Il y a quelque chose de particulièrement fascinant dans la manière dont les promesses politiques prennent forme, ou du moins tentent de le faire. Au Sénégal, l’une des grandes promesses du duo Bassirou Diomaye Faye-Ousmane Sonko, victorieux de l’élection présidentielle de mars 2024, était de renégocier les contrats signés avec des entreprises étrangères dans des secteurs stratégiques. Une promesse ambitieuse, teintée de nationalisme économique, qui semblait s’adresser directement aux aspirations d’un peuple désireux de reprendre en main son destin économique. Et voilà que cette promesse commence à se concrétiser, avec l’installation officielle, le 19 août 2024, d’une commission dédiée à ce sujet épineux.
Des renégociations qui pourraient avoir « des conséquences désastreuses » sur l’économie
On pourrait applaudir cette initiative, la voir comme un signe de bonne foi de la part des nouvelles autorités. Ousmane Sonko, le Premier ministre, l’a rappelé avec force : ce combat pour plus de transparence et un rééquilibrage des contrats n’est pas nouveau. « En tant que parti politique d’opposition, nous avions eu à regretter et à dénoncer vigoureusement la manière dont les accords et conventions étaient conclus, au détriment, la plupart du temps, des intérêts stratégiques du Sénégal et de son peuple », a-t-il martelé. Voilà une rhétorique qui résonne, qui parle au cœur et à l’esprit d’un peuple souvent méfiant des grandes manœuvres internationales qui semblent toujours se dérouler à ses dépens.
Mais, il y a toujours un « mais« . Le passage de la parole à l’action est un terrain miné, semé d’embûches. Sonko lui-même semble bien en avoir conscience, en précisant que l’objectif n’est pas de tout raser, de tout nationaliser à la manière d’une révolution brutale. Non, la logique est de travailler de manière « rigoureuse, méthodique », de poser les bases d’une renégociation en étant bien préparé, avec des experts juridiques, fiscaux et du secteur de l’énergie. La prudence est de mise, et on sent bien que cette prudence n’est pas seulement dictée par la raison, mais aussi par la crainte des conséquences possibles.
Car derrière cette volonté de rééquilibrer les contrats, il y a un risque énorme. L’ancien président Macky Sall ne s’est pas privé de le souligner : ces renégociations pourraient avoir « des conséquences désastreuses » sur l’économie. Un avertissement qui pèse lourd, et qui pourrait bien se transformer en une prophétie auto-réalisatrice si les choses tournent mal. Après tout, on ne joue pas impunément avec des accords internationaux qui, même s’ils sont imparfaits, ont le mérite d’exister et de stabiliser des relations économiques souvent fragiles.
L’équilibre entre idéalisme et pragmatisme
Et c’est là tout le paradoxe de cette initiative. D’un côté, elle répond à une exigence légitime de justice économique, de l’autre, elle flirte dangereusement avec l’incertitude. Il ne suffit pas de vouloir réécrire les règles du jeu pour en changer les résultats. La diplomatie économique est un art subtil, qui exige non seulement de la fermeté, mais aussi une bonne dose de pragmatisme. S’il est louable de vouloir défendre les intérêts du Sénégal, il ne faut pas perdre de vue que les partenaires étrangers, eux aussi, ont des intérêts à défendre, et qu’ils ne se laisseront pas faire sans broncher.
Alors, que retenir de tout cela ? Peut-être simplement que les grandes promesses électorales, une fois confrontées à la réalité, deviennent des exercices d’équilibrisme délicats. Ousmane Sonko et son gouvernement ont ouvert un chantier complexe, un chantier où la rigueur et la méthode seront cruciales. Mais le défi est de taille : il s’agit non seulement de faire mieux, mais aussi de ne pas tout casser en chemin. Car si l’équilibre entre les parties est nécessaire, l’équilibre entre idéalisme et pragmatisme l’est tout autant. Le Sénégal entre dans une phase cruciale de son histoire économique, et il ne fait aucun doute que le monde entier observera avec attention les résultats de cette ambitieuse entreprise.
Chiencoro Diarra
Source: Sahel Tribune