L’ONU a exprimé son inquiétude vendredi devant la dégradation de la situation dans le nord du Mali où une attaque sans précédent imputée à des jihadistes contre un bateau sur le Niger a tué des dizaines de civils jeudi et où la tension monte de jour en jour.
Les jihadistes ont encore mené vendredi une attaque suicide contre un camp de l’armée à Gao, au lendemain d’une double attaque contre un bateau de passagers naviguant sur le grand fleuve africain et contre une position militaire.
Au moins 64 personnes, 49 civils et 15 soldats, ont été tués dans la double attaque de jeudi menée dans le secteur de Bamba, entre Tombouctou et Gao. Des élus locaux ont indiqué à l’AFP que le bilan humain était en fait bien plus lourd.
Aucune information officielle n’a été publiée sur d’éventuelles victimes dans l’attaque de vendredi, menée selon des témoignages à l’aide de voitures piégées.
Les opérations de jeudi et vendredi contre les installations militaires ont été revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance affiliée à Al-Qaïda.
Ces violences illustrent la pression grandissante exercée par les groupes armés sur l’Etat dans le nord depuis quelques semaines. Elles font redouter une éruption dans un pays déjà plongé dans le trouble depuis 2012. Les civils en sont les premières victimes.
“Nous sommes assurément très inquiets”, a dit à New York Faran Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général. “C’est un signe de plus que toutes les forces sur le terrain doivent en faire beaucoup plus pour protéger les gens au moment où notre mission mène à bien son retrait suivant le mandat qui lui en a été donné”.
Une reconfiguration sécuritaire a lieu dans le nord après le départ de la force antijihadiste française en 2022 et celui, en cours, de la mission de l’ONU (Minusma), toutes deux poussées vers la sortie par la junte qui a pris le pouvoir par la force en 2020.
La Minusma a dit sur les réseaux sociaux condamner un “acte criminel” dans l’attaque sur le fleuve.
Amnesty International a pressé “le GSIM et toutes les parties au conflit malien à stopper les attaques dirigées à l’encontre de civils ainsi que les attaques indiscriminées ou disproportionnées”.
Les détails sur les évènements sont sommaires. Accéder à une information fiable est compliqué par une multitude de facteurs: éloignement, carence des communications, mutisme des autorités. Comme souvent, très peu d’images ont circulé de l’attaque du bateau. Même dans un pays coutumier des violences, cette attaque paraît ne guère avoir de précédent.
Le Tombouctou a été visé par au moins trois roquettes, selon la compagnie malienne de navigation Comanav, qui assure avec quelques bateaux une importante liaison desservant les grandes villes sur le fleuve. Au milieu de l’insécurité ambiante, le fleuve est considéré comme un peu plus sûr que la route.
– “Heure décisive” –
Des enfants figurent sur une liste de blessés que l’AFP a consultée. Des appels à donner son sang ont été lancés.
Un enseignant s’exprimant sous le couvert de l’anonymat a indiqué que la fille d’une de ses tantes était à bord avec ses six enfants. “On n’a pas de nouvelles. La liste des blessés a été envoyée, leurs noms n’y figurent pas”, a-t-il dit.
Les autorités ont décrété trois jours de deuil national.
Le nord est en proie à une lutte qui va s’intensifiant pour le territoire entre une multitude d’acteurs: groupes jihadistes contre armée malienne, groupes jihadistes entre eux, groupes armés touareg contre jihadistes, et groupes touareg face à armée malienne.
La région de Tombouctou est soumise depuis août à un blocus imposé par le GSIM. De vastes étendues sont passées sous le contrôle de l’organisation Etat islamique dans la région de Gao.
C’est du nord, avec les insurrections indépendantiste et salafiste de 2012, qu’est partie la tourmente dans laquelle le Mali est toujours plongé et qui a gagné le Burkina Faso et le Niger voisins, faisant des milliers de morts. Les indépendantistes ont signé en 2015 un accord de paix avec l’Etat malien tandis que les jihadistes continuaient le combat. Mais les hostilités n’ont jamais paru si proches de reprendre entre Touareg et armée.
Alghabass Ag Intalla, chef de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), alliance à dominante touareg signataire de l’accord de 2015, a appelé sur les réseaux sociaux les siens “à rejoindre les rangs de (leurs) frères” sur le terrain. Il a parlé d'”heure décisive”.
Un autre signataire, les loyalistes de la Plateforme, a rapporté que l’armée avait bombardé une de ses positions, et a dénoncé une “violation flagrante” du cessez-le-feu.
La junte fait du rétablissement de la souveraineté l’un de ses mantras. Elle s’est tournée militairement et politiquement vers la Russie. Différents experts estiment que la situation s’est encore dégradée sous sa direction.
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