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Tribune – L’après-coup d’État au Mali: position intenable de la CEDEAO et vigilance nécessaire du peuple

La crise politique et institutionnelle au Mali a connu une abrupte évolution le mardi 18 août 2020, suite à un putsch mené par des officiers de l’armée, réunis en Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Par la voix de leur chef, le colonel Assimi Goïta, ils estiment que le Mali n’a plus le droit à l’erreur, ajoutant que par leur action ils ont mis le pays au-dessus de tout ; pourvu que cela soit une ligne de conduite stricte et permanente. En tout état de cause, une chose est sûre, le Mali n’a en effet plus droit à l’erreur. Pour dire les choses sans euphémisme, le peuple malien a maintenant le dos au mur, il est donc vital de faire face aux défis immenses à tous les niveaux de la société.

Dès l’annonce de l’arrestation du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a réagi, estimant qu’il s’agissait d’un « coup de force des militaires putschistes maliens, qui est de nature à avoir un impact négatif sur la paix et la stabilité au Mali et dans la sous-région ». On peut s’interroger si cela signifie que le Mali connaît « la paix et la stabilité » ces dernières années. La réponse est clairement non, vu la situation dans le nord, nord-est et le centre du pays. À titre d’exemple, les massacres survenus à deux reprises (en 2019 et 2020) dans le village d’Ogossagou, dans la région de Mopti, constituent une parfaite illustration de cette sinistre réalité de l’instabilité du pays. Et que dire des attaques terroristes récurrentes contre les FAMa (Forces Armées Maliennes) et les populations civiles dans plusieurs zones du pays et cela depuis de nombreuses années. Il faut rappeler ici que certes la situation du pays s’est gravement détériorée pendant les sept ans d’IBK, mais tout n’est vraiment pas de sa faute. Le Mali paie plusieurs décennies de mauvaise gouvernance, de laxisme et de corruption.

Face à la promptitude de la riposte de la CEDEAO, et surtout le ton et le fond de son communiqué, beaucoup de Maliens estiment qu’il y a là une volonté de punir leur pays. A cet égard, le point (f) du communiqué qui décrète « la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali » semble leur donner raison. Hélas, une semaine aura suffi pour que les populations ressentent les conséquences de cette décision, comme l’illustrent les reportages RFI datant 23 août 2020 à Kayes vers la frontière sénégalaise et dans la localité d’Ayorou au Niger, frontière sud-est du Mali. On peut aussi noter que le volet financier des sanctions se fait sentir au niveau des banques maliennes, malgré l’assouplissement apparent des transactions bancaires nationales cette semaine.

En outre, dans le prolongement du point (f) cité ci-dessus, l’organisation sous-régionale invite tous les partenaires à prendre les mêmes sanctions qu’elle. Qu’il y ait eu une relation de cause à effet ou pas, réuni en session extraordinaire en visioconférence ce mardi 25 août, le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) a décidé de suspendre la République du Mali de la Francophonie. Visiblement plus mesuré que la CEDEAO, le CPF dit vouloir maintenir « les actions de coopération bénéficiant directement aux populations civiles, ainsi que celles concourant au rétablissement de la démocratie ». Et pour maintenir l’équilibre sur cette ligne de crête, la Francophonie, par la voix de sa Secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, exprime « sa solidarité avec les populations maliennes confrontées depuis de nombreuses années aux conséquences des crises institutionnelles, politiques et sécuritaires ».

En somme, si la CEDEAO persiste sur ce que beaucoup de Maliens considèrent comme un « blocus » imposé au pays, elle se mettrait à dos ce peuple et bien d’autres. Car, bien malin qui peut garantir que la situation que connaît le Mali aujourd’hui n’arriverait pas ailleurs (à lire, Mali, Guinée, Côte D’Ivoire : Destins croisés, Karim Diakhaté, Le Panafricain, sur maliweb.net, 27 juillet 2020). Les dirigeants de ces deux derniers pays tentent un 3e mandat qui, pour le moins, ne fait pas l’unanimité au sein de leur peuple. Ainsi peut-on en conclure que ce qui se joue entre le Mali et la CEDEAO va au-delà du seul cas malien, sans doute que certains chefs d’État voient dans le miroir IBK leur propre reflet. Les mois à venir devraient nous éclairer sur les vrais ressorts de ce jeu de dupes. D’ailleurs, ces derniers jours on apprend que tous les chefs d’État de la CEDEAO ne seraient pas sur la même longueur d’onde sur la situation au Mali, malgré la fermeté commune martelée dans le communiqué et à l’issue de la visioconférence des Chefs d’État et de Gouvernement du 20 août 2020. Comme par hasard, les tenants d’une ligne dure contre le Mali sont ceux-là mêmes qui se voient à travers IBK — suivez mon regard ! En tout état de cause, le CNSP devra mettre « le pays au-dessus de tout », pour reprendre leur propre expression. Quant au peuple malien, il doit rester vigilant et ne pas se laisser duper par l’effervescence de la chute du régime IBK. Le temps reste le meilleur juge.

Issa M. KANTÉ
Enseignant-chercheur, linguiste,
Université de La Réunion, France

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