Financement de l’Etat, emploi des jeunes, défi de l’administration, désengagement militaire, décentralisation, pistes de solutions… Mamadou Sinsy Coulibaly, président du patronat malien, donne ses idées sans se sourciller outre mesure. Quitte à ne pas plaire. Pourvu qu’il fasse tache d’huile dans le milieu économique qui est sa raison d’être, comme il aime à le dire.
Il est connu pour ses positions tranchées contre le phénomène de la corruption qu’il combat de toutes ses énergies dans son pays. Mamadou Sinsy Coulibaly, président du Conseil national du patronat malien (CNPM), puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas un acteur économique comme les autres, d’autant qu’il n’a pas peur de prendre le contrepied du modèle de développement de son pays jusqu’ici en usage, en prônant un abandon pur et simple du financement de l’aide publique et autres subventions publiques.
Voilà un acteur économique majeur du Mali qui aura marqué de son empreinte le secteur des affaires au Mali. Et cela ne fait aucun doute qu’il va continuer à focaliser les débats dans son pays, et bien au-delà, tant ses idées et ses prises de positions, osées et tranchantes, ne laissent personne indifférent. Du haut de ses soixante ans, Mamadou Sinsy Coulibaly, patron des patrons, est un obstiné détracteur du moratoire sur la dette, dont il pense qu’il “fera plus de mal que de bien à nos Etats et à notre continent”.
Dans l’une de ces récentes et multiples réflexions, consacrées aux pistes de sortie de la faillite de l’Etat en matière de financement de l’économie, il insiste sur la nécessité, pour les Etats, de payer leur dette, pour le respect de leur signature, tout en appelant les partenaires d’arrêter de financer les Etats à travers les projets et les aides budgétaires et d’aller maintenant vers un investissement massif de l’économie.
Ce segment est, pour lui, le seul levier important susceptible de créer la richesse, de garantir le plein emploi aux jeunes et de mieux redistribuer la richesse.
Trop rigide dans ses prises de position pour certains, l’homme, au plan économique, fait néanmoins son petit bonhomme de chemin dans le cercle très fermé des penseurs économiques africains et européens où il est très respecté et continue de partager dans les discussions en ligne et vidéoconférence, ses idées avec ses pairs du monde des affaires à travers le monde.
L’Etat malien en faillite économique et sociale
Pour Mamadou Sinsy Coulibaly, il existe un gros problème de connaissance entre l’Etat, à travers lui-même, et dans ses relations avec les partenaires techniques et financiers (PTF) qui se résume “en premier lieu par un problème d’archivage”, l’absence de transmission du savoir-faire et du bien faire. C’est toute l’équivoque, selon lui, d’autant que ce déficit d’archivage “ne permet pas de transmettre la connaissance entre les générations de fonctionnaires” dans un même pays.
La résultante, pour l’acteur économique avisé, qui stigmatise le phénomène, admet d’ailleurs que le problème est loin d’être l’INSEE qui fait d’ailleurs bien son travail, mais qui est lui aussi fortement handicapé par “un manque criard de chercheurs en son sein, ne lui permettant pas d’apporter à bon escient des informations économiques fiables au gouvernement”.
Pour le patron des patrons, le fait que l’économie du pays est en grande partie informelle, l’on ne connaît que peu le poids des différents secteurs. C’est dire, selon lui, que l’Etat travaille à l’aveugle, ne fonctionnant qu’à partir d’injonctions des PTF, “sans pilotage stratégique et sans connaissance des éléments pouvant lui permettre de définir une stratégie économique”.
Autre goulot d’étranglement : l’incapacité de l’Etat à tirer profit du capital financier humain. Pour le patron des patrons maliens, la question fiscale est primordiale d’autant que l’on a l’impression qu’il y a “une résistance populaire à la fiscalité”. Ce qui, de son point de vue, “pose la problématique du contrat social” au Mali.
Mamadou Sinsy Coulibaly évoque un déséquilibre de la taxation qui “implique que l’Etat s’est déchargé sur les collectivités territoriales (CT) des taxes les plus difficiles à recouvrer lorsque celles-ci ne sont plafonnées à des taux extrêmement faibles” (ex : la TDRL, taxe de développement régional et local plafonnée à 3000 F CFA).
Toujours est-il qu’il dénonce “une fausse décentralisation” par le fait que “les CT n’ont pas de ressources pérennes, l’essentiel des ressources publiques étant détenue par l’Etat”.
Ce qui est sûr, c’est que “le problème de recouvrement des recettes est aggravé par le manque de cadastre et l’absence de rôles d’imposition et de numérisation du système financier public”, selon M. Coulibaly
Une sur concentration des fonctionnaires à Bamako
Mamadou Sinsy Coulibaly pointe du doigt “une sous-administration avec près de 100 000 fonctionnaires dans tout le pays”. Il y manifestement, selon lui, à travers ce déficit, “une incapacité à appliquer des décisions sur le terrain”. D’ailleurs, une fois que la décision est conçue au niveau supérieur, à l’étape d’application, tout s’effondre, d’après lui. Il en prend pour preuve qu’il y a “moins de 5 fonctionnaires autour d’un préfet”.
“Tout cela fait qu’il y a une surconcentration à Bamako ; les fonctionnaires refusent d’aller en dehors de la capitale”, selon lui.
Dès lors que la décentralisation a dépossédé les préfets de leurs compétences (un simple contrôle à posteriori des actes administratifs des collectivités locales), Mamadou Sinsy Coulibaly trouve qu’en “conséquence, un ministre, même dynamique et réformateur, ne pourrait traduire concrètement ses orientations sur le terrain”.
“L’inefficacité des instances de contrôle (Bureau du Vérificateur, contentieux de l’Etat) fait que, selon cet acteur économique avisé, la plupart des enquêtes n’aboutissent pas devant la justice. Un fait aggravé, de manière générale, par l’absence de sanctions” (administratives ou judiciaires).
Un autre casse tête qu’il dénonce : “La trop grande ingérence des acteurs ‘traditionnels’ (griots, imams) qui ont pris un rôle démesuré, les systèmes sont bloqués par les médiateurs, aggravant l’impunité”, martèle Mamadou Sinsy Coulibaly.
Pour l’acteur économique, la solution passe avant tout par la formation des fonctionnaires. Et cela, préconise-t-il, à tous les niveaux. Pour lui, ce n’est pas le seul facteur, mais la formation est l’une des plus importantes actions par laquelle l’Etat sera capable de créer la plus-value. Il en fait l’illustration du cas de la nouvelle ENA qui fonctionne plutôt bien, selon lui, et qui est la preuve qu’un concours “honnête” a des effets sociaux autrement plus importants.
Mamadou Sinsy Coulibaly, contrairement à beaucoup d’autres, ne se focalise pas sur le désengagement militaire qui, pour lui, n’est pas à l’ordre du jour ; l’Etat malien ne peut pas survivre sans les PTF.
Mamadou Sinsy Coulibaly trouve en outre qu’il y a “une pression au décaissement”. Selon lui, tous les PTF suivent cette logique de décaissement. “Ne pas décaisser est-ce le signe d’un échec ?”, s’interroge-t-il finalement face à la réalité de certains cas de gestion qui, dit-il, fait qu’il s’agit là d’un “problème proprement occidental” : une ONG est, en un sens, obligée de décaisser son argent, même si cela n’entre pas dans la stratégie de développement visée. C’est en cela que l’acteur économique, dans son franc-parler, se demande enfin si “le non décaissement n’est pas le signe d’une bonne gestion”, dans certaines conditions ?
En tout état de cause, il va dans le contre-sens indiqué dans tous les milieux officiels étatiques, en s’affichant contre le moratoire de la dette qui “fait plus de mal à nos Etats que de bien”. Il rappelle que la dette est faite pour être payée. Et c’est cela qui donne la crédibilité à l’Etat qui doit payer absolument ses dettes contractées.
De l’argent, selon lui, qui doit obéir à des choix stratégiques de développement, contrôlé comme tel, pour ne pas tomber dans la poche des agents publics corrompus. D’où sa propension à lutter farouchement contre le fléau de la corruption, gangreneuse et endémique dans notre pays.
Voilà pourquoi d’ailleurs il continue de marteler à chaque occasion que les PTF doivent changer le modèle de financement de l’Etat, via les aides budgétaires et les projets. Ce qui, à son sens, ne rythme pas avec efficacité, ni développement de nos pays.
Ce qui importe, pour lui, et il l’a maintes fois exprimé, c’est l’investissement massif dans l’économie qui peut produire la richesse et donc qui crée les emplois. Comme l’Etat, il préconise sans appel que le secteur privé, pour une question de rentabilité et de notoriété, doit également être capable, sans aucun moratoire, de rembourser les prêts contractés.
Pour Mamadou Sinsy Coulibaly, les élections, qui focalisent tant les gens, ne sont pas une panacée. Loin s’en faut ! Si elles sont importantes pour permettre la stabilité institutionnelle, plutôt que d’enfoncer nos Etats dans des crises politiques de toutes sortes, il est important et même crucial, de renforcer le capital d’investissement des entreprises, les puissants vecteurs de créations d’emplois pour les jeunes qui en ont tant besoin.
Il y va d’ailleurs pour lui du destin même de nos pays. Car, rappelle-t-il, tant que nous ne serons pas capables de donner du travail à nos jeunes, nous serons toujours exposés aux violences extrêmes de toutes parts. Ce qui lui fait dire que “la jeunesse malienne est une bombe à retardement”.
Parole de fin connaisseur économique.
Propos recueillis par Moctar Touré
Source: Arc en Ciel