En refusant de répondre favorablement à la demande d’annulation des deux arrêtés pour la régularisation des agents dans la Fonction publique, la ministre malienne, Aoua Paul Diallo, du Travail et de la Fonction publique file du mauvais coton. Si sa doléance n’est pas heureusement traitée d’ici fin août, la Centrale syndicale sous la direction de Yacouba Katilé promet un rechauffement du front social.
L’Union nationale des travailleurs du Mali (Untm) et le département en charge du Travail et de la Fonction publique sont à couteaux tirés au sujet de la prise de deux arrêtés portant sur l’intégration de certains contractuels dans la Fonction publique. Convaincu qu’on ne saurait accéder à la Fonction publique que par voie de concours, l’Untm a adressé une correspondance au ministère administré par Aoua Paul Diallo. L’objectif de cette missive était d’intimer l’ordre à la patronne du département d’annuler purement et simplement les deux décrets. Il s’agit du décret n°2011-051/P-RM du 10 février 2011 et l’arrêté n°2022-0278/Mtfpds-SG-Cnfp du 22 février 2022 portant sur l’intégration de 11 contractuels de l’Enseignement supérieur dans les corps des fonctionnaires.
Selon Yacouba Katilé, les bénéficiaires d’une telle intégration n’émargeaient pas antérieurement au budget national, mais sur les fonds propres de leurs établissements. A l’entendre, ils n’étaient donc pas des contractuels d’Etat recrutés suivant les dispositions statutaires et légales. « Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient subi un test de contrôle, ne pouvant pas prétendre à une intégration dans la Fonction publique », dit le premier responsable de l’Untm qui pense que les intéressés devraient normalement postuler à des postes ouverts au concours pour l’ensemble des diplômés du pays dans leurs filières respectives.
L’Untm pense que ces arrêtés vont à contre-courant des règles démocratiques. « Selon les témoignages et nos investigations, ces mesures légales démocratiques, non-discriminatoires n’ont pas été observées. Mieux les motivations à caractère politico-syndical qui sous-tendent cette intégration ne devraient pas supplanter les dispositions légales. Une maitrise de droit de travail et surtout des droits syndicaux aurait permis de ne pas octroyer ce que beaucoup considèrent comme des privilèges indus », martèle l’Untm. Selon elle, une commission a été mise en place dans le PV de conciliation du 5 février 2021 entre le gouvernement, le Patronat et l’Untm aux fins d’élaborer les projets de textes relatifs à la normalisation des carrières professionnelles de certains agents contractuels de l’Etat. Cette commission, déplore-t-elle, a été toujours phagocytée dans son fonctionnement.
Une autre anomalie relevée par l’Untm vient du fait que les bénéficiaires de l’arrêté d’intégration au lieu d’être dans les corps de l’enseignement supérieur où ils officient déjà sont directement versés dans ceux des planificateurs, des inspecteurs des Finances, des administrateurs civils. « L’intégration dans ces corps aujourd’hui s’effectue après une formation dans la nouvelle ENA créée par loi n°06-046 du 05 septembre 2006 », a laissé entendre la lettre de la plus grande Centrale syndicale au Mali.
Parlant de ces deux arrêtés, l’Untm parle du caractère fictif du changement tant chanté par les autorités. Ce qui la fait dire que l’arrêté n°2022-0278/Mtfpds-SG-Cnfp du 22 février 2022 est fait sur des bases frauduleuses car n’ayant aucune légitimité constitutionnelle et juridique. « Cet arrêté ne peut que renforcer certains jeunes dans la conviction que les changements dont on parle ne sont que fictifs à cause d’une distribution de faveurs, de privilèges. Par voie de conséquence, son annulation s’impose pour éviter des réactions houleuses, car il reproduit les improvisations du pouvoir défunt dans l’application du statut général des fonctionnaires négocié par l’Untm par rapport à des catégories professionnelles », martèle-t-elle.
S’agissant aussi de l’arrêté n°2022-3266/Mtfpds-SG-Dnfp-D1-3 du 26 juillet 2022 portant régularisation de situation administrative, l’Untm y note aussi des anomalies. Il faut noter qu’il concerne des diplômés ayant subi des épreuves d’entrée dans la fonction publique en tant que détenteurs de licence et non de la maitrise. « L’arrêté n°2022-3266/Mtfpds-SG-Dnfp-D1-3 du 26 juillet 2022 a un relief discriminatoire, un privilège par rapport aux premiers licenciés qui sont encore dans l’insatisfaction de leur demande. On veut dire que l’Untm n’acceptera jamais pendant cette transition, le népotisme, le favoritisme, les privilèges qui ont tant assombri le développement de notre pays du fait d’un afflux d’incompétents, de corrompus à la tête des responsabilités dont le pays pouvait se glorifier », lit-on dans la lettre qui précise que l’Untm attend d’ici la fin du mois d’août l’annulation pure et simple des arrêtés.
Malgré ces mises en garde, la ministre du Travail et de la Fonction publique, Aoua Paul Diallo n’est pas dans la posture d’annuler ces décrets. En réponse à la demande de l’Untm dans une correspondance en date du 11 août 2022, elle note que la Fonction publique s’inscrit dans une logique d’honorer ses engagements dans le cadre de la mise en œuvre des protocoles signés entre l’Etat et les partenaires sociaux, mais aussi dans l’application des textes en la matière. « Veuillez noter également que toutes les actions du ministère s’inscrivent dans une logique d’équité, de justice et de transparence. Pour preuve, les concours, les tests d’aptitude et les tests de contrôle se sont déroulés selon ce principe », dit-elle.
Elle conclut sa lettre en soulignant l’impossibilité d’annuler ces décrets. « En ce qui concerne l’annulation des deux arrêtés susvisés, non seulement juridiquement, cela ne peut plus se faire, mais aussi les droits qu’ils consacrent sont des droits acquis qui ne peuvent être remis en cause en raison des principes de droit acquis. Donc en définitive, ces arrêtés ne sauraient être annulés pour quelques raisons que ce soient car d’autres arrêtés déjà signés dans la logique d’autres protocoles sont dans le rouage de l’administration », a-t-elle fait savoir.
Au regard de ces tiraillements en cours, l’on est en droit de dire que le débat entre l’Untm et le département en charge du Travail et de la Fonction publique promet d’être houleux dans les jours à venir. Un réchauffement du front social profite-t-il à la transition qui cherche sa voie ? Il ne pourrait-il pas fragiliser la transition et compromettre la refondation engagée par les autorités ?
Bazoumana KANE