C’est un truisme de demander à un enfant du quartier populaire de Bolibana comment il est devenu footballeur ? C’est un secteur où le sport est quasiment une religion parce que tout le monde s’y intéresse au point d’être une source de motivation pour ses enfants.
Abdoul Karim Sidibé dit Mao vient de ce quartier chic de la Commune III. Quelle fût sa carrière ? Pourquoi a-t-il choisi le chemin de l’exil ? Sa vision sur le football malien et la situation déplorable de certains anciens joueurs ? Avant de développer tous ces aspects, une brève présentation de Mao vous aiderait à vous re-souvenir de l’enfant de Bolibana.
Gaucher naturel et très technique, Mao a entamé sa carrière au Djoliba comme ailier gauche. Très entreprenant, il transperçait les défenses adverses par des combinaisons ou dribbles éliminatoires ponctués de tirs fracassants. Mao finira sa carrière au poste de latéral. Pourquoi ?
Eh bien, à un moment donné le club avait besoin d’un latéral gauche moderne, capable de livrer des centres judicieux. Feu Karounga Kéita dit Kéké a alors décidé de le faire replier. Le jeunot estimait que sa carrière prenait un sérieux coup. Après des moments de relâchement de quelques séances d’entrainement, il a finalement accepté l’option prise par l’encadrement technique et animera le couloir gauche des Rouges à la satisfaction générale du club. Pour son passage dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, nous nous devons de saluer sa disponibilité et son amabilité à nous accorder une interview malgré son emploi du temps très chargé. Un entretien au cours duquel nous relevons une conviction religieuse très profonde. En témoignent sa modestie et son pèlerinage à La Mecque en 2019.
La machine à remonter le temps ?
C’est sur le petit terrain de son quartier en face de la maison paternelle de feu Tata Bambo Kouyaté qu’il s’est fait remarquer avec l’équipe des Jeunes sportifs de Bolibana (JSB). Pratiquement tous les grands joueurs du football malien ont joué sur cet espace emblématique.
C’est en évoquant son souvenir d’enfance sur ce terrain que nous apprenions le décès d’un de ses compagnons, notre idole Harouna Diallo dit Tan Any Kélé (Onze en bambara), affectueusement appelé Zou. Nous l’admirions pour son immense talent. Malheureusement, il n’avait pu valoriser ce don naturel bâti sur une technicité extraordinaire. Il a joué deux saisons au Stade malien et remporté une Coupe du Mali et une sélection en équipe nationale en 1997 à la veille du sacre des Aigles au tournoi Cabral.
Sa carrière s’arrêta là, et Zou se faisait désormais plaisir dans les matches inter quartiers. Hélas ! Quel gâchis !!! Paix à son âme !!!
Après ce moment d’émotion, Abdoul Karim Sidibé exprimera un regret. “Je serais plus heureux si notre temps pouvait se réaliser aujourd’hui. Notre génération avait du talent, l’amour de la patrie, mais avec peu de moyens. En aucun moment nous n’avions grevé pour des problèmes de primes, surtout dérisoires à l’époque. Actuellement, toutes les conditions sont réunies, les résultats à la mesure de ces gros moyens se font attendre depuis des années. Les supporters maliens en souffrent et c’est regrettable”.
Pis encore : il désapprouve les conditions de vie misérables de certains anciens joueurs. Il estime que l’Etat devrait songer à leur cas, en dynamisant le projet de réinsertion de feu le président Amadou Toumani Touré dit ATT.
Le mentor
En tout état de cause, Mao devra sa réussite au football à un certain Aly Koïta dit Faye, entraineur du centre de formation du Djoliba durant des décennies. Il a tout fait pour le convaincre à être assidu aux entrainements avec les minimes du club. Faye l’avait repéré de passage sur le terrain précité. Il l’a ensuite invité au restaurant “Chez Lucien” en face du Camp Digue. Au terme du dîner, le formateur lui offrira des équipements et des crampons. Quelle joie pour un enfant qui jouait avec des chaussures en plastique !!! En plus, il lui avait filé 500 F CFA à la fin des séances d’entrainement. Alors Mao, requinqué, par son traitement de faveur, prit courage tout en suivant l’ascension normale au Djoliba. Déjà ses qualités et ses prestations présageaient un avenir promoteur.
En 1990, la défaite des Rouges en finale de la Coupe Ufoa contre l’Asec d’Abidjan, a ouvert la porte de l’équipe à une génération plus jeune : Abdoul Karim Sidibé, Makan Kéita, Oumar Bagayoko, Almamy Konaté dit Konan, Oumar Traoré dit Rubesh. Logiquement, il gardera le banc de touche, deviendra ensuite l’ailier gauche titulaire du Djoliba au bout d’une saison. Son parcours en équipe nationale a débuté en 1992, c’est-à-dire un an après sa titularisation au Djoliba. Il a joué les éliminatoires de la Can Tunis-1994, et figurait sur la liste définitive de la phase finale. Evidemment parlons d’un match de cette Can, la 1/2 finale contre la Zambie. Ce jour-là, Mao fit son entrée dans la compétition comme latéral gauche à la place de Yatma Diop.
A la mi-temps, l’on a été témoin d’une algarade entre Abdoul Karim Sidibé et un autre joueur. Chacun a interprété cette altercation à sa manière en son temps. En toute réalité la plupart des supporters ont cru que Mao était culpabilisé sur les deux buts zambiens. Non ! Que s’est-il passé. Qu’est-ce que les deux joueurs se disaient ? Mao donne la vraie information.
“Aucunement il n’a été question d’accusation individuelle sur les deux buts encaissés. L’on se disait qu’il n’y a pas de marquage au milieu et que les joueurs ne s’adaptaient pas au système de jeu mis en place ce jour par l’encadrement technique. Je comprends les mauvaises interprétations, tout le monde était passionné, dépassé et surpris par la mauvaise prestation de l’équipe. Parce que tous les maliens voyaient déjà le Mali en finale, même la délégation de la Can”.
L’aventure
Mao a mis un terme à sa carrière en 1996. Il a passé deux saisons dans un club de deuxième division, l’AS Golonina. En 1998 il a songé à se construire un avenir plus conséquent. Son bureau de secrétariat public doublé d’une cabine téléphonique assurait certes ses besoins vitaux, mais il lui fallait plus, Abdoul Karim Sidibé décidera alors d’emprunter le chemin de l’exil. Il atterrit à New York le 14 septembre 1999 et décroche 48 h après un emploi par le canal de son cousin qui lui facilite le séjour avant sa stabilisation.
Aujourd’hui, il se réjouit de sa carrière de joueur, parce qu’à un moment donné il a défendu la patrie. De ce riche palmarès, il retient trois bons souvenirs : tout ce temps passé au Djoliba et en équipe nationale, les titres de champion et de Coupe du Mali remportés par son club, ses bonnes relations dans le milieu sportif.
La défaite des Aigles contre la Zambie à la Can de Tunis, les mauvaises conditions de vie de certains anciens joueurs le hantent à présent et sont classés dans le registre des mauvais souvenirs.
Abdoul Karim Sidibé est marié et père de quatre enfants dont une fille. Dans la vie, il aime la religion et sa famille. Il déteste le mensonge et la désinvolture.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali