Huit ans après le début de l’expédition militaire au Mali, l’engrenage de la violence se poursuit. De l’opération Serval (2013) à la force Barkhane (2014), en dépit de quelques succès tactiques, la stratégie française est dans une impasse. Le bilan est lourd : 51 soldats français tués, 10 milliards d’euros engloutis, et toujours pas de solution en vue. Pire encore : l’influence des entrepreneurs de la violence s’est étendue à d’autres pays du Sahel avec des milliers de victimes civiles et militaires, des millions de réfugiés, une hausse de la pauvreté…
Une situation qui pèse sur une opinion plus réticente aujourd’hui. Depuis 8 ans, les gouvernements successifs répètent que nous sommes au Mali pour longtemps, afin d’éviter des attentats sur notre sol quand bien même aucun n’a eu de lien avec des groupes armés du Sahel. Il n’empêche, l’armée française est enlisée et le « pour longtemps » ne suffit plus à convaincre.
M.Macron lors du G5 Sahel au Tchad les 15 et 16 février, devrait faire quelques annonces, dont une baisse des effectifs militaires, actuellement officiellement de 5 100 hommes. Il espère partager le fardeau et sortir d’un bourbier qui s’étend. Des groupes terroristes menacent d’élargir leurs actions vers le Golfe de Guinée. Pour rompre l’isolement de la France au Sahel, et réduire la voilure afin de se recentrer sur d’autres régions potentiellement conflictuelles, il compte sur le renfort de la maigre force d’unités européennes Takuba d’appui à l’armée malienne.
Mais pour obtenir quels résultats ? Aucune des causes qui ont conduit à la déstabilisation du Mali et de la sous-région n’a été traitée. On demande à l’armée française de régler un problème qui ne se solutionnera pas sur le plan militaire. Car c’est une guerre asymétrique, et nous n’avons pas tiré les leçons des échecs passés, de l’Afghanistan ou de l’Irak. Dans ces pays, le dangereux concept néoconservateur de « guerre contre le terrorisme » ne vise pas à résoudre les conflits, mais à déstabiliser, remodeler, dominer et piller les territoires. C’est un mode de gouvernance ultra capitaliste qui – contrairement aux objectifs affichés – entretient des monstres et étend l’hydre de l’obscurantisme. Le Sahel est sur cette pente, accentuée par le détonateur de la guerre déstabilisatrice de Sarkozy contre la Libye en 2011. Rappelons que l’état-major en 2013 poussait les feux de la guerre sur fond de discussions budgétaires dans le cadre du Livre blanc de la défense. Rappelons également les erreurs, les jeux troubles avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), révélateurs d’une méconnaissance du Mali ou, pire, d’une prétention à vouloir façonner le pays pour des intérêts moins avouables.
L’État français, pompier pyromane, quel qu’ait été l’accueil des troupes françaises au Mali en 2013, est perçu comme une force occupante. D’autant que nous sommes l’ancienne puissance coloniale qui tient encore les cordons de la bourse à travers ses multinationales et la monnaie (franc CFA ou projet ECO).
Huit ans après, le mal est fait et il faut d’urgence changer de politique si l’on veut trouver une issue dans l’intérêt des peuples. Cela passe par un bilan de notre intervention, en regardant avec lucidité l’échec fracassant de 60 ans d’interventions et de coopérations militaires avec les pays sahéliens, et en analysant l’ensemble des causes du désastre.
Car le conflit se déroule sur fond de trafic d’armes, de drogues, de banditisme, et de diffusion en Afrique d’un islam politique intégriste, dont le salafisme, avec la complicité des pétro-dictatures du Golfe. L’aggravation des conditions de vie des populations dans la sous-région, et l’absence de perspective pour de nombreux jeunes, constituent un terreau favorable à l’expansion de l’obscurantisme et de la criminalité.
Le Mali est classé 184e sur 187 pour le développement humain par le PNUD. Comme de nombreux pays africains, il a été victime de la stratégie de surendettement et des plans d’ajustement structurel qui ont broyé les services publics et conduit à des États faillis et corrompus. Le bilan de décennies de néocolonialisme et de libéralisme mêlés est effroyable. Comment espérer alors que ce chaos n’engendre pas violences et conflits ?
Sécuriser les conditions de vie est une des clefs. C’est ce qui a été fait dans une France et une Europe en ruine au sortir de la guerre. Il faut permettre aux Maliens de décider, de reconstruire l’État, des services publics, avec des solutions africaines. La réappropriation des richesses du sol et du sous-sol, la lutte contre les flux financiers illicites peut permettre le développement de systèmes d’éducation, de santé avec une protection sociale solidaire.
Sur le plan de la sécurité, la réponse ne pourra être que multilatérale, avec l’Union africaine. La mission des Nations unies doit être renforcée avec un mandat robuste permettant la protection des populations, avec l’objectif de passer la main aux forces africaines. Les dispositions de l’accord de paix d’Alger doivent être révisées, notamment celles qui risquent de saper les fondements même d’un État central.
Comme l’ont demandé les sénateurs communistes en séance mardi 8 février : la France devrait porter ces choix politiques et mettre en place un agenda précis du départ de ses troupes jalonné de mesures permettant à l’État malien de recouvrer l’intégralité de la souveraineté sur son territoire et aux populations d’améliorer leurs conditions de vie.
Dominique Josse
Collectif Afrique du PCF