Messieurs les censeurs, de grâce, laissez les Maliens juger, en citoyens désormais libres et indépendants d’esprit, de ce qui est bon ou non pour eux comme des adultes qu’ils sont devenus depuis plus de soixante ans d’indépendance. En tout cas, assez responsables pour faire échec à votre plan diabolique de zombification (ni mort, ni vivant) sécuritaire du Mali et du Sahel. En d’autres termes, l’insécurité doit rester à l’état végétatif, de manière à pouvoir justifier la pertinence et la permanence des forces étrangères, européennes en particulier. A ce sujet, les faits sécuritaires sont têtus : avant l’opération Serval en 2013, l’insécurité était circonscrite aux trois régions du Nord avec un léger débordement sur Mopti (Konna) ; puis, en 2014, l’opération Serval est remplacée par Barkhane ; enfin, en 2015, la khatiba du Macina est créée et l’insécurité gagne de facto le Delta central du Niger, avant de s’étendre progressivement à d’autres localités du pays, au point « d’infester » toutes les régions du Mali, et de déborder, la même année 2015, sur le Burkina voisin. La suite est connue… au Mali comme au Burkina Faso. Ceci n’explique-t-il pas suffisamment cela ? Assurément que si !
Dicko Seïdina Oumar –DSO-Journaliste-Historien- Écrivain, Seïdina Oumar Diarra –SOD-Journaliste- Politologue- Communicant
Source: Le Sursaut