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Suicide sur le 3è pont de Bamako : Faut-il s’inquiéter de l’ampleur du phénomène ?

Lors de son inauguration le 22 septembre 2011, les Bamakois voyaient le 3è pont de la capitale comme un formidable joyau, symbole de la Coopération entre le Mali et la Chine. Mais depuis quelques années, ce pont jouit d’une réputation peu flatteuse, attirant de plus en plus les candidats au suicide.

Ce lundi 12 octobre 2020, aux environs de 1h du matin, un homme (identifié comme étant Yacouba Niaré) arrive sur le 3è pont de Bamako à Missabougou. Il immobilise sa voiture et se jette dans les profondeurs du Niger, selon des témoignages. Recherché toute la nuit durant, d’abord par les pécheurs présents au fleuve, puis par les sapeurs-pompiers, alertés nuitamment, il n’est pas retrouvé sur le coup.

Quelques heures plus tard, le même 12 octobre, exactement à 11h , le téléphone sonne de nouveau dans la caserne des pompiers de Sogoniko. Un autre homme (également identifié comme étant Sidi Bouaré) vient lui aussi de faire le grand saut du 3è pont. Encore une fois, ni les pêcheurs ni les secouristes n’arriveront à le retrouver. Selon les pêcheurs, pendant la période des hautes eaux, les vagues du fleuve sont impitoyables.

Le pont de Missabougou venait donc d’ajouter deux autres personnes à sa longue série de suicide. On se souvient qu’il y a un an, exactement le 25 septembre 2019, une femme s’était noyée, avant d’être repêchée par les pompiers, en se jetant du même pont.

Mais, cette fois-ci, le 3è pont bat son record, deux suicides dans la même journée, avec juste dix heures d’intervalle. C’est du jamais vu. Il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux s’emparent de l’histoire. Plusieurs sites web et pages en ligne annoncent que deux autres personnes se sont jetées du pont au cours de la même semaine. Portant le nombre à quatre personnes en l’espace de cinq jours.

Pourtant, ce chiffre n’a été confirmé par les autorités. Le Directeur régional de la protection civile de Bamako, le lieutenant-colonel Adama Diatigui Diarra que nous avons joint la même semaine, a précisé être au courant de deux cas. « On a jamais été informé pour une troisième personne », ajoute-t-il avant de confirmer, par ailleurs, qu’un corps a été retrouvé par les pêcheurs à N’Tabacoro. Le corps, identifié comme celui de Yacouba Niaré, a déjà été remis à la famille du défunt.

Comment expliquer cette poussée soudaine des actes suicidaires à Bamako ? Voici la question que ce pose bon nombre de personnes. Nous l’avons posé au Dr Bourema Touré, professeur de socio-anthropologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako. « Notre société n’est pas tellement habituée au suicide. Nous avons une culture qui nous permet d’éviter beaucoup plus les suicides par rapport aux sociétés occidentales par exemple. Cependant, nos sociétés se modernisent de plus en plus, donc la tendance occidentale est en train de prendre le pas dans notre société, particulièrement à Bamako », analyse l’universitaire.

L’anthropologue ajoute que la récurrence des suicides sur le 3è pont pourrait s’expliquer par le fait que l’endroit est peu fréquenté comparativement au pont des Martyrs ou le pont Fahd. Même s’il estime aussi qu’il ne faudrait pas négliger la dimension irrationnelle dans l’explication des récents évènements. « Il existe des croyances traditionnelles de certaines personnes selon lesquelles le 3è pont serait habité par des esprits. Ce pont est d’ailleurs prisé par beaucoup de personnes pour faire des sacrifices mystiques », souligne-t-il.

« Préférer la mort à la honte »

Le Dr Bourema Touré explique part ailleurs que le suicide est un phénomène réel qui a toujours existé dans la société malienne. Selon lui, l’emballement médiaque, notamment avec les réseaux sociaux, a tendance à amplifier l’intérêt porté pour les histoires de suicides. Et les raisons d’en finir varient d’un individu à l’autre. « Le suicide est perçu dans nos sociétés comme un élément de solution finale pour les gens. Dans la plupart des cas c’est pour échapper à une situation d’humiliation. Par exemple, il existe un adage commun à presque toutes les communautés au Mali : “ Préférer la mort à la honte “ », soutient le Dr Touré.

Si les valeurs sociétales telles que l’honneur, la dignité, la phobie de l’humiliation peuvent pousser certains au « grand saut», d’autres sont motivés par des pesanteurs socio-économiques. « Dans d’autres cas, poursuit Dr Touré, la pauvreté extrême, les difficultés à faire face à la vie quotidienne peuvent amener les individus à croire qu’il n’y aura pas de lendemain meilleur ».

Toutefois, la note d’espoir, selon l’anthropologue, est qu’il existe des ressorts dans nos sociétés qui peuvent aider à ne pas atteindre la déprime extrême. « Des éléments de communication entre les personnes comme les « grins », des pratiques comme le cousinage à plaisanterie, les relations parentales permettent aux gens d’évacuer le stress dans nos sociétés. C’est beaucoup plus le manque de communication, d’entraide sociale et de solidarité qui pousse les gens au suicide.

Il faut que la société se questionne et se remette en cause dans sa façon de communiquer et sur les questions d’entraide et de solidarité. Qu’est-ce qu’on est en train de perdre ? », interpelle le chercheur, tout en s’empressant de préciser que pour comprendre de manière plus détaillée les raisons qui poussent les gens à commettre l’irréparable, il faudrait chercher dans leur histoire personnelle.

En attendant son élucidation, le mystère du 3è pont reste donc entier. Il alimente les théories souvent les plus folles chez les uns et les autres. Les adeptes des explications surnaturelles demeurent plus jamais convaincus que les «djinns» qui hantent les lieux continueront d’appeler les gens.

M. TOURÉ

Source: L’ Essor- Mali

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