C’est la star montante de la musique malienne et idole de la jeune génération de l’Afrique de l’Ouest. Sidiki Diabaté et son père Toumani, grand maître de la kora, viennent de rejoindre une grosse structure de promotion Universal Music Africa, succursale d’Universal Music Group, incontournable en matière de musiques urbaines sur le continent. Le jeune artiste, du haut de ses 27 ans, fait la Une de la presse et enflamme les réseaux sociaux depuis quelques années. Il produit ses propres titres, arrange et compose pour d’autres artistes du Mali d’Afrique et au-delà. Il se produit régulièrement sur toutes les grandes scènes du monde. Dans l’interview qui suit, il parle de sa musique, de ses succès et de sa kora électrique…
L’Essor : Depuis trois mois, la pandémie du coronavirus a plombé toutes les activités à travers le monde. La culture, et particulièrement la musique en souffre beaucoup. Comment le ressentez-vous ?
Sidiki Diabaté : Je suis vraiment choqué de voir le monde s’arrêter. Ce n’est pas seulement la musique, c’est le monde lui-même qui s’est arrêté. Mais comme on le dit en bambara, on frappe le serpent avec le bâton dont on dispose. Nous sommes restés sereins, nous avons respecté les consignes et les gestes barrières édictés par les autorités afin d’arrêter la propagation de cette épidémie. C’est vraiment difficile, car nos tournées et concerts ont été arrêtés, occasionnant des pertes énormes d’argent qui se chiffrent à plusieurs dizaines de millions voire des centaines de millions de nos francs. Mais, nous n’avons pas le choix, car c’est la décision de Dieu, et nous sommes obligés de l’accepter comme telle. Comme on le dit tout fini, et cette maladie finira un jour. Et nous reprendrons normalement comme si de rien n’était. C’est vraiment difficile pour un musicien de vivre sans la musique, sans la scène et sans pouvoir chanter et faire vibrer son public. Grâce à nos, « Diatigui », fans, au gens qui nous aiment beaucoup, nous arrivons à exister.
L’Essor : Nous savons que vous, pendant ce temps de confinement, vous avez continuez à travailler notamment en studio. Qu’en est-il ?
S. D. : Je prépare mon album. Je prépare un grand album qui fait référence à l’histoire de ma famille. Ce sera un événement malien, africain et même mondial. Nous sommes en train d’écrire une histoire. L’histoire du Mali à travers celui d’un jeune, l’histoire d’un héritier, qui est de la 71ème génération de joueur de kora de père en fils. C’est très important de le souligner. Car ma vie a une histoire, et elle se déroule dans une aire géographique donnée. J’ai quelque chose à dire, en temps qu’artiste, en temps que griot, en temps qu’homme de culture, car le griot symbolise la carte d’identité de la culture malienne et africaine. Aujourd’hui, on a choisi de travailler, non pas pour la famille, mais pour le Mali.
Le Mali et l’Afrique ont besoin d’un autre Salif Keïta, d’un autre Youssou Ndour. L’Afrique a besoin d’avoir cet espoir de vivre, et de lever la tête pour dire : Ah, il y a un Sidiki Diabaté qui vit au Mali, qui peut rivaliser avec les Beyoncé, les Céline Dion, avec n’importe quel artiste de renommée mondiale, musicalement parlant et qui mérite tous les honneurs.
L’album prouvera tout cela. Nous essayerons de mettre le drapeau malien plus haut. Parce que c’est avec ce vert jaune et rouge qu’on vit. C’est de ce vert, jaune et rouge dont on est fier. C’est cette image de vert, jaune et rouge qu’on défend, c’est cette image de vert, jaune et rouge qu’on montre, c’est cette beauté et cette force qui est le Mali et que nous représentons. C’est très important ce que je suis en train de dire. Donc, l’album doit tout cela aussi bien au Mali qu’à l’extérieur. Je ne peux pas vous donner davantage de détails pour le moment.
L’Essor : Sera-t-il mieux élaborer et mieux construit que vos précédents albums?
S.D. : Ce sera encore plus costaud, plus international et plus conscient que tout ce que j’ai fais jusque-là.
L’Essor : Vous étiez connu comme celui qui travaillait plus en studio. Vous avez composez, arrangez et faits des programmations pour les autres. Mais depuis quelques années, vous êtes passé devant le micro. Pour chanter. Pourquoi ?
S.D. : À la maison, j’ai toujours chanté, même si je ne me voyais pas comme chanteur. Dans la famille, les hommes sont des instrumentistes, joueurs de kora. Ce sont les femmes qui chantent. Moi, je ne me suis jamais vu comme un chanteur. Mais j’ai toujours composé, arrangé et programmé pour les autres. J’ai toujours construit et donné aux gens même en dehors de la famille. Mais je me disais un jour pourquoi ne pas essayer. C’est comme cela que tout est arrivé.
L’Essor : Avez-vous une idée du nombre de morceaux ou de créations sur lesquels vous avez travaillé ?
S.D. : Oh ! C’est trop ! Mais grosso modo, je pense qu’il y a plus de cent albums. J’en ai fait aussi bien pour mes compatriotes, que dans la sous-région : au Burkina, au Sénégal, en Côte d’Ivoire etc.
L’Essor : Vous êtes issue d’une famille de griot, et dépositaire de la kora. Vous venez de préciser que vous êtes de la 71ème génération de joueur de cet instrument. Mais, apparemment, vous avez construit sa renommée sur ses prestations vocales au point que l’on en oublie la kora. Où est-ce que vous avez mis la kora ?
S.D. : Mais en fait, toute cette inspiration me vient de la kora. Et toutes les valeurs que je défends viennent de la kora. Tout ce que je suis vient de la kora. C’est de la kora que je tire ma force, c’est de cet instrument que je tiens ma différence avec les autres. Tout le monde n’a pas la chance de jouer la kora. Moi, je la joue. Tout le monde n’a pas la chance de chanter manding. Moi, je chante manding. J’ai eu la chance avec la programmation que je fais de mélanger un style qui m’ai propre et qui pour le moment n’a pas de nom. C’est un style qui est du nouveau Salif Keïta, un style qui est du nouveau Mory Kanté. Je pense qu’on n’a pas le droit d’oublier la kora, car c’est de là où je viens.
Ce n’est pas logique. Par exemple, quand je chante le morceau intitulé « Baani », il vient de la kora. C’est un morceau typiquement de cet instrument. Avec la technologie, nous avons la chance de pouvoir avancer sur les arrangements. Avant, il n’y avait pas de Pick up pour la kora. On jouait la kora tout simplement. Maintenant, il y a les orchestres, dans les boîtes, on ne peut pas tout le temps installer les orchestres, on est obligé de mélanger avec les pieds électro, des bass électro, des sols ; des choses qui peuvent améliorer la qualité du son des instruments. Et du coup, la musique malienne peut rivaliser avec celles de n’importe quel pays d’Afrique, d’Europe et même d’Amérique sur le plan de la qualité technique du son, tout en gardant son originalité. Tout le monde serait d’accord qu’il s’agit d’une musique de qualité et qui vient de la source.
L’Essor : Entre la kora électrique et la kora acoustique, lequel préférez-vous ?
S.D. : Je pense qu’il n’y a pas de différence entre les deux instruments. Aujourd’hui, avec la kora électrique, nous avons plus de chance que nos papas. Car eux ils étaient obligés d’installer des micros de champ à l’intérieur de l’instrument pour pouvoir faire sortir le son de la kora. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de cela. On branche notre la kora électrique et on joue normalement. Nous pouvons jouer sur de grandes scènes en concurrence avec des instruments modernes, et nous avons les mêmes niveaux de son. Nous sommes entendus et vus exactement comme tous les autres instruments.
L’Essor : Mais les puristes diront que l’électrique ne peut pas produire exactement le même son que l’acoustique…
S. D. : Normalement, c’est mon père qui est bien placé pour répondre à cette question, car il a lui-même une kora. C’est comme si tu voulais comparer une Mercedes G Brabus et une Mercedes 190. (NB : Entre les deux voitures, il y a plus de 500 chevaux de puissance de différence). Elle est très rapide et efficace, comparativement à la 190.
L’Essor : Pas exactement en ces termes. Toumani Diabaté, ton père, a l’habitude de me dire que les changements en cours sur la kora permettent d’avoir un autre instrument, mais pas la kora…
S. D. : Non, on ne pourra pas faire la kora. Mais en fait, je t’explique, en fait le son naturel n’a jamais changé entre ce que je joue et la kora acoustique. Il y avait une kora électrique avec des cordes en fer, que Mahamadou Sidiki Diabaté détenait. Ce n’était pas dans le cadre de changer la kora. Mais c’était dans le cadre de la recherche. Récemment, nous avons eu un ingénieur, qui sonorise bien la kora. Sur chaque corde est connecté un micro. Imaginé une kora avec 21 micros, car la kora a 21 cordes et qu’on branche sur une seul P4. Avec cet instrument, on peut facilement émerveillé une salle comme celle de Bercy à Paris (France). On peut même émerveiller un stade de 100 mille spectateurs.
L’Essor : Vous êtes un artiste à la Une des médias et toujours présent sur les réseaux sociaux : entre autres sujet, il y a les filles, vos voitures, et même ton ami Iba Ouane…
S. D. : C’est quand on est devant que les gens sont derrière toi. Je n’avais pas compris que je ne pouvais pas avoir la paix dans ces conditions. On laisse Dieu faire les choses. Le plus important, c’est le travail, et seul le travail bien fait paye.
Mais je ne me vois pas en querelle avec un artiste malien. Je ne peux que les aider sur le plan professionnel. De toutes les façons, je ne fais pas de rap. Donc je ne vois pas pourquoi je serais en querelle avec un autre artiste.
L’Essor : Avant cette pandémie, la presse internationale disait qu’il était impossible de vous suivre…
S. D. : Je ne connais pas le nombre de sons, de morceaux, d’albums ou de prestations que je fais aussi bien au Mali qu’à l’étranger. Voyez vous, de 2008 à nos jours, j’ai fait plus de 8 concerts à Bercy en France. Cela part vite et ça passe vite. J’ai fait beaucoup de tournées en Afrique, en Amérique et en Europe, c’est pratiquement à la semaine, au mois, ouf, je ne sais pas.
L’Essor : Pour terminer, parlons à présent de vos projets ?
S. D. : En plus de mon nouvel album, je suis en train de travailler sur un grand projet africain qui concerne beaucoup d’artistes du continent : Oumou Sangaré, Koumba Gaolo Seck, Faly Ipupa, Charlotte Dipanda. C’est le genre ‘We are the world’ africain. Moi, je m’occupe de faire quelques arrangements, car il y a beaucoup d’arrangeurs sur le projet. Cela ne tardera pas à venir après le coronavirus.
Propos recueillis par
Youssouf DOUMBIA
LE PETIT PRINCE DE LA KORA
Sidiki Diabaté est sans doute l’artiste malien qui a fait le plus de featuring. Non seulement du fait de son charisme, mais aussi de son intelligence. Il est à la fois un brillant compositeur, un créateur de texte, un arrangeur hors pair et un programmateur à faire pâlir de jalousie les grands DJ à travers le monde entier. Formé dans le célèbre Institut national des arts (INA) de Bamako, Sidiki a également pris des cours de programmation au Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako. Si son père, Toumani Diabaté et ses frères, mettent son pied à l’étrier de la musique traditionnelle, à travers notamment la kora, le jeune homme, né en 1992 à Bamako, est fasciné par les clips de rap américain. Il allie ainsi les deux façons de faire.
Dès l’âge de 14 ans, il se fait connaître au Mali, puis en France. Il s’associe avec Iba One, il met en pratique ses connaissances et se fait vite remarquer pour son savoir-faire. En 2010, il est récompensé aux ‘Mali Hip Hop Awards’ en tant que meilleur beatmaker, tandis que le collectif GRR, pour « Génération Rap et Respect », qu’il a intégré est élu meilleur groupe de rap de l’année. Leur collaboration se poursuit avec le même succès, permettant au duo de se produire dans le stade Modibo-Keïta de Bamako.
Sidiki développe et assume un style très urbain – y compris en termes d’image –, dans lequel sa kora, tantôt électrique tantôt acoustique, se mêle aux beats et à son chant passé par l’immanquable logiciel Auto-tune. Ses singles successifs renforcent sa popularité locale, mais aussi dans les pays voisins.
C’est ainsi que commencent les featuring : le rappeur français Booba l’invite avec son instrument de prédilection sur la scène de l’AccordHotels Arena à Paris, devant près de 20.000 spectateurs, en décembre 2015. Dans la foulée, Niska, autre rappeur français à succès, lui propose un featuring sur le titre « Bella Ciao » où ils obtiennent un disque de platine.
En 2016, il sort son premier album « Diabateba Music vol. 1 » qui réunit ses singles déjà disponibles ainsi que trois inédits. La même année, il est invité à se produire à Abidjan, à Brazzaville au Congo, à Dakar, ainsi qu’à Paris à nouveau en octobre, puis à New York. Signe que le chanteur a acquis un public au-delà de nos frontières.
L’année suivante, il joue au Bénin, au Burkina Faso, au Niger, et bien sûr pour ses compatriotes au Stade omnisports de Bamako, à guichets fermés.
Sidiki est enrôlé ensuite par le chanteur français -M- (Matthieu Chédid) dans son projet « Lamomali », un album collectif sur lequel figure aussi Toumani Diabaté qui obtient un Disque de platine en France. Avec ce groupe, le Petit Prince de la kora se produit à 40 reprises en 2017 dans les plus grandes salles de concert de l’Hexagone, ainsi qu’en Suisse, en Espagne et en Belgique.
Pour sa participation à ce disque, il reçoit également une Victoire de la musique en France la même année dans la catégorie des Musiques du monde. Cette récompense vient s’ajouter à d’autres que le Malien a obtenues, pour sa carrière personnelle, en Afrique : meilleur artiste de l’année 2017 à la cérémonie des Tamani d’or organisée dans notre pays, meilleur artiste d’Afrique de l’Ouest à l’édition 2018 des Kundé organisée au Burkina Faso, meilleur artiste d’Afrique de l’Ouest au Primud (ex-Award du coupé décalé) ivoirien en 2018.
Selon son manager Ali Traoré dit Castro, sa cote se vérifie aussi à travers les multiples featuring qu’il accepte : en France avec les rappeurs Black M, 4Keus et Guizmo ; en Afrique aussi, avec les Guinéens de Degg J Force 3 mais aussi l’Algérien Kader Tarhanin, la sensation de la musique touareg depuis quelques années au Sahel.
Y. D.
Source: Journal l’Essor-Mali