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Moussa Mara : « La priorité́ est comment sortir de cette situation malencontreuse »

Alors que la tension est à son comble autant dans les chancelleries que dans la rue, le Mali cherche les voies et moyens de desserrer les contraintes supplémentaires économiques, sociales et politiques engendrées par les sanctions prises par la Cedeao et l’Uemoa mais aussi par les divergences, pour ne pas dire les différends, entre Bamako et Paris sur fond de réorganisation du dispositif de l’opération Barkhane et de présence sur le sol malien d’instructeurs russes à côté de combattants supposés être des mercenaires de la société́ militaire privée russe Wagner. Chaque jour apportant son lot de questionnements sur le devenir de l’opération Barkhane, de la force européenne Takuba et de la présence sur le sol malien de troupes de l’ONU dont le secrétaire général Antonio Guterres a réclamé́ « un calendrier électoral acceptable », Moussa Mara, ex-Premier ministre que le défunt président Ibrahim Boubacar Keïta avait nommé́ en avril 2014, donne son sentiment sur ce qui se joue actuellement avec le Mali.

Le Point Afrique : Le Mali est dans l’œil du cyclone. Comment situez-vous les responsabilités des uns et des autres, Maliens et non Maliens ?

Moussa Mara : Le Mali est dans l’œil du cyclone depuis dix ans maintenant, avec des poussées de Èvre à certains moments. C’est ce à quoi nous assistons depuis quelques jours avec la prise de sanctions contre le pays par l’UEMOA et la Cedeao sur fond de conflit larvé avec la France. Les responsabilités sont partagées comme dans toute crise, mais la plus grande part nous revient à nous, les Maliens.

Quelle appréciation avez-vous des sanctions prises par les organismes sous-régionaux, la Cedeao et l’Uemoa ?

Elles sont indiscutablement sévères, surtout quand on sait que les populations maliennes souffrent beaucoup et depuis longtemps. Cela étant dit, les sanctions ont été prises après plusieurs péripéties où la Cedeao a mis en garde les autorités maliennes qui portent indéniablement la responsabilité́ première de ce qui arrive même si elles sont soutenues par une majorité́ de la population. Elles doivent savoir que la plupart des Maliens ne sont pas au fait des réalités juridiques, économiques, politiques et géopolitiques du pays et de son environnement. Prendre des décisions fondées uniquement sur le ressenti de ces populations, c’est prendre le risque de les décevoir et de devoir faire face à leur courroux à court terme.

Dans les statuts de la Bceao, il est dit que « dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions qui leur sont conférées par le traité de l’Uemoa et par les présents statuts, la Banque centrale, ses organes, un membre quelconque de ses organes ou de son personnel ne peuvent solliciter, ni recevoir des directives ou des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres de l’UEMOA, de tout autre organisme ou de toute autre per- sonne. Les institutions et organes communautaires ainsi que les gouvernements des États membres de l’UEMOA s’engagent à respecter ce principe ». Cette disposition n’interroge-t-elle pas les sanctions prises dans le cadre de l’Uemoa ?

La matière de l’action des organisations internationales, régionales est complexe. On se situe aux frontières du droit, de la diplomatie, de la politique et de l’économie. La réalité́ est souvent éloignée de ce que la situation parait. Les États prennent une décision et s’organisent ensuite pour qu’elle soit mise en œuvre sans enfreindre les règles d’indépendance de la Banque centrale par exemple. Il ne faut pas oublier que les instances de gouvernance de la Banque centrale sont composées des représentants des États.

Comment un dosage aurait-il pu être fait pour cibler les actuels dirigeants du pays lancés sur l’orbite d’une transition rallongée jusqu’à cinq ans en évitant le maximum de dégâts à la population déjà̀ éprouvée par le terrorisme et la situation économique difficile ?

C’est la délicatesse de la question. C’est pourquoi il aurait été utile d’éviter les sanctions, car, après la première catégorie de sanctions prises en novembre 2021, on ne pouvait que craindre que la seconde catégorie soit plus sévère et touche les populations. À mon avis, la priorité́ ne doit plus être de regretter l’eau versée, mais comment nous pouvons sortir de cette situation malencontreuse.

Si l’élection est nécessaire, elle ne fait pas la démocratie. En combien de temps pensez-vous qu’une vraie refondation démocratique peut être faite au Mali ?
La refondation à laquelle le peuple aspire est une œuvre de longue haleine et ne peut être achevée ni sous la transition ni pendant le prochain mandat. Redresser ce qui a mis plu- sieurs décennies à se déformer prendra forcément au moins une, voire deux décennies. D’ailleurs, l’équipe qui a préparé́ les assises nationales de la refondation compte étaler sur 25 ans la mise en œuvre complète de toutes les recommandations de cette activité́. La question essentielle est d’identifier ce qui est urgent et raisonnable à envisager sous la transition étant entendu que la transition ne peut durer éternellement. À mon avis, il faut que les forces vives essentielles du pays se parlent pour convenir d’une durée résiduelle raisonnable de la transition en fonction de son contenu idéal.

Quelles sont les étapes que vous identifiez comme essentielles pour atteindre cet objectif ?
D’abord, une rencontre entre les acteurs sociopolitiques essentiels et les autorités de la transition. Ensuite, le contenu et le chronogramme consensuel doivent être portés par nos autorités vers les partenaires et les organisations régionales. Enfin, réunir une gouvernance inclusive pour conduire les actions, sous le contrôle vigilant de toutes les parties et en collaboration avec nos partenaires.

Comment voyez-vous l’avenir des relations entre le Mali et ses voisins, d’un côté́, ceux membres de la Cedeao et de l’Uemoa, de l’autre, ceux non membres de ces deux organisations sous-régionales, en l’occurrence la Mauritanie, l’Algérie, le Ma- roc et la Guinée ?

Le Mali a été à l’initiative et au cœur de toutes les activités d’intégration africaine et ouest-africaine des 60 dernières années. Je ne peux envisager le Mali se détourner ni de ses voisins immédiats ni d’autres pays africains. Je ne souhaite pas non plus voir le Mali jouer la division au sein des organisations ou entre les pays africains. Il existe une piste vertueuse de sortie de crise, celle qui prend racine entre nous et associe ensuite tous nos amis. C’est celle-là̀ qui permettra d’éviter toutes autres initiatives malheureuses et porteuses de tensions.

Comment voyez-vous la suite de la coopération entre le Mali, la France et l’Europe d’un côté́, et entre le Mali, la Russie et la Chine de l’autre ?
Là également, il ne s’agit pas de choisir ou de privilégier les uns par rapport aux autres. Nous avons la chance d’accueillir à peu près tout le monde et d’avoir d’assez bonnes relations avec chacun, y compris la France. Nous devons identifier d’abord ce qu’il faut pour nous et ensuite voir avec nos nombreux amis qui peut faire quoi pour nous permettre d’atteindre nos intérêts. Le préalable reste donc d’identifier notre voie d’abord. C’est aussi cela la souveraineté́. Nous devons à tout prix éviter les débats négatifs de remplacer X par Y ou de chercher à nous confier à Z, car nous ne sommes pas contents de A.

Source : Le point

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